vendredi 11 mai 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Salzbourg, une petite musique de Mozart

« M'aimez-vous bien ? »
Mozart, enfant, phrase prononcée à tout venant


L'arrivée à Salzbourg

Autriche, terre promise des deux voyageurs, se dévoile enfin à nos yeux. Le passage de l'Allemagne à la terre autrichienne se déroule sous les roues de nos vélos sur une passerelle étroite qui offre un bref instant le spectacle d'une symphonie de tons verts.


A gauche, l'Allemagne ; à droite l'Autriche


Salzbourg, ville quasi frontalière, était une étape fixée d'avance sur notre carnet de route. Première vision marquante de la ville, sur un contrefort se dresse les remparts de la forteresse de Hohensalzbourg, point de repère idéal qui permet à chaque moment de s'orienter dans la ville.


La forteresse des princes-archevêques


Une fois arrivés à Salzbourg, nous nous enquérons du chemin du camping, mais une fois encore le vélo de Rémy émet des signes de fatigue, quelques rayons explosent à nouveau, nous voilà sur la pelouse d'un parc à devoir le réparer (euh, le voilà qui répare tandis que je l'assiste, que je l'admire …). Il est absorbé par sa tâche, concentré à l'extrême, lorsqu'un grand bruit résonne à ma droite, suivis par l'explosion des pleurs d'un enfant. Une jeune femme vient de faire une chute à vélo à quelques pas de nous, elle tractait une remorque dans laquelle reposait ses deux garçons, celle-ci est renversée et le plus petit pleure à chaudes larmes. Nous aidons la femme sous le choc, visiblement tendue et stressée, nous consolons les enfants, plus de peur que de mal heureusement. Rémy tente de réparer mais c'est impossible, l'attache de la remorque est tordue. Le père de la jeune mère appelé à la rescousse embarque ses petits enfants ainsi que la remorque tandis que la femme repart vaillamment sur son vélo.
Nous atteignons le camping en fin d'après-midi, celui-ci est à l'écart de la ville, au pied de collines verdoyantes. C'est une belle surprise, le camping est vaste, bien entretenu et d'une grande propreté.



A la poursuite de Mozart


Rémy avait commandé plusieurs rayons pour son vélo à Munich mais il s'avère qu'ils n'avaient pas été coupés à la bonne taille. Le lendemain de notre arrivée, nous recherchons en fin de matinée un réparateur avant de prendre le déjeuner ensemble. J'entame un petit tour de la ville dans l'après-midi.

La fortune de la cité est liée à celle des princes-archevêques. Le plus célèbre d'entre eux, Colloredo, ne doit la plus grande part de gloire qu'à l'ombre ternie qu'il porta sur l'immense célébrité de Mozart. Traité sans cesse avec mépris, considéré comme un simple domestique, humilié, celui-ci s'en va, bien aidé, paraît-il, par un vigoureux coup de pied au derrière du secrétaire de Colloredo. Coup de pied particulièrement efficace puisqu'il propulsa Mozart et sa musique vers l'éternité, que celle-ci résonne lors d'un festival qui se tient chaque été à Salzbourg alors que le musicien détestait cordialement sa ville natale, trop provinciale à son goût, manifestant peu d'intérêt pour la musique et l'art en général. Le nom du Mozart sert aussi désormais à vendre du chocolat, des liqueurs ; son génie musical ne se contente plus de faire vibrer nos oreilles, le son s'est diffusé, s'est métamorphosé pour se savourer directement dans nos palais jusqu'à l'ivresse ;-)


Juste à côté de l'office du tourisme, sur la place Mozart, ô divine surprise, une statue de … Mozart


Au dessus d'un ange


J'avance vers la Residenzplatz, au milieu de laquelle une fontaine, ornée de chevaux, de tritons et d'atlantes aux corps ployés, séparées par des roches et de vastes coupes, projette vers le ciel une gerbe magnifique d'eau blanche écumeuse, qui vient s'unir brièvement à ses frères-nuages pour replonger avec frénésie vers la source.



Fontaine ardente


Je me dirige vers la cathédrale de style baroque. Les sculptures des portes ont pour thème la Foi, l'Espérance et la Charité. Au centre du vaste dôme resplendit une discrète colombe blanche au milieu de grands éclats de couleur or.


