Les festivités du 29 juillet débutaient par une messe, on m'avait dit qu'une chorale spéciale était programmée ce jour-là. J'avais donc prévu d'assister à la cérémonie religieuse et donné rendez-vous à la cathédrale à des amis, mais Dieu ou la Nature se sont mis de la partie pour m'empêcher d'y aller... Lorsque je sors de la maison à 6h30 du matin pour me mettre sur le scooter, une très violente averse s'abat sur l'île. Je rebrousse prudemment chemin, en attendant que cela se calme un peu. Entrevoyant l'accalmie tant attendue une vingtaine de minutes plus tard, je me remets en selle. A peine le temps d'effectuer quelques dizaines de mètres, la pluie reprend de plus belle, redouble d'intensité. La pluie a été déclarée vainqueur par KO après le deuxième round, j'ai patienté à la maison...
Un peu avant huit heures, je scrute le ciel, l'éclaircie semble cette fois réelle. J'enfourche le scooter pour rejoindre les festivités. A peine arrivé sur le parking, les nuages m'ayant enfin repéré, la pluie recommence son manège. Je me réfugie à l'intérieur de la cathédrale, légèrement trempé, et j'assiste à la fin de la messe. En raison de la très grande affluence, de nombreuses personnes se tiennent debout, j'ai du mal à distinguer la cérémonie religieuse. J'observe à ma droite un jeune enfant qui tient d'une main la corde reliée à la cloche et qui attend visiblement avec impatience de pouvoir actionner celle-ci. La messe se termine, le voici agrippé à sa corde, montant et descendant pour faire retentir la cloche. L'assemblée sort par la grande porte en procession, en tête de file les anciens combattants suivis de la ministre Marie-Luce PENCHARD et du préfet.
Quatre poteaux avaient été dressés à l'extrémité de la place Sagato Soane (Saint Jean en wallisien), sur lesquels des tiges avaient été fixées. Les étoffes de manu, cousues deux par deux, se balançaient comme des palmes longues et effilées sous les rafales de vent violentes qui provenaient de l'océan. Entre les deux poteaux centraux était tendue une corde à partir de laquelle trois bandes de tissus retenues par des pinces à linge, aux couleurs du drapeau français, étaient liées entre elles par le chiffre "50".
Étoffes et drapeaux sous le vent
Les nuages et le soleil n'ont cessé de jouer au chat et à la souris durant toute la matinée. La cérémonie a débuté par un très long discours en wallisien du porte-parole du roi. Ce discours a consisté en une très longue litanie de remerciements envers les invités prestigieux de la cérémonie. Comme ils étaient nombreux et qu'il les a tous cités, le discours est devenu fleuve ... On m'a rapporté que d'après la traduction qui en a été faite à la télévision, il s'est déclaré très opposé à toute évolution du statut. La parole a été ensuite donnée à deux orateurs wallisiens, dont le président de l'assemblée territoriale.
Le moment des discours des officiels wallisiens
Je n'ai pas pu bien écouter les discours car, à intervalles réguliers, des bourrasques de pluie ont soudain cinglé et nous allions nous réfugier à l'abri sous le porche d'un bâtiment. La ministre a clos cette série de discours et là encore, la pluie et le vent se sont déchaînés pour rendre ce discours inaudible. D'après les éléments que j'ai perçu des discours, de ce que j'ai pu entendre des amis ou lire sur Internet, il m'a semblé que le débat porte actuellement sur l'interprétation de l'article 3 du statut du 29 juillet. La rédaction entière de celui-ci est la suivante : " Art. 3 - La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi " . Le premier orateur avait un discours très conservateur par rapport au statut, à la nécessité de la préservation de la spécificité wallisienne, tandis que la ministre de l'Outre-Mer a rappelé la primauté du droit. Il existe une contradiction interne, latente dans cet article. Celle-ci a éclaté au grand jour lors des événements de 2005 ou du conflit lié à l'électricité.
