"Par réalité et perfection, j'entends la même chose"
Spinoza, Ethique, E2P6
Alors que l'avion entamait sa montée vers les cieux, je regarde à travers le hublot, l'arche incomplète d'un arc-en-ciel dont les couleurs pâles vibrent au dessus d'une petite couche de nuages. C'est la première fois que j'aperçois ce phénomène depuis le ciel, je cherche avec curiosité quelques traces d'humidité, un nuage plus gris que d'autres, mais je suis incapable de discerner les gouttelettes de pluie, l'espace immense est serein, parsemé de nuages blancs. A travers les bandes colorées, les couleurs estompées de l'île de Wallis, qui se remet lentement du passage du cyclone Evan, ainsi que celles du lagon aux nuances éternelles vert-bleu se confondent, le paysage entrevu semble palpiter sourdement, secrètement en accord avec mon être.
J'avais eu un début d'année 2013 chargé au niveau du travail, j'avais décidé de prendre une petite semaine de congés du 9 au 16 février. Destination : Fidji. C'est le pays d'Océanie le plus proche de l'île de Wallis, au sud ouest, et c'est par conséquent facile d'y aller passer des vacances, même si cela demeure à près d'une heure et demie en avion.
La
république de Fidji est un pays d'influence anglo-saxonne devenu
totalement indépendant de la Grande-Bretagne en 1970. La culture
fidjienne est très proche par bien des aspects de la culture
wallisienne (importance du kava, culture profondément chrétienne,
etc …) mais leur apparence est de type mélanaisienne, à l'instar des Kanaks de Nouvelle Calédonie, plus que
polynésienne.
J'ai
été surpris par la présence d'une très forte communauté
d'origine indienne au sein de cette population. Les Européens ont
fait venir à la fin du 19ème siècle une main d'œuvre indienne
pour cultiver les champs de canne à sucre sous la forme d'un contrat
de 5 ans et celle-ci s'est graduellement implantée dans le pays. Peu
de mélanges m'a-t-il-semblé entre ces deux groupes de population, les
Fidjiens et les Indo-fidjiens, ces derniers continuant à parler en
hindi entre eux. La terre ne peut leur appartenir car ils ne
jouissent pas du statut de Fidjien de souche. La différenciation
systématique entre ces deux communautés est l'explication
principale des soubresauts politiques réguliers dans ce pays, coup
d'état, renversement de gouvernement, …
Visite de Nandi et des alentours
Visite de Nandi et des alentours
Petite
excursion le dernier jour de mon voyage à Fidji à Nandi (ou Nadi
selon les orthographes) qui a débuté par la visite du temple Sri
Siva Subramaniya, le plus grand temple hindouiste de l'hémisphère
sud, situé à la fin de la grande route principale de la ville.
Dès l'entrée, la façade frappe le regard par son aspect vivement
coloré, ses colonnades lumineuses tandis que sur le dôme pyramidal,
tout en haut, trônent les statues des divinités hindoues.
La façade du temple
Les
dieux principaux de l'Inde sont au nombre de trois, Trinité
représentée par Brahma, Vishnu et Shiva. C'est ce dernier qui est à
l'honneur ici avec sa descendance, Ganesh et Subramaniya. Shiva est
le Dieu de la destruction, mais celle-ci est nécessaire pour la
création d'un nouveau monde. Il est aussi le Seigneur de la danse,
il effectue avec sa compagne Parvati une sublime
danse cosmique, le tandava,
qui symbolise la destruction et la renaissance du monde.
La
figure de Ganesh était pour moi la plus connue, il s'agit
de ce Dieu à la tête sympathique d'éléphant, avec son immense
trompe qui lui donne un air jovial, rigolard. Il est l'enfant de
Shiva et Parvati et dieu de la sagesse, de l’intelligence, de
l’éducation, de la prudence et protecteur du foyer domestique.
Dans sa représentation, il est composé d'une partie inférieure
humaine et d'une partie supérieure, la tête, éléphantine et
cosmique. Il est un homme mais son esprit-éléphant est à l’image
du cosmos, il peut donc, par la puissance de la pensée, écarter les
obstacles de l’ignorance et comprendre la nature de l’Univers. Il
est souvent accompagné d'une petite souris au caractère malicieux,
espiègle.
