mercredi 7 septembre 2011

Vie quotidienne à Wallis : Villages, Magasins et Eolienne

« Extension de ma main droite au ciel
Tension de ma main gauche à la terre
J'ai plongé ma langue jusqu'au cœur
J'ai tournoyé comme Mevlana »
Cantique turc en l'honneur de Mevlana

Géographie humaine
L'île est divisé en trois districts (Hihifo au nord, Hahake au centre et Mua au sud) avec une identité propre pour chacune de ces divisions administratives. Wallis présente une densité relativement importante avec 133 hab/km², à comparer avec la densité moyenne française de 94 hab/km². Toutefois, la densité en métropole est répartie entre des villes à densité très forte et de grandes zones beaucoup moins peuplées. Ici, nulle ville à l'horizon, aucun immeuble de taille élevée sur le territoire. Sur une superficie de 75,64 km², soit quasiment égale à celle de Strasbourg qui s'élève à 78,26 km², l'espace est essentiellement occupé par des maisons d'habitation, avec une quasi disparition de l'habitat traditionnel, le falé wallisien, au profit de constructions de type métropolitain, avec toujours une grande place réservée au jardin.


Falé traditionnel wallisien

Au fur et à mesure de la construction de nouvelles maisons, le sable environnant sur les plages, voire celui des îlots, a été utilisé pour le béton et ce mouvement a été très dommageable pour l'environnement, puisque le sable a quasiment disparu de l'île. Avantage du falé, il était réalisé à partir de matériaux locaux naturels renouvelables, avec un toit en feuilles de pandanus séchées et du bois pour la structure.
J'habite au nord dans le village de Malae, où les maisons sont très éloignées l'une de l'autre. Lorsqu'on se ballade sur l'île, on a le sentiment d'un espace rural, qui perdure même lorsqu'on traverse le chef-lieu de Wallis, à savoir Mata-Utu. En réalité, c'est un village du centre qui présente l'avantage de disposer d'un port. Il concentre l'essentiel des quelques administrations, de l'activité économique et des supermarchés.
Un nom de village amusant …

Le village d' Akaaka, un havre pour le footballeur
Kaka ?

Faire les courses à Wallis

On peut trouver l'essentiel dans les supermarchés et autres magasins. Toutefois, nos appétits sont immenses, nous ne sommes jamais rassasiés. Deux wharfs sur l'île, celui du sud pour le pétrole et le gaz ainsi que celui du centre pour l'ensemble des biens et services, reçoivent l'offrande des bateaux qui déversent chaque mois de quoi satisfaire nos faims. On dénombre trois supermarchés de taille moyenne sur l'île, la SEM, Amiwal et Interwallis. Les différences de prix sont faibles ou inexistantes puisqu'ils se fournissent chez le même grossiste, Général Import, qui détient de ce fait un monopole, ce qui est forcément préjudiciable pour les prix. Lorsque les prix ne sont pas identiques, une petite concurrence prix/qualité peut exister mais la concurrence reste marginale.

Ici, tout est cher, quasiment sans exception. L'éloignement de la métropole, l'absence d'une production locale efficace et diversifiée et de réelle concurrence font monter les prix de manière parfois vertigineuse. Toutefois, aucun fonctionnaire n'est à plaindre puisque les salaires sont bien plus élevés qu'en métropole. De plus une prime d'éloignement vient compenser ce surcoût de la vie. La situation est plus difficile pour certains Wallisiens, qui sont obligés de vivre dans une économie partiellement non monétaire, avec une petite exploitation de biens vivriers. Pour satisfaire leurs besoins, ils consomment également des poissons pêchés dans le lagon.

