« M'aimez-vous
bien ? »
Mozart,
enfant, phrase prononcée à tout venant
L'arrivée à Salzbourg
Autriche,
terre promise des deux voyageurs, se dévoile enfin à nos yeux. Le
passage de l'Allemagne à la terre autrichienne se déroule sous les
roues de nos vélos sur une passerelle étroite qui offre un bref
instant le spectacle d'une symphonie de tons verts.
A
gauche, l'Allemagne ; à droite l'Autriche
Salzbourg,
ville quasi frontalière, était une étape fixée d'avance sur notre
carnet de route. Première vision marquante de la ville, sur un
contrefort se dresse les remparts de la forteresse de Hohensalzbourg,
point de repère idéal qui permet à chaque moment de s'orienter
dans la ville.
La
forteresse des princes-archevêques
Une
fois arrivés à Salzbourg, nous nous enquérons du chemin du
camping, mais une fois encore le vélo de Rémy émet des signes de
fatigue, quelques rayons explosent à nouveau, nous voilà sur la
pelouse d'un parc à devoir le réparer (euh, le voilà qui répare
tandis que je l'assiste, que je l'admire …). Il est absorbé par sa
tâche, concentré à l'extrême, lorsqu'un grand bruit résonne à
ma droite, suivis par l'explosion des pleurs d'un enfant. Une jeune
femme vient de faire une chute à vélo à quelques pas de nous, elle
tractait une remorque dans laquelle reposait ses deux garçons,
celle-ci est renversée et le plus petit pleure à chaudes larmes.
Nous aidons la femme sous le choc, visiblement tendue et stressée,
nous consolons les enfants, plus de peur que de mal heureusement.
Rémy tente de réparer mais c'est impossible, l'attache de la
remorque est tordue. Le père de la jeune mère appelé à la
rescousse embarque ses petits enfants ainsi que la remorque tandis que la
femme repart vaillamment sur son vélo.
Nous
atteignons le camping en fin d'après-midi, celui-ci est à l'écart
de la ville, au pied de collines verdoyantes. C'est une belle
surprise, le camping est vaste, bien entretenu et d'une grande
propreté.
A
la poursuite de Mozart
Rémy
avait commandé plusieurs rayons pour son vélo à Munich mais il
s'avère qu'ils n'avaient pas été coupés à la bonne taille. Le
lendemain de notre arrivée, nous recherchons en fin de matinée un
réparateur avant de prendre le déjeuner ensemble. J'entame un petit
tour de la ville dans l'après-midi.
La
fortune de la cité est liée à celle des princes-archevêques. Le
plus célèbre d'entre eux, Colloredo, ne doit la plus grande part de
gloire qu'à l'ombre ternie qu'il porta sur l'immense célébrité de
Mozart. Traité sans cesse avec mépris, considéré comme un simple
domestique, humilié, celui-ci s'en va, bien aidé, paraît-il, par
un vigoureux coup de pied au derrière du secrétaire de Colloredo.
Coup de pied particulièrement efficace puisqu'il propulsa Mozart et
sa musique vers l'éternité, que celle-ci résonne lors d'un
festival qui se tient chaque été à Salzbourg alors que le musicien
détestait cordialement sa ville natale, trop provinciale à son
goût, manifestant peu d'intérêt pour la musique et l'art en
général. Le nom du Mozart sert aussi désormais à vendre du
chocolat, des liqueurs ; son génie musical ne se contente plus de
faire vibrer nos oreilles, le son s'est diffusé, s'est métamorphosé pour se savourer directement dans nos palais
jusqu'à l'ivresse ;-)
Juste
à côté de l'office du tourisme, sur la place Mozart, ô divine
surprise, une statue de … Mozart
Au
dessus d'un ange
J'avance
vers la Residenzplatz, au milieu de laquelle une fontaine, ornée de
chevaux, de tritons et d'atlantes aux corps ployés, séparées par
des roches et de vastes coupes, projette vers le ciel une gerbe
magnifique d'eau blanche écumeuse, qui vient s'unir brièvement à
ses frères-nuages pour replonger avec frénésie vers la source.
Fontaine
ardente
Je
me dirige vers la cathédrale de style baroque. Les sculptures des
portes ont pour thème la Foi, l'Espérance et la Charité. Au centre
du vaste dôme resplendit une discrète colombe blanche au milieu de
grands éclats de couleur or.