Le temple porte le nom de Subramaniya, appelé parfois Murugan, autre enfant de Shiva. Alors que son frère Ganesh est pacifique, il a hérité de son père le goût de la destruction puisqu'il est le dieu de la guerre. Il est d'une force démesurée, orgueilleux et il a pour animal fétiche compagnon un paon.
Les plafonds étaient peints dans un style naïf, quasi enfantin. Chaque morceau de fresque était numéroté et l'histoire de Shiva ou de Subrahmaniya se lisait telle une bande dessinée.
Le temple porte le nom de Subramaniya, appelé parfois Murugan, autre enfant de Shiva. Alors que son frère Ganesh est pacifique, il a hérité de son père le goût de la destruction puisqu'il est le dieu de la guerre. Il est d'une force démesurée, orgueilleux et il a pour animal fétiche compagnon un paon.
Les plafonds étaient peints dans un style naïf, quasi enfantin. Chaque morceau de fresque était numéroté et l'histoire de Shiva ou de Subrahmaniya se lisait telle une bande dessinée.
Ganesh,
Parvati, Shiva et Subrahmanniya réunis
Shiva
était représenté avec trois yeux. Ses trois yeux symbolisent le
soleil, la lune et le feu. Plus généralement, ce troisième œil
placé sur le front entre les sourcils qui figurait sur nombre de
statues a une signification symbolique, c'est l'œil de l'âme, celui de la connaissance
intérieure de soi. Beaucoup de statues avaient de multiples bras, des
corps qui se superposent l'un sur l'autre. Quelle en est la
signification ? En nous affleurent des individus différents,
contradictoires, avec des désirs, des pensées multiples, infinis
que seuls nos actes à chaque moment pétrifient dans le moment
présent ?
Petit détour rafraichissant après la visite du marché local de fruits et légumes vers « Le Jardin du Géant Endormi », car la colline qui jouxte la propriété ressemble à un immense homme allongé sur le dos. C'est un jardin botanique qui appartenait à l'acteur américain Raymond Burr, connu pour ses rôles dans les téléfilms Perry Mason et l'Homme de Fer. Il a passé sa vie à collectionner l'orchidée et près de 200 espèces se côtoient ici. Très beau jardin avec un étang dégorgeant de nénuphars qui rappelle celui de Giverny peint par Monet. Reine des orchidées au milieu du jardin : le cattleya ...
Hommage
à M. P.
Dernière
étape ludique, les piscines de boue naturelles. Après s'être
enduit de boue, on passe dans une première piscine, source d'origine
volcanique avec quelques bulles qui viennent de temps en temps crever
en surface. Sensation visqueuse, d'aspiration vers le fonds la terre lorsqu'on
marche sur le fonds qui s'enfonce, comme des marais mouvants prêts à
vous avaler. Puis on effectue une petite marche avant de se laver
dans un bassin au fond dur, avec une eau à la température très
élevée.
Muddy
Muddy Muddy
L'après-midi,
je suis retourné en ville faire quelques achats. La ville de Nadi a
visiblement grandi trop vite au gré d'une mondialisation non
contrôlée, elle est constituée autour de la vertèbre d'une artère
principale toujours encombrée par les voitures qui crachent leur
plomb noir, suffocant dans l'atmosphère. Un violent orage a éclaté, j'ai attendu
près d'une heure qu'il se mette en mode pause mais rien à faire ;
j'ai dû me jeter sous les trombes dans un autobus pour rentrer. J'ai
été intrigué par ces vieux bus de Fidji qui n'ont pas de système
électrique pour prévenir le chauffeur du souhait de s'arrêter à
la station. Ici, un long fil court le long du bus en hauteur, il
suffit de s'y agripper pour actionner la sonnette. Je m'y suis
précipité et …
Dring
Dring
Dring
Dring prochaine étape …
Excursion
autour de Savu-Savu
Après
une journée consacrée au voyage de Nadi à Savu-Savu, journée
harassante car j'ai transité de très longues heures à l'aéroport
de Suva, j'ai fait une petite randonnée en compagnie d'un guide
local, Sharon, qui gérait le Naveria Lodge ainsi que d'un couple
d'amoureux qu'elle logeait en lune de miel, Andy et Iliana. Je me
trouvais sur l'île de Vanua Levu, la deuxième plus grande île de
Fidji après Viti Levu. La végétation m'est apparu beaucoup plus
luxuriante qu'à Wallis, la forêt tropicale environnante dégage une
impression de profondeur, de sauvagerie. Les lianes pendent le long
des arbres, formant une épaisse barrière à la pluie et au soleil.