Le Saint Esprit


En sortant, je me dirige vers la place de la cathédrale, sur laquelle se dresse une colonne de la Vierge, avec dans ses mains l'enfant Jésus, futur crucifié. Le parvis est encombrée d'une scène, ainsi que de rangées de sièges pour les spectateurs. Tandis que je marche, une musique tombe des cieux, comme une pluie qui s'accentue au fur et à mesure de mon avancée. Je tends l'oreille, depuis les nuages s'épanche un orchestre invisible dont les notes souveraines envahissent l'espace. Je reconnais le morceau, c'est la symphonie 40 en sol mineur, mouvement Allegro Assai, qui s'abat comme une immense tourmente autour de moi. Je marche, tandis que les bouffées de violence, de colère s'abattent en cascades tumultueuses. Les contrastes musicaux marqués, exacerbés par les violons tendus à l'unisson délivrent la tonalité sombre du passage. Deux brèves accalmies interviennent, dans lesquelles plane une tension interne, mais à chaque fois, les vibratos frénétiques des violons reprennent  la course poursuite vers les abîmes. La pluie diluvienne de notes éclate autour de moi, le tumulte intérieur en quête de soulagement gronde, le sentiment de colère du monde contre l'injustice plane. Lorsque les instruments se sont tus, je ressens autour de moi le souvenir d'une furie qui a explosé dans les cœurs, comme un feu d'artifice de colère, un bouillonnement de sang vif.

J'entre dans le cimetière Saint Pierre, dans lequel des grilles de fer forgé délimitent les caveaux dans lesquels reposent les morts. S'élève alors des tombes la messe de Requiem en ré mineur. Les bassons puis les cors de basset de l'Introitus commencent à donner la tonalité sombre, ténébreuse de l'ensemble. Puis la prédominance du chant s'affirme, le chœur entonne sa prière en latin :


« Seigneur, donnez leur le repos éternel,
Et faites luire sur eux la lumière sans fin »


En contrepoint, le chant soprano monte, les accents tragiques, tourmentés s'imposent. Dans le Kyrie, les voix graves et aiguës, masculines et féminines, s'entrelacent, se fiancent, s'épousent dans une fugue éperdue, un halètement, un grand cri de pitié, une supplication vive se projette vers les cieux.
Une lumière douce dont je ne percevais ni le début ni la fin, semblait sourdre des tombes, se répandre dans l'air. Aucune peur ne m'agite devant ce chant d'angoisse devant la mort, dont la beauté exalte la borne nécessaire de l'homme, nous incitant simplement à nous souvenir de l'amour que nous avons voué à nos chers disparus. Lueur éternelle, apaisée des morts sur nous, resplendissement du passé. Nulle résurrection des corps, mais communion éternelle, immanente dans le présent à travers le souvenir qu'ils ont déposé en notre âme. Leurs actes, leurs pensées, leurs choix, leurs aspirations vibrent au fond de nous, à travers les années et les siècles. Leur souffle spirituel nous anime, une chaîne invisible, impalpable, inexorable est tendue vers nous, nous liant pour l'éternité.

Je continue mon chemin, visitant l'abbatiale Saint Pierre, attenante au cimetière ainsi que l'église des Franciscains. Au cours de cet après-midi, vision de la très belle statue d'un faune


Un Faune dans l'après-midi

Je m'engage dans la Getreidegasse, très belle artère du centre de Salzbourg. La rue piétonne est étroite, bordée de maisons aux belles enseignes de fer forgé, très animée. Au n°9, la maison natale de Mozart.