Les repères des papalanis restent liés à la métropole, nous ne pouvons nous empêcher de comparer les prix par rapport à l'antérieur, chacun ayant dans son tiroir un exemple de bien dont le prix est particulièrement exagéré. Ainsi dans ma famille modeste d'origine turque, nous avions l'habitude de consommer une salade typiquement anatolienne constituée de produits très simples tels que laitue, tomates, concombre et oignons. Toutes ces denrées deviennent des produits exotiques à Wallis et la confection de cette salade pour quelques personnes coûtera plus de 20 €, le simple kilo de tomates avoisinant déjà 13 ou 14 €. Cette salade du pauvre devient ici un mets de riche, un plat royal, je continue à en manger par habitude. La vie est variable aussi bien que l'Euripe ...

Au supermarché de la SEM, acronyme du modeste « Supermarché le Meilleur » retentit fréquemment un jingle de pub « C'est la SEM que j'aime ». Je l'aime, mais je lui fais des infidélités puisque je vais dans les trois supermarchés selon les biens que je souhaite acheter, les horaires d'ouverture, etc...

Un centre commercial « le Fenuarama » regroupe plusieurs boutiques aussi diverses qu'une librairie-papeterie, un photographe, un magasin de bricolage ainsi que les locaux de la seule banque de l'île, la BWF. Enfin, de nombreux épiciers répartis sur tout le territoire permettent de dépanner ponctuellement ou d'éviter d'avoir à se déplacer.

Mention spéciale au Samouraï


Mon magasin préféré est devenu le Samouraï, je le trouve d'une grande originalité, il ne ressemble à rien de ce que j'ai vu en métropole. Il marque tout de suite son importance, sa stature par un portique flanqué de deux lions nobles et fiers, mais encrassés par la poussière de Wallis...


Le lion gardien du Samouraï

Le bâtiment rectangulaire ne paie pas de mine, quelques fenêtres brisées n'ont jamais été remplacées. A l'intérieur, lorsqu'on commence à visiter le magasin, c'est un inventaire à la Prévert, un hymne au « divers » dont la logique d'association échappe à l'entendement habitué aux classifications métropolitaines. Au rez de chaussée, les pneus empilés les uns sur les autres côtoient les bétonnières, les scooters de fabrication chinoise, le matériel de pêche, les enduits, les outils de bricolage,... Au 2ème étage, vous pouvez y trouver des cuisinières à gaz, des machines à laver, des produits d'entretien de la cuisine, des ventilateurs, des jouets pour enfants. Le rangement au 3ème étage semble plus classique avec un rayon ameublement, des tables, des chaises, des lits,... Le premier matin où je monte tous les étages, je me cogne à chacune des marches, je me dis Sacré zigoto (je suis en effet très familier avec moi même ...) tu es vraiment fatigué et mal réveillé ce matin ; en redescendant les marches, je m'aperçois, détail qui était imperceptible à l'œil d'en bas, qu'en réalité les marches sont de taille très différente, le spectacle donne le sentiment d'une mer démontée aux vagues irrégulière, je comprends pourquoi je me cognais sans cesse les pieds, pourquoi j'avais le mal de mer ... 
En face, une annexe vend également de la parfumerie et des vêtements tandis qu'un immense garage déborde d'activité. Le personnel, d'origine essentiellement fidjienne (le SMIC horaire est bien plus élevé à Wallis qu'aux îles Fidji) est très aimable et avenant.

Élément neuf du paysage depuis seulement trois mois environ, une éolienne déploie ses pales dans le ciel de Wallis. Les énergies renouvelables sont peu utilisées ici, c'est la première éolienne du territoire


 Éolienne du Samouraï

Je suis fasciné par cette éolienne. Parfois, quand la chaleur est trop intense, en plein midi, je m'arrête, je descends de mon scooter, et je regarde attentivement tournoyer ses pales. Je ne perçois aucun souffle de vent, il ne vient pas jusqu'à moi pour me rafraîchir le visage, j'éprouve le besoin vital de me revivifier. Si seulement je pouvais m'élever, et ressentir à mon tour les rafales des alizés. Mais je regarde mes deux pieds vissés au sol, nulle aile n'émerge de mon dos, je suis condamné à rester attaché à mes liens terrestres. Soudain, je me souviens du chant de la quatrième murène sur le platier, qui m'avait murmuré le secret de l'envol. J'essaie de mettre mon âme en accord avec le monde, mais je ressens une vaste tourmente, un maelström de désespoir en moi, je dois m'apaiser, je dois m'apaiser, je dois m'apaiser ...

