lundi 12 septembre 2011

La véritable histoire de Saint Apollinaire et de sa canonisation

Lundi 12 septembre 2011, jour de la Saint Apollinaire ...

Une rapide recherche sur Internet pourrait faire croire que Saint Apollinaire vécut au 1er siècle, non avant mais après Jésus-Christ. Il vint d'Antioche à Rome avec Saint Pierre, puis fut envoyé à Ravenne pour y prêcher la foi. Il y accomplit des miracles, notamment en rendant la vue au fils d'un soldat, mais également en guérissant la femme d'un tribun, atteinte d'un mal incurable. Il s'approcha du lit de la jeune fille d'un noble praticien sur le point de mourir, lui demandant de reconnaître la vraie foi. Elle se leva, pleine de vie en s'écriant : « Oui, le Dieu d'Apollinaire est le vrai Dieu » (D'aucuns prétendent qu'elle aurait dit "Le vrai Dieu est Apollinaire" mais c'est une tradition minoritaire dans la chrétienté). A la suite de ces prodiges, de nombreuses personnes se convertirent. Il dut alors faire face à de nombreuses persécutions : flagellation, chevalet, huile bouillante, horreurs de la faim. Il couronna sa vie par un glorieux martyre.

Or, bien entendu, il n'en est rien ... Qui connaît ce saint ? Je ne vois aucune main qui se tend de l'autre côté de l'ordinateur...

Le véritable Saint Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary de Wąż-Kostrowick, d'ascendance polonaise et italienne, est né le 26 août à Rome et mort pour la France le 9 novembre 1918. Faits marquants de se vie : il accompagna sa mère dans une vie aventureuse avant de devenir vers vingt ans précepteur de la fille d'une vicomtesse dans un château en Rhénanie. Il en profita pour voyager sur le Rhin, flâner à Berlin, Munich, Prague, Vienne et connut sa première expérience amoureuse, son premier échec avec Annie Playden, gouvernante au château. Avec son esprit et de sa chair meurtris, il composa « La Romance du Mal Aimé » ainsi que « L'Emigrant de Landor Road ». Revenu à Paris, il s'enivra de la vie intellectuelle et artistique de son temps, devenant un ami fidèle et fantaisiste pour Picasso, Vlaminck, Max Jacob. Il poursuivit une relation belle, intense et durable avec Marie Laurencin, passion qui mourut physiquement avant de ressusciter pour l'éternité sur « le Pont Mirabeau ». Il fut victime d'une persécution en 1912 en étant injustement mis en prison à la suite du vol de la Joconde. Il pardonna pourtant à ses persécuteurs, en retrouvant les accents de Villon et de Verlaine pour narrer sa peine en prison. Il s'engagea dans l'armée française, ce qui accéléra sa procédure de naturalisation. Il fit la guerre bien qu'il la détesta car celle-ci s'accompagne d'un cortège de malheurs et d'injustices, mais il la supporta en pratiquant toujours le miracle de l'amitié avec ses compagnons d'infortune. Il emmêla le souvenir de nouvelles amours aux souvenirs des anciennes dans une poésie naïve, imagée et sincère. Courageux dans le combat, il connut le martyre en étant blessé à la tête alors qu'il veillait dans une tranchée. La douleur vive et intense le conduisit à la trépanation, technique qui consiste à pratiquer un trou dans la boîte crânienne en réalisant une découpe circulaire afin de soulager la douleur.

