jeudi 18 août 2011

Plongée de nuit à l'îlot de la Passe : Comatules et Murènes (début...)

Arrivée sur l'îlot - Préparatifs de la plongée

L'association de plongée "Te U Hauhaulele" avait programmé une plongée de nuit en collaboration avec Pascal NICOMETTE. Je suis arrivé vers 15 h au centre de plongée. Après avoir gréé nos équipements, nous avons chargé toutes les affaires sur le bateau. Je me suis tenu à la gauche du pilote, mon visage était giflé par les gouttelettes d'écume salée, mes yeux picotaient et clignaient sous l'effet du choc. J'ai incliné la tête pour continuer à sentir la fraîcheur de l'eau ruisseler sur mon crâne.
Arrivé sur l'îlot, j'ai accroché mon hamac aux poutres d'un falé. J'ai aidé trois amis "Ho Hisse" à transporter un immense tronc qui allait servir de combustible pour le feu de bois en pleine nuit. Vers 16h30, le groupe de l'association a commencé à préparer sa plongée, mais Pascal souhaitait démarrer une demi-heure plus tard, pour émerger de l'eau en pleine nuit wallisienne. Nous sommes partis à cinq pour aller chercher les gilets de plongée et les bouteilles restés sur le bateau. Au moment de chausser mes palmes, clown maladroit, je suis tombé en arrière et "patatras" j'ai fracassé une caisse en plastique. Je suis rentré penaud dans l'eau pour récupérer mon gilet et ajuster mon masque. Immersion ...

Plongée

Le jour commençait à s'assombrir, mais on pouvait encore voir clairement devant soi. Je suivais Pascal qui glissait adroitement le long des coraux. Au seuil du tombant, je regarde vers les profondeurs. J'expire pour m'enfoncer et là, désagréable surprise, je suis confronté pour la deuxième fois au phénomène irritant du placage du masque. Lors de la descente, le volume intérieur de l'air diminue avec l'augmentation de la pression. Le masque se plaque sur le visage avec un effet ventouse, une douleur intense se manifeste au niveau du sinus et des tempes. Je l'ai décollé et soufflé très fort par le nez. L'opération que je maîtrise encore mal m'empêche d'apprécier le début de l'exploration. Mon masque s'emplit aussi fréquemment de buée, je suis obligé à intervalles réguliers de le nettoyer en l'emplissant d'eau, puis de le vider en soufflant très fort par le nez. Je me contente au début de suivre le mouvement ... Lentement, la magie de la plongée opère malgré mes petits tracas. Le lagon s'assombrit progressivement, nous longeons le tombant.
Pascal nous fait signe avec sa torche, nous nous approchons d'une petite cavité. A l'intérieur deux yeux vigilants émergent du sable, nous scrutent sans rien perdre de nos mouvements. Il s'agit d'une raie pastenague à tâches bleues. Son corps en forme de disque et sa queue en fouet reposent à moitié enfouis dans le sable. Si un baigneur lui marche par inadvertance dessus, elle s'enfuit en donnant un coup de fouet avec sa queue munie d'aiguillons venimeux sur le pied ou la cheville du malheureux. J'ai scruté mes propres pieds et chevilles, je leur ai intimé l'ordre de se tenir loin du poisson. Alors qu'elles m'avaient désobéi sur le bateau, elles se sont tenues cette fois-ci au garde à vous ;-)
La nuit s'avance, la lumière du soleil devient de plus en plus lointaine, les lampes torches deviennent indispensables. Nous furetons le long des coraux et des roches, à la recherche de la merveille qui enchantera nos yeux, qui survivra dans le palais lumineux de notre mémoire. Les faisceaux de nos lampes se croisent, se décroisent, éclairent parfois le même endroit. Pascal nous fait une nouvelle fois signe, apparition d'un poisson porc-épic couché sur le sable. Son corps est recouvert d'aiguilles effilées. En cas de sentiment de menace, il avale de l'eau dans son abdomen et ses aiguilles dissuasives se dressent dans toutes les directions de l'espace. Mais les cinq paires d'yeux qui l'observaient n'avaient rien de menaçant, il est resté tranquillement sur le sable.
Souvenir le plus mémorable de la plongée, la vision douce et délicate des comatules posées sur les fonds marins. Lorsque Catherine attire mon attention sur celles-ci, je me dis qu'il s'agit de petites touffes de brindilles végétales de couleurs variées ondulant dans l'eau, mais je perçois un léger mouvement de l'un d'entre eux.