Discours de la ministre sous la pluie
Après ces discours, un petit déjeuner convivial était offert en face de la mer auquel nous avons pris part. Il s'agissait plutôt d'un repas complet puisque plats cuisinés à base de viande, de poissons, de bami étaient au menu. A la fin du repas, Anthony et moi avons pris place à l' extrémité d'une scène sur laquelle les groupes musicaux s'étaient succédés au cours des festivités, pour assister au kava royal et au "Katoaga", ce terme désignant un grand rassemblement coutumier au cours duquel un échange cérémoniel a lieu. Élément le plus impressionnant de la cérémonie, la présence d'une quarantaine de cochons cuits dans un "umu". Ils avaient été éviscérés et disposés sur des paniers tressés en palmes de cocotiers regorgeant d'ignames. A travers deux fentes incisées au niveau de la gorge et du ventre percent des morceaux de tronc de bananier de couleur verte. Les quatre pattes en l'air, la peau grillée au feu pour brûler les poils, les cochons peuvent rester des heures sous le soleil et la pluie, gorge et ventre déployés face au ciel. Parfois, l'un des cochons repose sur deux autres, ce trio est alors recouvert d'une natte.
Trois cochons sacrifiés pour le Katoaga
Tout au long de la journée, à chaque fois que les Wallisiens passaient devant le roi, ils s'inclinaient respectueusement devant sa personne. La cérémonie du kava royal, très protocolaire, s'est déroulée avant la distribution du cochon. Pendant celle-ci, il est interdit de rester debout, de parler, de fumer. Quelques gardes revêtus d'une tenue guerrière, armés d'une lance en bois, délimitent les espaces infranchissables. Un plaisantin s'est glissé parmi eux avant le début de la cérémonie...
Trouvez l'intrus parmi ces trois guerriers wallisiens ;-)
La racine de kava est un don symbolisant la paix et l'union. Le rituel du kava royal est réglé par un maître de cérémonie, qui dicte par la parole le passage aux différentes phases. Les Wallisiens, habillés en tenue traditionnelle, arrivent en transportant par groupe de quatre le "tanoa", récipient en bois à quatre pieds qui servira à la préparation du mélange. Ils s'installent devant le tanoa, l'un d'entre eux presse les racines tandis que son voisin verse l'eau. Ils accomplissent selon une chorégraphie bien coordonnée et stricte les gestes du rituel, au rythme du maître de cérémonie qui invoque la bénédiction sur les hommes et la nature. Le mélange est ensuite filtré avec des fibres de bourao, pour en extraire les copeaux de kava surnageant en surface.
Composition du kava royal
La boisson obtenue a été offerte ensuite selon le rang de chacun. Le roi de Wallis, le Lavelua, a été servi en premier tandis que l'invitée la plus prestigieuse, en l'occurrence la ministre, a bu le kava en dernier. Compte tenu du nombre très important des invités, la délégation de Nouvelle-Calédonie étant particulièrement imposante, la cérémonie de distribution a traîné en longueur. A la fin du kava royal, les cochons ont été distribués aux différents invités. Les Wallisiens s'approchent des cochons et désignent la personne à qui il est destiné. Si les invités "officiels" acceptent l'offrande, en réalité ils redistribuent "officieusement" cette nourriture à certains villageois. Compte tenu de la durée d'exposition en plein jour, il paraît que certains cochons peuvent aussi terminer à la déchetterie.
Par deux fois, la pluie a refait une courte apparition au cours de ces rituels. Je me suis abrité sous l'espace couvert de la scène la première fois. La deuxième fois, je me suis souvenu de ce roman de la comtesse de Ségur que j'avais apprécié étant enfant "Après la pluie, le beau temps". Je suis resté stoïque sous les gouttes de pluie, la comtesse avait raison : la pluie fine s'est déversée quelques minutes sur mon visage, les nuages gris ont fait un petit tour de piste puis ils se sont inclinés avec révérence devant le soleil.
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