Saint Apollinaire avec son auréole en 1916

Affaibli par cette blessure, il connut l'injustice d'avoir échappé à la mort au combat pour mourir de la grippe espagnole, après quelques mois de mariage heureux avec Jacqueline. Malgré la malchance qui le poursuivit, il décida de mourir en souriant. Sa tombe au Père Lachaise où reposent ses reliques, porte en épitaphe ces quelques vers de « Colline », poème-témoignage de son extrême bonté : 
"(...) Je me suis enfin détaché
De toutes choses naturelles
Je peux enfin mourir mais non pécher
Et ce qu’on n’a jamais touché
Je l’ai touché je l’ai palpé 
Et j’ai scruté tout ce que nul
Ne peut en rien imaginer
Et j’ai soupesé maintes fois
Même la vie impondérable
Je peux mourir en souriant
Habituez vous comme moi
A ces prodiges que j’annonce
A la bonté qui va régner
A la souffrance que j’endure
Et vous connaîtrez l’avenir"
Qui connaît cet Apollinaire ? De nombreuses mains s'élèvent de l'autre côté de l'ordinateur. La véritable vie du saint est rétabli, C.Q.F.D.
Le processus de canonisation fut très long, mais dura moins longtemps que celui de Jeanne d'Arc. C'est la "vox populi" qui désigna ce poète comme éminemment saint et d'un grand rayonnement spirituel. Le Vatican nomma alors en premier lieu le postulateur de la cause d'Apollinaire qui se trouvait être l'évêque de la ville d'Aragon en Espagne qui eut pour mission de plaider l'accession du poète à la sainteté. Il se chargea de recueillir lors de l'instruction du dossier tous les témoignages de la vie exemplaire d'Apollinaire. Il démontra qu'Apollinaire garda une foi intacte, ardente durant toute sa vie pour l'humanité, malgré la persécution, la malchance qui le poursuivit, les horreurs de la sale guerre dont il fut le témoin : morts atroces, corps déchiquetés et défigurés, douleur de la peur et de la faim, gaz asphyxiants, perte des amis les plus proches ... L'évêque n'eut qu'à recueillir les nombreux témoignages pour preuves de ses bonnes œuvres. Ses proches, ses compagnons de tranchée, ses anciennes compagnes, sa femme rappelèrent à quel point sa vie fut consacrée à la propagation de l'amour et de l'amitié. Il fut mis en prison pour avoir simplement hébergé un ami kleptomane qui avait dérobé des statuettes au Louvre au moment du vol de la Joconde, alors qu'il lui conseilla au contraire très amicalement de rendre son butin. Il garda une âme égale face à l'adversité et se garda de maudire ses persécuteurs. Les preuves de ses miracles se multiplièrent : les jeunes filles sur le point de mourir, faute d'avoir été aimées, racontèrent les effets merveilleux de ses vers sur la conscience humaine, la résurrection qu'ils entraînaient ; les hommes, dont certains étaient atteints du mal incurable de la solitude, évoquèrent le sentiment de fraternité qu'ils ressentaient en lisant ses ouvrages, la fantaisie enchanteresse et miraculeuse qui émanait de sa poésie, la bonté et la vérité qui émanaient de son écriture, qu'elle régénérait l'esprit et le corps.
Bien sûr, le procès fut aussi instruit à charge. Le promoteur de justice, anciennement surnommé "l'Avocat du diable" ne manqua pas d'observer que l'auteur des "Onze Mille Verges" et des "Exploits d'un jeune Don Juan" avait écrit des ouvrages licencieux. Le postulateur de la cause d'Apollinaire  le défendit en expliquant qu'il s'agissait de fantaisies obscènes d'un esprit adolescent avide de chair, que ces textes n'étaient que les écrits d'un esprit libre et facétieux, que ces jeux érotiques immatures devaient aboutir à la maîtrise d'un poème aussi abouti que celui qui fut dédié à Lou :
"Si je mourais là-bas..."
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt

Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier



Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants


Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie

Le postulateur rappela que souhaiter que la joie demeure après sa mort, y compris pour le futur amant de son amoureuse, est un pur acte d'amour, un acte chrétien, que l'érotisme merveilleux, invisible et immanent qui parcourt ces lignes devait largement à ses anciens écrits scabreux. Il déclara que célébrer le corps d'une femme n'a rien de choquant, que le corps est toujours là quand nous mangeons, quand nous marchons, quand nous pensons, quand nous nous tournons vers Dieu pour prier.

La requête de sainteté fut transmise à la Congrégation pour les causes des saints puis remise au pape. Celui-ci, d'ascendance polonaise et italienne, trancha favorablement en sa faveur le 9 novembre 2118, soit très exactement deux siècles après sa mort. Lorsqu'il fallut choisir la date de célébration de ce saint, tout le monde s'accorda à dire que l'auteur de "La romance du Mal-Aimé", qui ne trouva Jacqueline pour un mariage heureux qu'à l'orée de sa mort, devenu l'immense Aimé de la littérature, apprécié des amants esseulés et des aimants comblés, ne pouvait que se placer juste devant Saint Aimé, célébré le 13 septembre, pour ainsi le précéder et l'annoncer pour l'éternité.

Dicton du jour :
Le jour de la Saint Apollinaire 
Son esprit resplendit dans les airs

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