Sharon, adepte assidue de la médecine naturelle, donnait de
nombreuses explications sur les vertus médicinales des plantes, en
anglais bien entendu et je ne comprenais pas tout. La ballade s'est
étirée le long de quelques crêtes qui surplombaient la forêt et
la baie de Savusavu.
Vue
de la baie de Savusavu
La
promenade s'est terminée dans un quartier déshérité de la ville,
un bidonville où s'entassaient des bungalows construits en tôle de
fer, dont la toiture est souvent arrimée au sol par un cordage qui
me semblait bien fragile pour lutter contre les cyclones dévastateurs
de l'été. Le contraste est saisissant entre les immenses espaces de
la nature et l'empilement de ces maisons, dont on pouvait apercevoir
à travers quelques portes entrouvertes la grande pauvreté qui y
régnait. Lorsqu'on voit la même population dans des habitats
traditionnels, des cases ou des huttes dans un dénuement extrême,
cette tendance à les plaindre disparaît en nous tandis que
l'acceptation de la société de consommation, vécue comme un
progrès par ces individus nous semble une régression intolérable,
alors que nous sommes nous même fourvoyés, prisonniers à l'intérieur de
celle-ci.
A
chaque fois que nous croisions sur le chemin un Fidjien, un sonore,
bienveillant et jovial « Bulla » s'échappait de leur
lèvres, ce qui signifie « Bonjour ».
Dring
Dring prochaine étape …
Journée
de plongée au « Koro Sun Resort »
Le
lendemain, très tôt, Matt, le moniteur de plongée du « Koro
Sun Resort », est venu me chercher à l'hôtel pour m'emmener
au centre de plongée situé à une quinzaine de kilomètres de
Savu-Savu. J'étais en compagnie d'une dizaine d'autres plongeurs. Il
s'agit d'un centre Padi, une structure de plongée anglophone
internationale, c'est la première fois que je plongeais dans une
structure extérieure à Wallis. En fait, c'est bien plus simple,
tout est pris en charge par le personnel, le matériel est préparé,
seule préoccupation : la plongée. C'est un système qui favorise la
paresse, mais comme c'est un tropisme naturel de l'individu …
Je
suis tranquillement le groupe de plongée dans le premier site
intitulé « Donjons and Dragons ». Matt nous fait
découvrir le corail magique, aux polypes de couleur beige, voire
marron, qui a la particularité de changer de couleur au simple
toucher de doigts. J'en effleure deux ou trois, que Matt me désigne
à chaque fois, et comme par enchantement, une onde soudaine
invisible parcourt le corail en quelques secondes à partir de ce
point d'impact qui décolore la structure pour lui donner un aspect
blanc immaculé, sous le soleil qui illumine alors les profondeurs.
Ce sont les polypes qui en réalité se rétractent à l'intérieur,
apeurés par le contact de notre peau.
