jeudi 28 juillet 2011

Explorations sous-marines : J'ai mangé un clown

Noddi brun et paysages de coraux

L'un des premiers endroits que j'ai explorés avec quelques compagnons a été le tombant des Lépreux, près de l'îlot du même nom. Les explorations en plongée sont la récompense ultime. Au rythme lent de la flânerie, vous déambulez le long des récifs coralliens en contemplant les fonds sous-marins. Alors que nous nous rendions vers le site, un oiseau, un noddi brun, nous a escortés à notre gauche une grande partie du voyage. Il battait vivement des ailes dans l'air, suspendait quelques instants son mouvement, planait comme une immense feuille volante, remontait parfois pour entamer une descente vers le lagon, puis reprenait son balancement vif et vigoureux. Il a entamé subitement un virage brusque pour se rendre vers l'îlot, je l'ai perdu de vue.

Dernière technique apprise lors du niveau 1 de plongée, celle de la bascule arrière. Vous vous asseyez sur le rebord du bateau vêtu de la tenue complète du plongeur, vous veillez à ce que vos pieds munis de palmes soient libres de tout obstacle, vous retenez votre masque de la main gauche, vous plaquez soigneusement le détendeur sur votre bouche de la main droite. Vous lancez un dernier regard vers l'azur et les nuages, et pirouette arrière dans l'océan...
... Plongée lente et progressive dans le tombant, toujours en compagnie d'un congénère de l'espèce poisson à grosses bulles. Pascal NICOMETTE organise les groupes par paire : le plus expérimenté avec le novice complet, le deuxième plus qualifié avec le débutant, etc... Étant parmi les débutants, je suis souvent mon compagnon  plus expérimenté en restant un peu plus haut que lui, comme ce qui est préconisé. Parfois je contemple le paysage, je m'attache à tel ou tel détail du récif, je poursuis quelques instants du regard un banc de poissons, je baisse les yeux, mon compagnon n'est plus là. Je le cherche des yeux, droite, gauche, en haut, je finis toujours par le retrouver.

Au tombant des Lépreux, les fonds sous marins sont constitués de coraux d'une grande variété. Lors de la descente, apparition d'un très beau corail à bulles, constitué de grappes de vésicules gonflées, de couleur blanche. Les coraux s'étagent lors de la descente, se présentent sous la forme de grandes vasques de couleur principalement brune avec quelques touches de bleu et de vert. Toutefois, cette couleur brune est trompeuse car la perception des couleurs change au fur et à mesure de la profondeur. La couleur rouge est la première couleur absorbée et elle disparaît après cinq mètres de profondeur. Ainsi, ces coraux sont en réalité rouges d'après le moniteur, il faut une torche pour s'en rendre compte, mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'en utiliser.
Lors de la remontée, nous aboutissons à un espace en légère pente, tapissé de très nombreuses espèces de coraux mous, qui sont dénommés ainsi par opposition au corail dur, et ne possèdent pas de squelette calcaire participant à la formation des récifs. Ces coraux mous déposés le long de la pente s'en détachaient comme de grandes feuilles mortes, tombées d'un immense arbre invisible. Le paysage automnal au fond de l'eau s'éclairait au fur et à mesure de notre remontée. Les bulles s'échappaient de nous, montaient lentement pour éclater en surface. J'ai scruté les coraux-feuilles, lentement ils ont repris vie sous mes yeux, se sont transformés en coraux-alvéoles, et le poumon a respiré de concert avec nous. Nous inspirions, il expirait, puis le processus s'inversait, dans une  symbiose totale ...

Duel de titans au fond du lagon

La principale attraction dans ce tombant est  le couple étonnant formé par l'anémone avec son poisson-clown. Au retour nous faisons à chaque fois une petite pause, à une courte distance d'une anémone qui abrite deux poissons clowns. Ceux-ci sont des poissons- demoiselles qui vivent en association avec des anémones. L'anémone appartient à l'embranchement des cnidaires et possède des cellules urticantes. Le poisson-clown est recouvert de mucus qui le protège des cellules venimeuses. Plongé dans son anémone protectrice, le poisson-clown ne craint pas les prédateurs. S'il s'en éloigne, je vous laisse découvrir "Le Monde de Némo" et les péripéties qui peuvent en découler. Dans le lagon, l'espèce commune est l'Amphiprion chrysopterus.

Poisson-clown : Surtout, ne riez pas ...

Nous allions repartir, j'ai jeté un dernier coup d’œil derrière moi. L'un des poissons-clowns m'a toisé du regard, dans une attitude de défi. Et moi, extraordinaire compétiteur, grand matamore devant l’Éternel, je suis revenu et j'ai immédiatement relevé le gant. Un duel de clowns se profilait à l'horizon ...
Mon rival était visiblement un grand champion. En une fraction de seconde, la nouvelle du futur combat avait fait le tour du lagon : poissons-anges, raies, requins, mulets, rascasses, une immense foule est accourue et s'est disposée autour de l'anémone pour admirer le combat du champion clown sortant et de son challenger poisson à grosses bulles. Le poisson-clown a immédiatement tenté de pousser son avantage, avant même le début du combat, en faisant des grimaces, en prenant des  attitudes de poisson demoiselle efféminée pour me faire sourire. Cet émule de Molière enchaînait également les bons mots, les poissons autour de nous gloussaient et se tordaient de rire. Je suis resté froid, imperturbable, la rumeur de ma victoire tonitruante sur le gallinacé ne s'était visiblement pas propagé vers les fonds marins. Il ne pouvait que me sous-estimer.
Sous l'arbitrage d'un poisson-ange, qui se situe toujours au dessus de la mêlée, l'affrontement allait débuter. La lumière émiettée qui nous parvenait de la surface éclairait la scène du duel. Je lui ai glissé un poil de mon menton sur la nageoire dorsale, je lui ai tenu la nageoire ventrale, nous avons fredonné le chant du combat des clowns : " Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette ". Cette fois-ci, je dégainais en premier, j'ai sorti un nez rouge et je lui ai chatouillé les nageoires. Je m'étais renseigné au préalable auprès de l'arbitre, ces deux techniques n'étaient pas interdites.
Ma victoire fut immédiate, complète et sans équivoque. Le poisson-clown explosa de rire, sa chair s'éparpilla et s'envola en éclats, flotta quelques instants au dessus de l'anémone. J'ai recueilli les bribes de la chair du poisson dans mes mains, j'ai enlevé le détendeur de ma bouche, et j'ai avalé l'ancien champion en miettes. Hélas, il manquait une petite pointe de citron pour relever le goût.

J'ai inspiré profondément, j'ai émergé hors de l'eau et me suis écrié : J'ai mangé un clown, j'ai mangé un clown ;-)

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