Getreidegasse


Je croise d'innombrables passants, touristes comme moi ou habitants de la ville, hommes, femmes, enfants, je les frôle, Bang Bang il me semble percevoir leurs battements de cœur frénétiques, désordonnés, ne sachant quel sens donner à leur vie. Le chaos s'organise, devient une marche cadencée, accélérée, les palpitations qui se succèdent à allure vive donnent la cadence de la sonate pour piano n°11 en la majeur, 3ème mouvement Rondo alla Turca. Les battements de cœur des passants et les miens s'enchâssent dans le mouvement joyeux de la sonate, les doigts d'un musicien invisible percutent chacun d'entre nous à un rythme effréné. Comme des percussions de tambourins délicats, des tintements de clochette allègres, les notes enjouées résonnent depuis nos poitrines dans l'espace. Pas de pesanteur militaire dans cette marche, un esprit moqueur, taquin déploie la grâce d'une musique aux accents toniques ; une pulsion de vie dynamique, légère, fantaisiste s'exhale miraculeusement du choeur que je forme avec les passants pour danser puis s'évaporer dans les cieux.
Par de petites ruelles, je me rends vers le couvent Nonnberg qui se situe dans les hauteurs, juste à côté du château qui domine la ville. Je redescends, je vais sur l'autre rive de la Salzach, cours d'eau qui traverse  la ville, pour me rendre vers la colline opposée dénommée Kapuzinerberg. Alors que je monte les escaliers, voilà que retentit en moi les accents du concerto pour piano n°21, mouvement Andante. Mon coeur résonne comme les accords du piano, chacun de ses frissons est empreint d'une gravité suave, d'une tristesse contenue, noble, majestueuse. Les cordes, les instruments à vent invisibles viennent entamer un dialogue délicat, esquissent de légers frôlements d'angoisse vers moi mais mon coeur-piano s'interpose, maîtrise les éléments pour imposer avec douceur ses vibrations sereines, célestes.



Vue de Salzbourg depuis la montagne des Capucins



La trépanation secrète


Je laissais la visite du château pour le lendemain. Mauvaise idée, dès le réveil, une pluie incessante a commencé à barrer l'horizon. Toute la journée, les nuages gris-noirs succédèrent aux nuages gris-noirs, pas une seconde d'accalmie, sinon que la pluie baissait parfois en intensité mais pour reprendre de plus belle sa mitraille continue, vive et drue depuis les cieux. Rémy et moi prîmes notre mal en patience, passant le plus clair de notre temps dans le restaurant, désoeuvrés, parlant comme peuvent le faire deux amis de très longue date de tout et de rien, échanges intellectuels et affectifs. Je lisais un livre qu'il m'avait conseillé de lire. Il parcourait  la presse populaire autrichienne, il m'apprit que la scène sur la parvis de la cathédrale était dressée pour la représentation de la pièce « Jedermann » de Hugo Von Hoffmannstahl, qu'on peut traduire par « Tout un Chacun », « N'Importe Qui », qui se tient chaque année lors du festival de Sazbourg depuis 1920. Les journaux rappelaient toutes les versions successives les plus célèbres et marquantes de la pièce, s'interrogeant sur celle qui allait être représentée. Le personnage principal appelé Jedermann se retrouve soudain face à la Mort qui veut le confronter à son Créateur. Il a besoin d’un témoin de sa bonté mais ni sa famille, ni son meilleur ami ne veut l’accompagner ; seules ses Bonnes œuvres et la Foi le réconfortent, acceptent de l'accompagner le sauvant ainsi des griffes du Diable. La pièce m'a semblé d'un symbolisme chrétien très chargé mais elle est très populaire, c'est un grand honneur que d'être désigné acteur de "Jedermann". J'étais un peu navré par la morale de la pièce : à titre personnel, j'aurais témoigné pour Rémy ...
Le ciel, immense manteau épais, étouffant, menaçant, continua à délivrer les trombes d'eau. La colère du ciel semblait démesurée, sans fin. Depuis le début du voyage, je voyais que mon ami était préoccupé, tourmenté, ce qui m'attristait ; passé, présent et futur s'emmêlaient en lui sans qu'il puisse en dénouer les fils. Ce soir là, il fut pour la première fois du voyage obligé de dormir sous la tente en raison de la pluie. J'acceptais de dormir à la belle étoile lors des étapes intermédiaires, mais dès que nous étions dans les campings, je préférais m'endormir sous la barrière protectrice de la tente de couleur bleue tandis qu'il continuait à vouloir trouver le sommeil dehors, à la clarté lointaine de la Voie Lactée. Je suis fasciné par la trépanation que dut subir Guillaume Apollinaire pour soulager ses maux de tête interminables après une blesssure de guerre, je décidais que pour allèger les peines de mon ami, il me fallait pratiquer cette opération, qui consiste à pratiquer une ouverture perforatrice dans la boîte cranienne pour soulager l'hypertension.