Le
Saint Esprit
En
sortant, je me dirige vers la place de la cathédrale, sur laquelle
se dresse une colonne de la Vierge, avec dans ses mains l'enfant
Jésus, futur crucifié. Le parvis est encombrée d'une scène, ainsi
que de rangées de sièges pour les spectateurs. Tandis que je
marche, une musique tombe des cieux, comme une pluie qui s'accentue
au fur et à mesure de mon avancée. Je tends l'oreille, depuis les
nuages s'épanche un orchestre invisible dont les notes
souveraines envahissent l'espace. Je reconnais le morceau, c'est la symphonie 40
en sol mineur, mouvement Allegro Assai, qui s'abat comme une immense
tourmente autour de moi. Je marche, tandis que les bouffées de
violence, de colère s'abattent en cascades tumultueuses. Les
contrastes musicaux marqués, exacerbés par les violons tendus à
l'unisson délivrent la tonalité sombre du passage. Deux brèves
accalmies interviennent, dans lesquelles plane une tension interne,
mais à chaque fois, les vibratos frénétiques des violons
reprennent la course poursuite vers les abîmes. La pluie diluvienne
de notes éclate autour de moi, le tumulte intérieur en quête de
soulagement gronde, le sentiment de colère du monde contre
l'injustice plane. Lorsque les instruments se sont tus, je ressens autour de moi le souvenir d'une furie qui a explosé dans
les cœurs, comme un feu d'artifice de colère, un bouillonnement de
sang vif.
J'entre
dans le cimetière Saint Pierre, dans lequel des grilles de fer forgé
délimitent les caveaux dans lesquels reposent les morts. S'élève
alors des tombes la messe de Requiem en ré mineur. Les bassons puis
les cors de basset de l'Introitus commencent à donner la tonalité
sombre, ténébreuse de l'ensemble. Puis la prédominance du chant
s'affirme, le chœur entonne sa prière en latin :
« Seigneur,
donnez leur le repos éternel,
Et
faites luire sur eux la lumière sans fin »
En
contrepoint, le chant soprano monte, les accents tragiques,
tourmentés s'imposent. Dans le Kyrie, les voix graves et aiguës,
masculines et féminines, s'entrelacent, se fiancent, s'épousent dans une fugue
éperdue, un halètement, un grand cri de pitié, une supplication
vive se projette vers les cieux.
Une
lumière douce dont je ne percevais ni le début ni la fin, semblait
sourdre des tombes, se répandre dans l'air. Aucune peur ne m'agite
devant ce chant d'angoisse devant la mort, dont la beauté exalte la
borne nécessaire de l'homme, nous incitant simplement à nous
souvenir de l'amour que nous avons voué à nos chers disparus. Lueur éternelle,
apaisée des morts sur nous, resplendissement du passé. Nulle
résurrection des corps, mais communion éternelle, immanente dans le
présent à travers le souvenir qu'ils ont déposé en notre âme.
Leurs actes, leurs pensées, leurs choix, leurs aspirations vibrent
au fond de nous, à travers les années et les siècles. Leur souffle
spirituel nous anime, une chaîne invisible, impalpable, inexorable
est tendue vers nous, nous liant pour l'éternité.
Je
continue mon chemin, visitant l'abbatiale Saint Pierre, attenante au
cimetière ainsi que l'église des Franciscains. Au cours de cet
après-midi, vision de la très belle statue d'un faune
Un
Faune dans l'après-midi
Je
m'engage dans la Getreidegasse, très belle artère du centre de
Salzbourg. La rue piétonne est étroite, bordée de maisons aux belles
enseignes de fer forgé, très animée. Au n°9, la maison natale de
Mozart.
Getreidegasse
Je
croise d'innombrables passants, touristes comme moi ou habitants de
la ville, hommes, femmes, enfants, je les frôle, Bang Bang il me
semble percevoir leurs battements de cœur frénétiques, désordonnés,
ne sachant quel sens donner à leur vie. Le chaos s'organise, devient
une marche cadencée, accélérée, les palpitations qui se succèdent
à allure vive donnent la cadence de la sonate pour piano n°11 en la
majeur, 3ème mouvement Rondo alla Turca. Les battements de cœur des
passants et les miens s'enchâssent dans le mouvement joyeux de la
sonate, les doigts d'un musicien invisible percutent chacun d'entre
nous à un rythme effréné. Comme des percussions de tambourins
délicats, des tintements de clochette allègres, les notes enjouées
résonnent depuis nos poitrines dans l'espace. Pas de pesanteur
militaire dans cette marche, un esprit moqueur, taquin déploie la
grâce d'une musique aux accents toniques ; une pulsion de vie
dynamique, légère, fantaisiste s'exhale miraculeusement du choeur
que je forme avec les passants pour danser puis s'évaporer dans les cieux.