Matt me précède le long de tunnels parfois obscurs, parfois lumineux. Il
est visiblement très à l'aise dans l'eau, il plonge avec un simple
short, sans combinaison, svelte et bien bâti, il a l'adresse
que donne une jeunesse insouciante, sûre de soi dans ses gestes. A
la sortie d'un tunnel, il s'arrête près d'un récif, enlève le
détendeur de la bouche et expire par petites saccades, en
arrondissant les lèvres. Au lieu de prendre la forme d'une bulle, la
poche d'air se transforme en un anneau effilé qui s'échappe de sa
bouche pour s'agrandir puis se désagréger en centaines de bulles
plus petites au bout d'un ou deux mètres. Les anneaux d'air
s'enchaînent à un rythme constant, les cercles concentriques
s'élèvent dans un tremblement dans l'eau limpide, se froissent délicatement, se déploient
avec grâce un bref instant puis Pouf, ils éclatent comme un rêve
évanoui …
J'ai
le vague souvenir d'avoir lu une scène où Gandalf et Bilbo (est-ce
dans le Seigneur des Anneaux? Bilbo le Hobbit ?) s'amusent ainsi avec
la fumée de leur pipes pour produire des anneaux et autres formes,
je décide alors de surnommer Matt …
The
lord of the bubble-rings
Le
seigneur des anneaux-bulles
Après
une heure de repos en surface, deuxième plongée. A nouveau, le
corail magique s'étend devant nous, à simple portée des bras. Matt
me hèle à nouveau et me propose d'en toucher un. Enchantement
soudain, éphémère, vif, le corail est immense, il occupe la moitié
d'un récif, je vois se déployer en quelques instants le souffle
invisible blanc qui foudroie en un éclair la surface. Mariszka, une
jeune hollandaise, touche le récif de l'autre côté. Répétition
de l'enchantement, les deux faces resplendissent comme les ailes
éclatantes d'un ange. Je regarde un long moment ces ailes
séraphiques qui vibrent sous la lumière fine qui se déverse depuis la
surface …
J'aurais
voulu que mes pensées jaunes ensoleillées se fourbissent au coeur
des étoiles étincelantes, qu'elles éclatent dans des explosions
thermo-nucléaires, qu'accompagnant les photons, elles se projettent,
fusent, se déversent dans les espaces démesurés, voyagent des
milliards d'années pour venir frapper l'eau limpide des océans.
Je
rêvais que mes idées, traversées par les rayons des soleils, se
promènent dans les eaux bleues intenses, qu'elles suivent dans leurs
périples sous-marins les baleines, dauphins et poissons pour se
gorger des mystères des profondeurs, puis remontant en surface tels
des désirs impérieux, qu'elles s'évaporent dans l'air pour s'unir
aux nuages filant dans l'air.
Portés
par les nuages se répandant dans le monde, les mots lourds du poids
de ma vie s'épandraient dans les bois verts, imprégneraient les
forêts immenses de la terre, ou fragiles, évanescentes, elles
viendraient se déposer sur quelques plantes graciles se balançant
dans le vent pour resplendir dans la beauté des jours.
Mes
phrases alors s'évaporeraient, danseraient dans le monde, où que
vous soyez elles vous toucheraient comme des sabres tranchants.
Portés par leur musique unique, leur texture neuve, elles
rougeoieraient en vous comme un sang bouillonnant, elles se
fraieraient un chemin tenace pour exploser comme un soleil dans votre
coeur.
Je
suis reparti, mon langage n'est pas au centre du monde mais je sens
sa grâce étourdissante et vertigineuse en moi …
Nous
continuons notre chemin sur le site « Turtle's Alley ». A
la sortie d'un tunnel, deux tortues
marines en point de mire. L'une des deux commence à s'éloigner mais voit soudain son chemin bloqué par un de mes compagnons de palanquée. Elle se retourne d'un
geste vif, se dirige lentement vers moi. Je bloque ma respiration
pour éviter de signaler ma présence par les bulles compromettantes,
j'évite tout mouvement brusque, elle s'approche en douceur à
quelques mètres, puis à portée de bras. Brusquement, elle
m'aperçoit, et d'un coup de nageoire appuyé semblable à un aileron
vire de bord et s'enfuit rapidement. Visiblement, la réputation de
lenteur des tortues provient de leurs cousines terrestres, car elle
nage bien plus rapidement que le meilleur des plongeurs.
Dring
Dring prochaine étape …
Journée
de plongée au « Jean Yves Cousteau Resort »
Le lendemain, je partage
un taxi avec Andy et Iliana pour me rendre au « Jean Yves
Cousteau Resort » pour une deuxième journée de plongée.
Beaucoup de personnes présentes la veille sont à nouveau là, la
rumeur que nous allions nous rendre à l'île de Namena, lieu de
plongée réputé, s'est répandu dans le petit cercle de la plongée
à Savusavu. Comme je suis sujet au mal de mer, que je m'étais senti
très mal la veille en fin de journée, j'achète des pilules contre
le mal de mer que j'avale rapidement.