J'ai attendu qu'il s'endorme profondément. J'ai sorti de mes affaires un petit burin ainsi qu'un marteau achetés la veille, je me suis approché de sa tête, j'ai éclairé avec ma lampe frontale et j'ai commencé à entailler l'os, à marteler sur le sommet de son crâne rasé comme le mien, en pratiquant une découpe circulaire. J'avançais avec beaucoup de précaution, quelques minuscules fragments s'envolaient comme des copeaux de bois, je les mettais de côté pour les remettre ultérieurement à leur place. L'opération manuelle nécessite une minutie d'orfèvre, un doigté extrême. A un moment donné, Rémy a esquissé un mouvement, je pensais qu'il allait se réveiller, je cessais de respirer, angoissé à l'idée d'être interrompu mais j'ai l'avantage qu'il a un sommeil de plomb, il a simplement adopté une position plus confortable.
L'opération était terminée, le cercle était d'une perfection miraculeuse, je me suis servi du burin comme d'un levier, j'ai soulevé l'os crânien. La tente était plongée dans une pénombre à peine troublée par la lueur qui émanait de mon front. Agenouillé, j'ai contemplé le lobe pariétal qui scintillait, les neurones dessinaient des entrelacs somptueux, énigmatiques, pareils à des constellations d'un reflet doré, pâle et délicat alors que le pluie soudainement plus apaisée résonnait par arpèges, pianotait en sourdine sur la mince toile bleue tendue au dessus de nous qui battait comme une aile d'ange parcourue par les frissons du vent. Je retenais mon souffle par instant, j'entendais les vagues bruits de la nuit au dehors tandis que sa respiration se mêlait à cette rumeur, s'écoulait en cadence, soulevant avec légèreté sa poitrine. Je voyais s'échapper depuis les synapses ses pensées, ses rêves, comme des bulles impalpables, diaphanes qui tournoyaient miraculeusement dans l'air. Chat griffu, j'ai essayé de les attraper mais en vain, elles éclataient en mille autres morceaux plus petits qui revenaient avec douceur reprendre place dans sa tête. Dans l'une de ces bulles, j'ai vu le reflet de trois gorgones aux longs cheveux noirs ondulants, au regard de fièvre, insatisfait, je soufflais sur elles, elles disparurent comme de la poussière d'étoiles. Rémy continuait à dormir du sommeil du juste.
Il me fallut lentement remettre en place la partie de l'os que j'avais enlevé, raccommoder avec précaution chacun des fragments qui s'étaient détachés. Je voyais les bords du cercle cicatriser en rougeoyant. L'opération fut-elle un succès ? Il fut plus détendu, beaucoup plus apaisé pendant la deuxième partie du voyage, mais peut-être s'était-il simplement habitué à moi … En garda-t-il une trace ? Je ne saurais vous le dire, Rémy me domine en taille de 24 cms, je n'arrive jamais à voir le sommet de son crâne ;-)


Sérénade pour vous endormir


Avant que ne vous tombiez dans les bras de Morphée, je vous souhaite à tous une bonne nuit et vous offre cette petite musique avant de vous endormir. Petit éclat musical léger, aérien, intense édifié patiemment note après note par l'arrière petit-fils d'un maçon qui résida dans la cité sociale de la Fuggerei à Augsbourg.

Petite dédicace à un fils de plâtrier, de la part d'un fils de peintre en bâtiment ;-)
Et joyeux anniversaire

Petite musique de nuit du grand Mozart

5 commentaires:

  1. Merci, tu nous a manqué ce week end à la grange. Christian était là.
    Rémy

    RépondreSupprimer
  2. C'est la grosse crampe Erhan !

    RépondreSupprimer
  3. J'ai même dû mettre pied à terre sur les derniers kms de la montée. Vivement la descente ...

    RépondreSupprimer
  4. La voiture balai va poindre derrière le virage...

    RépondreSupprimer
  5. Je suis tombé dans un fossé ... Je viens de faire le semi-marathon de Wallis et j'ai abandonné au 6ème km, c'est d'actualité ...
    Mais je vais resortir du fossé, derrière la voiture balai et continuer ;-)

    RépondreSupprimer