Par
de petites ruelles, je me rends vers le couvent Nonnberg qui se situe
dans les hauteurs, juste à côté du château qui domine la ville.
Je redescends, je vais sur l'autre rive de la Salzach, cours d'eau qui traverse la
ville, pour me rendre vers la colline opposée dénommée
Kapuzinerberg. Alors que je monte les escaliers, voilà que retentit
en moi les accents du concerto pour piano n°21, mouvement Andante.
Mon coeur résonne comme les accords du piano, chacun de ses frissons
est empreint d'une gravité suave, d'une tristesse contenue, noble,
majestueuse. Les cordes, les instruments à vent invisibles viennent
entamer un dialogue délicat, esquissent de légers frôlements
d'angoisse vers moi mais mon coeur-piano s'interpose, maîtrise les
éléments pour imposer avec douceur ses vibrations sereines,
célestes.
Vue
de Salzbourg depuis la montagne des Capucins
La
trépanation secrète
Je
laissais la visite du château pour le lendemain. Mauvaise idée, dès
le réveil, une pluie incessante a commencé à barrer l'horizon.
Toute la journée, les nuages gris-noirs succédèrent aux nuages
gris-noirs, pas une seconde d'accalmie, sinon que la pluie baissait
parfois en intensité mais pour reprendre de plus belle sa mitraille
continue, vive et drue depuis les cieux. Rémy et moi prîmes notre mal en
patience, passant le plus clair de notre temps dans le restaurant,
désoeuvrés, parlant comme peuvent le faire deux amis de très longue date de tout et de rien, échanges intellectuels et affectifs. Je lisais un livre qu'il m'avait conseillé de lire. Il
parcourait la presse populaire autrichienne, il m'apprit que la scène
sur la parvis de la cathédrale était dressée pour la
représentation de la pièce « Jedermann » de Hugo Von
Hoffmannstahl, qu'on peut traduire par « Tout un Chacun »,
« N'Importe Qui », qui se tient chaque année lors
du festival de Sazbourg depuis 1920. Les journaux rappelaient toutes
les versions successives les plus célèbres et marquantes de la
pièce, s'interrogeant sur celle qui allait être représentée. Le
personnage principal appelé
Jedermann se retrouve soudain face à la Mort qui veut le confronter
à son Créateur. Il a besoin d’un témoin de sa bonté mais ni sa
famille, ni son meilleur ami ne veut l’accompagner ; seules ses Bonnes
œuvres et la Foi le réconfortent, acceptent de l'accompagner le
sauvant ainsi des griffes du Diable. La pièce m'a semblé d'un
symbolisme chrétien très chargé mais elle est très populaire,
c'est un grand honneur que d'être désigné acteur de "Jedermann". J'étais un peu navré par la morale de la pièce : à titre personnel, j'aurais témoigné pour Rémy ...
Le ciel, immense manteau épais,
étouffant, menaçant, continua à délivrer les trombes d'eau. La colère du ciel semblait démesurée, sans fin. Depuis le début
du voyage, je voyais que mon ami était préoccupé, tourmenté, ce qui
m'attristait ; passé, présent et futur s'emmêlaient en lui sans
qu'il puisse en dénouer les fils. Ce soir là, il fut pour la
première fois du voyage obligé de dormir sous la tente en raison de la pluie.
J'acceptais de dormir à la belle étoile lors des étapes
intermédiaires, mais dès que nous étions dans les campings, je
préférais m'endormir sous la barrière protectrice de la tente de couleur bleue
tandis qu'il continuait à vouloir trouver le sommeil dehors, à la clarté lointaine
de la Voie Lactée. Je suis fasciné par la trépanation que dut subir Guillaume Apollinaire pour soulager ses maux de tête interminables après une blesssure de guerre, je décidais que pour
allèger les peines de mon ami, il me fallait pratiquer cette
opération, qui consiste à pratiquer une ouverture perforatrice dans
la boîte cranienne pour soulager l'hypertension.