Nous nous rendons près
de l'île en moins d'une heure. Ici, ce sont des Fidjiens, souriants
et prévenants, qui se chargent des préparatifs. La guide de
palanquée donne les instructions et énumère la faune et la flore
visible sur le premier site « Grand Central Station ».
Celui-ci est réputé pour la présence des requins marteaux, le
signe pour prévenir les autres de leur présence est de se frapper le
crâne avec les deux poings comme avec un marteau. Mais elle prévient
« Sometimes they come, sometimes they don't » Parfois ils
viennent, parfois non ...
Bascule arrière dans
l'eau. Nous longeons un tombant pendant une vingtaine de minutes, le
guide devant moi martèle régulièrement sa bouteille avec une fine
tige de métal Ding Ding pour attirer l'attention des requins.
Franchissement d'une arche végétale, cinq six requins pointent le
bout de leur nez à quelques mètres, mais celui-ci n'est pas en
forme de marteau, ce sont des requins de récifs. Nous arrivons près
des excroissances de coraux durs, nous effectuons le palier de
sécurité de trois minutes. Juste à ce moment, quelques dizaines de
poissons de taille diverse surviennent dans un éclatement de teintes
bleue, verte, violette, jaune, orange.
Je n'ai pas aperçu de
requins marteaux, personne ne les a vu.
La veille, à la fin de
la plongée, l'un des plongeurs m'avait dit « Unfortunately, at
the end, it was merky » Malheureusement, à la fin, c'était
merky ??? (Prononcez meuurky...). Il m'explique que cela signifie
trouble, empêchant une bonne vision. Aujourd'hui, une fois revenu
sur le bateau, je me tourne vers quelques plongeurs, je leur dis
« Unfortunately, at the beginning, it was merky »... En
fait, ce n'était pas si merky que ça, et nous étions au début à
plus de trente mètres, il était naturel que la visibilité soit
moins bonne, mais je voulais absolument placer ma nouvelle
connaissance linguistique, ils acquiescent et entament la
conversation à ce sujet. Je suis fier de ma capacité de maîtrise
de l'anglais, qui se résume là au pouvoir du perroquet ;-)
Après
un repas léger, plongée sur le site « Mantle Mount »,
appelé ainsi car l'habitat des raies mantas se trouve non loin. Nous progressons le long
d'un falaise à laquelle s'accrochent des gorgones géantes qui
frémissent avec nonchalance dans le courant comme des palmes
caressées par le vent. C'est une dérivante, plongée que
j'apprécie car il s'agit simplement de se laisser aller dans le sens
du léger courant en profondeur. Nous remontons vers une esplanade
avec quelques récifs, Andy et Iliana avancent devant moi lorsque
tout à coup, un requin surgit de notre
droite, à une allure rapide. Iliana sursaute de peur, se tourne avec
un grand regard effrayé vers moi, je souris car le requin déjà
s'éloigne. Une dizaine de requins se pressent devant nous puis s'en
vont. Pas de raies mantas à l'horizon mais sur le bateau, quelques
plongeurs qui étaient à l'arrière de la palanquée, les yeux
émerveillés, disent en avoir vu un. L'un d'entre eux nous montre
fièrement la vidéo de l'immense raie, je vois le reflet de l'animal
qui tel un oiseau plane avec grâce dans l'eau bleue.
Je n'ai pas aperçu la
raie manta, certains l'ont vu.
Nous rentrons, un calme
impressionnant règne sur le bateau, lié à la fatigue accumulée
des deux plongées. Tout à coup, deux plongeurs crient, se lèvent
en désignant une direction ; il s'avère qu'ils ont vu une baleine
qui vient de replonger dans l'eau. Nous guettons un moment puis
j'entends tout le monde s'extasier quelques instants plus tard.
Qu'ai-je vu ? En fait une vague ombre à deux cent, trois cent mètres
mais c'est à une distance trop grande pour que je puisse réellement
distinguer les formes compte tenu de mon absence de lunettes,
s'agit-il de la queue d'une baleine ?