Lentement j'inspire l'air, j'expulse la tristesse, le découragement qui règnent dans les profondeurs de ma conscience. Les accords du vaste monde se diffusent en moi, ma poitrine se détend progressivement au rythme d'une respiration désormais sereine. Je déploie mes deux paumes ouvertes vers le ciel, vers l'azur, les immenses galaxies invisibles dans la lumière saisissante du midi. Stupeur incroyable ... je ressens des fourmillements me parcourir le corps, remonter le long de ma colonne vertébrale. Dans une lenteur infiniment douce,  je vois mes pieds qui s'élèvent de quelques millimètres du sol, je sens que je remonte comme une étoffe flottante le long du mât. Je reste suspendu à une quinzaine de mètres du sol, les pales de l'éolienne, acérées comme des sabres, découpent l'air, battent avec une fréquence variable selon les bouffées du vent, et le souffle qu'il me renvoie me parcourt délicieusement l'échine. Les courants électromagnétiques me parcourent, mon cœur virevolte de joie, danse, les tornades se transforment en ondes, en effluves de plaisir. Parfois, je commence à tournoyer moi-même, et il me semble m'enrouler autour de mon âme, fière et droite, éprise du sentiment de la justice. Je me tiens muet face au moulin à vent, je ne suis pas un moulin à paroles. Et pourtant quel vacarme étourdissant : mon cœur Bang Bang tonne, résonne, bat furieusement, bondit comme un jaguar à chacune des rondes des pales. Quelques oiseaux blancs volètent en plein ciel, suspendent leur vol quelques instants puis reprennent leurs lentes palpitations. Je contemple d'en haut les lions en pierre du portique qui se mettent en branle, s'animent. Ils déploient leur crinière longue et généreuse, secouent la poussière brunâtre accumulée depuis quelques années, leur rugissement retentissant claque en plein midi et dans mon cœur. Le cœur revigoré, je redescends doucement, mes pieds retrouvent leur assise, leur repère familier, leur mère nourricière, mais tout mon corps détendu garde la mémoire des bourrasques étourdissantes. Je ressens une gratitude infinie.

Un don ne doit jamais être fait en vain, je remercie silencieusement l'éolienne pour mon cœur régénéré. Parfois, je passe en scooter, je vois l'éolienne sans vie, inerte, en l'absence de vent. Je comprends que je me dois d'offrir un contre-don à l'offrande d'Eole. Je passe alors à plusieurs reprises, accélérant à chaque fois un peu plus, j'atteins une vitesse incommensurable. Rien n'y fait, les turbulences de l'engin ne s'élèvent pas, les pales restent immobiles. Je descends du scooter, je tends à nouveau mes paumes, je m'élève encore, avec beaucoup plus de difficultés, je ressens l'immense déchirement d'une joie non partagée au moment de l'élévation. Face à lui, je murmure « Œil pour œil, dent pour dent, souffle pour souffle », j'arrondis mes lèvres, les yeux fixés sur les pales, j'expulse bruyamment l'air de mes poumons, je m'époumone, corps et âme tendus par cet effort. Encore une fois, c'est l'échec. Je redescends, fatigué, peiné par les efforts que je viens d'accomplir sans succès. Je repars sur mon scooter avec un goût d'amertume au fond de mon palais. Au niveau de la glotte, j'ai du mal à déglutir.
Je regarde en arrière, il faudra que je réessaye.

2 commentaires:

  1. Tu nous mettras une photo de ton "falé" à toi ?
    Isabelle

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  2. Une photo et une petite description de ma carapace de tortue ou de bernard l'ermite est prévue (mais quand ? il faut que l'inspiration vienne...), mais point de falé à l'horizon puisqu'ils ont quasiment disparu. Vulgaire construction occidentale ... A ++

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