J'ai attendu qu'il s'endorme
profondément. J'ai sorti de mes affaires un petit burin ainsi qu'un
marteau achetés la veille, je me suis approché de sa tête, j'ai
éclairé avec ma lampe frontale et j'ai commencé à entailler l'os,
à marteler sur le sommet de son crâne rasé comme le mien, en pratiquant une découpe
circulaire. J'avançais avec beaucoup de précaution, quelques
minuscules fragments s'envolaient comme des copeaux de bois, je les
mettais de côté pour les remettre ultérieurement à leur place.
L'opération manuelle nécessite une minutie d'orfèvre, un doigté
extrême. A un moment donné, Rémy a esquissé un mouvement, je
pensais qu'il allait se réveiller, je cessais de respirer, angoissé
à l'idée d'être interrompu mais j'ai l'avantage qu'il a un sommeil
de plomb, il a simplement adopté une position plus confortable.
L'opération était
terminée, le cercle était d'une perfection miraculeuse, je me suis servi du burin
comme d'un levier, j'ai soulevé l'os crânien. La tente était plongée dans une pénombre à peine troublée par la lueur qui émanait de mon front. Agenouillé, j'ai contemplé le lobe pariétal qui scintillait, les neurones dessinaient des entrelacs somptueux,
énigmatiques, pareils à des constellations d'un reflet doré, pâle
et délicat alors que le pluie soudainement plus apaisée résonnait par arpèges, pianotait en sourdine sur la mince toile bleue tendue au dessus de nous qui battait comme une aile d'ange parcourue par les frissons du vent. Je retenais mon souffle par instant, j'entendais les vagues bruits de la nuit au dehors tandis que sa respiration se mêlait à cette rumeur, s'écoulait en cadence, soulevant avec légèreté sa poitrine. Je voyais s'échapper depuis les synapses ses pensées,
ses rêves, comme des bulles impalpables, diaphanes qui tournoyaient miraculeusement dans
l'air. Chat griffu, j'ai essayé de les attraper mais en vain, elles
éclataient en mille autres morceaux plus petits qui revenaient avec douceur reprendre
place dans sa tête. Dans l'une de ces bulles, j'ai vu le reflet de
trois gorgones aux longs cheveux noirs ondulants, au regard de fièvre, insatisfait, je
soufflais sur elles, elles disparurent comme de la poussière
d'étoiles. Rémy continuait à dormir du sommeil du juste.
Il
me fallut lentement remettre en place la partie de l'os que j'avais
enlevé, raccommoder avec précaution chacun des fragments qui
s'étaient détachés. Je voyais les bords du cercle cicatriser en
rougeoyant. L'opération fut-elle un succès ? Il fut plus détendu,
beaucoup plus apaisé pendant la deuxième partie du voyage, mais
peut-être s'était-il simplement habitué à moi … En garda-t-il une trace ? Je ne saurais vous le dire, Rémy me domine en taille de 24 cms, je n'arrive jamais à voir le sommet de son crâne ;-)
Sérénade
pour vous endormir
Avant que ne vous tombiez dans les bras de
Morphée, je vous souhaite à tous une bonne nuit et vous offre cette petite
musique avant de vous endormir. Petit éclat musical léger, aérien, intense édifié patiemment note après note par l'arrière petit-fils d'un maçon qui résida dans la cité sociale de la Fuggerei à Augsbourg.
Petite dédicace à un fils de plâtrier, de la part d'un fils de peintre en bâtiment ;-)
Et joyeux anniversaire
Petite dédicace à un fils de plâtrier, de la part d'un fils de peintre en bâtiment ;-)
Et joyeux anniversaire
Petite musique de nuit du grand Mozart
Merci, tu nous a manqué ce week end à la grange. Christian était là.
RépondreSupprimerRémy
C'est la grosse crampe Erhan !
RépondreSupprimerJ'ai même dû mettre pied à terre sur les derniers kms de la montée. Vivement la descente ...
RépondreSupprimerLa voiture balai va poindre derrière le virage...
RépondreSupprimerJe suis tombé dans un fossé ... Je viens de faire le semi-marathon de Wallis et j'ai abandonné au 6ème km, c'est d'actualité ...
RépondreSupprimerMais je vais resortir du fossé, derrière la voiture balai et continuer ;-)