Tout le monde a vu la
baleine, j'ai cru l'apercevoir, mais rien n'est moins sûr, rien
n'est moins sûr …
Tous les soirs, j'essaie
de me remettre au jogging. C'est difficile, j'ai le souffle court,
j'entame désormais une course contre la montre, contre le déclin de
mon corps, combat inégal perdu d'avance. Je pousse un peu plus loin
que les autres jours, j'arrive jusqu'à un arbre-paon, l'arbre du
voyageur qui déploie avec arrogance son éventail dans un jardin.
Est-ce le triomphant Subrahmaniya, l'impitoyable dieu-guerrier, qui vient à
sa rencontre en ces contrées? C'est un simple homme à la respiration
syncopée, aux membres fatigués, qui s'arrête pour reprendre sa respiration, toise un
instant l'immense arbre-paon pour battre en retraite.
Sur le chemin du retour,
un enfant indo-fidjéen au large sourire d'une douzaine d'années, avec de longues jambes effilées de coureur de fond, se porte à ma
hauteur. Nous partageons quelques foulées, je lui dis qu'il a l'air
sportif, il commence à me narrer fièrement ses exploits scolaires en course à
pied. Je porte une légère accélération en lui faisant un petit
clin d'oeil préalable, il répond sans souci, maintient l'effort
constant et commence à son tour à me tester, il accélère … Je
ne pense pas pouvoir tenir sur ce rythme longtemps Ouf se profile le
croisement de la route vers mon hôtel situé sur une butte. Je lui
dis que je dois tourner à droite, un petit top amical dans la main
de la graine de champion, je baisse singulièrement mon allure
juste quelques mètres après le virage ...
Dring Dring prochaine
étape …
Dernière
bulle ...
Je pouvais encore
consacrer la journée à la plongée, mais je suis exténué après
les quatre explorations sous-marines précédentes, je décide de
visiter le « Waisali Rainforest Reserve Park », parc
local naturel d'une grande variété de faune et de flore. Je me
renseigne sur le prix d'un taxi ; trop cher, je prends le bus qui
traverse l'île de Savusavu à Labasa. Celui-ci est d'une incroyable
lenteur, brinquebalant, il n'est pas climatisé, surchauffé, le
véhicule est particulièrement poussif sur les pentes sur lesquelles
il s'engage en première vitesse, je sue à grosses gouttes sur mon
T-shirt bientôt complètement trempé, collant à ma peau. Je
discute tout au long du trajet avec un Fidjien du nom de Bio qui
m'offre des petites graines très salées à grignoter. Le chauffeur,
prévenu de ma destination s'arrête devant le parc qui se trouve sur la pente d'une colline, je descends et
...
Très mauvaise surprise
... Un énorme cadenas bloque la porte d'entrée, je tire en vain sur
celle-ci. Je ne distingue personne dans le cabanon d'accueil de
l'autre côté, je crie « Hello, is there somebody ?»
mais en vain. Je crie de plus en plus fort, je descends, je monte le
long de la clôture, je hurle mais je dois me rendre à l'évidence, c'est le
désert complet. Une pluie drue commence à s'abattre qui se mêle à
ma sueur, je vais tenter de forcer sur la chaîne aux lourds chaînons
mais ce sont simplement mes frêles poignets qui remuent de manière
frénétique, pathétique … Je me réfugie sous un abri le long de
la route.
Je regarde derrière moi
la barrière, je pourrais l'escalader pour tenter tout de même
l'excursion désirée. La voix de l'aventure, juché sur mon épaule
gauche, voix jeune, moqueuse, me susurre de grimper, qu'il est
stupide d'être venu jusque là pour repartir, qu'il n'y a rien à
craindre. Celle de la raison, reposant sur mon épaule droite, voix
mûre, grave, m'explique qu'en cas de souci, nul ne pourra venir me
chercher, qu'il est stupide de prendre un tel risque. Mon coeur
balance, penche à droite, j'entends un rire ...