 Comatule en dentelle

Ce sont en réalité de minuscules animaux dont le corps est doté d'un petit cône dont jaillissent dix bras fragiles qui évoquent à la fois des tentacules ou des plumes finement striées. Elles ont une activité essentiellement nocturne et se révèlent très craintives ; dès que nous les éclairions, les bras des comatules se rétractaient en boule comme les pétales d'une fleur à l'approche d'une nuit. Elles se déplacent grâce à de minuscules appendices, les "cirres", qui tels des crampons leur permettent aussi de se maintenir fermement sur les coraux et les roches. A la fois fleurs, oiseaux, étoiles de mer, elles flottaient avec délicatesse et légèreté, déployant leurs dentelles dans l'ombre, se refermant dès qu'elles percevaient la lumière.
Je scrute le côté opposé au tombant, ma torche n'arrive pas à percer l'obscurité désormais complète et inquiétante des profondeurs. Je ne perds pas des yeux mes compagnons de plongée, la lumière de leur lampe est rassurante dans la noirceur du lagon. Le faisceau lumineux de la lampe de Pascal vibre encore, il nous prévient d'une nouvelle découverte. Un magnifique perroquet s'est engouffré par une ouverture située au dessus d'une cavité, nous éclairons celle-ci, la robe du poisson brille d'un éclat vert intense, profond et lumineux. Les quatre complices s'intercalent pour observer la scène, je suis situé au dessus d'eux, leurs bulles, échos de leur respiration m'assaillent, tourbillonnent autour de moi. J'éprouve tout à coup un sentiment de perte de repère dans l'espace, une sensation étrange d'étourdissement, de lévitation, je tournoie lentement. Impression de total vide, de flottement dans le néant en moi ... Combien de temps cela a-t-il duré, je suis incapable de le dire. Je me concentre sur la lumière des lampes, je me ressaisis, j'inspire, j'expire ... C'est la fin de la plongée, nous suivons Pascal qui nous emmène sereinement jusqu'au bateau. Quand nos corps surgissent hors de l'eau, nos yeux s'emplissent de la beauté et de la grâce qui débordent du ciel. Le soleil, tapi sous sa lointaine cavité, rayonnait d'une couleur de sang coagulé et sombre à l'ouest, tandis qu'une balise verte clignait régulièrement sur un îlot au milieu de ce spectacle rougeoyant. A l'est, le disque de la pleine lune trônait au milieu de l'horizon, entouré de quelques étoiles à l'éclat particulièrement vif.
A la sortie de l'eau, accueil royal : on nous a offert un punch avec des accras, petits beignets à base de poisson confectionnés spécialement par maître Stanley. Après m'être servi (et resservi...), je vais aller enfiler des vêtements secs sous le fale et je me rapproche du versant est de l'îlot. Le vaste miroir du lagon répercute la lumière de la lune, qui elle-même reflète le soleil qui vient de disparaître définitivement. Ondes et particules, les photons me frappent à leur tour, dans un bang étourdissant ils viennent mourir et se régénérer en moi. La couleur blanche de la lune se dilue sur la surface du lagon, qui scintille comme un immense linceul reposant dans la nuit apaisée de Wallis. 

Ballade de nuit


Vient l'heure du repas. Au menu grillades et salades de riz. La veillée autour du feu s'organise, les groupes se constituent, bavardent, tandis que les enfants s'amusent en attisant régulièrement le feu avec des palmes desséchées, qui s'enflamment subitement en émettant un petit craquèlement. Jésus me propose alors de faire un petit tour du côté du platier, la marée descendante permettant de récolter des mollusques et des crustacés. Je l'accompagne dans l'idée de réaliser un petite promenade digestive. Nous nous munissons de lampes, nous longeons la plage pour nous diriger vers la frange extrême de l'îlot. Nous commençons à avancer sur le platier, nos pieds barbotent dans l'eau. Éclaboussures à chacun de nos pas. Les murènes qui veillent s'enfuient à notre approche.
J'ai contemplé ma première murène lors d'une précédente exploration. C'est un poisson en forme de serpent, dépourvu de nageoires pectorales et ventrales, à la peau lisse et sans écailles. Elle a sorti sa tête hors du trou dans lequel elle reposait et n'a cessé de nous guetter. Sa bouche est garnie de dents acérées, sa morsure est venimeuse et douloureuse ... Elle nous a guettés tout au long de notre passage au dessus de son repaire, elle était effectivement inquiétante et effrayante. J'avais découvert l'existence de ce poisson à travers la lecture d'un poème de Guillaume Apollinaire, "La Chanson du Mal-aimé", je voyais la vision magique de la murène se matérialiser sous mes yeux, un mot aux consonances étranges et mystérieuses qui surgit devant soi. J'étais enchanté par cette apparition, et même après que nous nous sommes éloignés, je n'ai cessé de détourner la tête pour continuer à la contempler. Elle aussi continuait à m'observer ...
Le nom des murènes provient du romain Licinius Muraena qui élevait ces poissons dans de grands bassins à l'époque antique. Il les avait apprivoisées et les nourrissait à la main devant ses convives. Selon une légende tenace, et sans doute fausse, certains riches propriétaires les élevaient aussi et lançaient des esclaves en pâture aux murènes, pour le divertissement de leurs convives. En réalité, les murènes sont fort craintives et n'attaquent que si elles se sentent menacées. Lors de la ballade, Jésus et moi entendions de temps en temps un bruit vif, nous éclairions l'endroit d'où s'élevait le clapotis, nous voyions les murènes s'extraire des roches, fulgurantes, propulsant des gerbes d'eau, se faufilant entre les obstacles des roches, parfois même bondissant hors de l'eau pour s'éclipser encore plus vite. Dans leur fuite, elles ont projeté des éclats de vers d'Apollinaire vers ma face ...

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