Au bout de près d'une
heure, un bus qui retourne à Savusavu descend la côte, je bondis à l'intérieur, et de nouveau,
fournaise, sueur …
Je suis passablement
énervé au retour à l'hôtel après plus de six heures de trajet, je demande à la réception la raison
de la fermeture, si la Saint Valentin est un jour férié à Fidji
puisque c'est le 14 février ; les deux réceptionnistes m'assurent
que non, ils sont visiblement désolés de ma mésaventure. Ils me proposent de
patienter les deux dernières heures avant le transfert à la piscine.
Je rentre dans l'eau, immédiatement elle se répand sur mon corps, soulage la tension, la crispation née de la journée perdue dans les transports. Je pratique la brasse, je n'ai pas assez de souffle pour crawler, tête, épaules, torse, hanches, genoux, pieds, l'eau dans un bourdonnement claque sur mes oreilles, ruisselle, fuse le long de mon corps, ravissement progressif de mes membres, diffusion lente de cette sensation vers mes organes intérieurs, mes poumons, mon coeur, mes os. De nouveau, lente fusion vers l'instant présent.
L'heure du départ s'approche, je tente pour m'amuser de descendre au fonds de la piscine, de buller comme Matt. Mes bulles informes s'échappent de moi, mais rien à faire, elles ne prennent pas la forme d'anneaux ... Je dois m'en aller, dernière tentative, je rejette ma tête en arrière, la vision se trouble, s'obscurcit à travers mes lunettes de plongée, l'eau de la piscine et le ciel que je devine se fondent dans une même étreinte. Je ferme les yeux, j'ouvre le troisième oeil en moi, celui de la connaissance, des sens en étroite osmose avec l'esprit, celui qui lit à coeur ouvert dans votre âme, qui discerne vos rages secrètes, qui détecte vos doutes cachés, qui guette vos espérances muettes, qui participe à vos joies profondes. J'ouvre la bouche, à travers mes lèvres, mon souffle se libère. La bulle prend la forme souhaitée, elle se modèle selon mes rêves, elle s'agrandit démésurément, devient tour à tour rose aux pétales fragiles, hibiscus au pistil flamboyant, âne joyeux et braillard, dragon à la gueule enflammée, mosquée aux minarets touchant le ciel, cathédrale à la rosace battante comme un coeur, se colore aux couleurs de l'arc-en-ciel. S'unissant dans un ultime embrasement à l'univers entier, elle se désagrège en mille éclats pour se déposer sur vos cœurs.
Je rentre dans l'eau, immédiatement elle se répand sur mon corps, soulage la tension, la crispation née de la journée perdue dans les transports. Je pratique la brasse, je n'ai pas assez de souffle pour crawler, tête, épaules, torse, hanches, genoux, pieds, l'eau dans un bourdonnement claque sur mes oreilles, ruisselle, fuse le long de mon corps, ravissement progressif de mes membres, diffusion lente de cette sensation vers mes organes intérieurs, mes poumons, mon coeur, mes os. De nouveau, lente fusion vers l'instant présent.
L'heure du départ s'approche, je tente pour m'amuser de descendre au fonds de la piscine, de buller comme Matt. Mes bulles informes s'échappent de moi, mais rien à faire, elles ne prennent pas la forme d'anneaux ... Je dois m'en aller, dernière tentative, je rejette ma tête en arrière, la vision se trouble, s'obscurcit à travers mes lunettes de plongée, l'eau de la piscine et le ciel que je devine se fondent dans une même étreinte. Je ferme les yeux, j'ouvre le troisième oeil en moi, celui de la connaissance, des sens en étroite osmose avec l'esprit, celui qui lit à coeur ouvert dans votre âme, qui discerne vos rages secrètes, qui détecte vos doutes cachés, qui guette vos espérances muettes, qui participe à vos joies profondes. J'ouvre la bouche, à travers mes lèvres, mon souffle se libère. La bulle prend la forme souhaitée, elle se modèle selon mes rêves, elle s'agrandit démésurément, devient tour à tour rose aux pétales fragiles, hibiscus au pistil flamboyant, âne joyeux et braillard, dragon à la gueule enflammée, mosquée aux minarets touchant le ciel, cathédrale à la rosace battante comme un coeur, se colore aux couleurs de l'arc-en-ciel. S'unissant dans un ultime embrasement à l'univers entier, elle se désagrège en mille éclats pour se déposer sur vos cœurs.
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