dimanche 8 avril 2012

La Nouvelle Zélande sous le signe du volcan (2)

Le lendemain, fidèle à la messe puis au rendez-vous de l'amitié, Patrick, notre pilote et guide est venu nous emmener au Wai-o-tapu, dans sa berline BMW 525 i de couleur bordeaux. Il était toujours en livrée impeccable de chauffeur, c'est à dire en jogging ;-)






Patrick et sa berline : la classe, what else ? …

Wai-o-tapu : L'oeuvre colorée d'un artiste

La merveille thermale de Wai-o-tapu est encastrée dans une grande réserve naturelle au sein de la région volcanique de Taupo. Ici comme ailleurs, fumerolles, cratères, piscines d'eau et de boue chaudes et froides, mais dans un délire de couleurs. La très grande variété de couleurs est due aux composants chimiques naturels : jaune - soufre, orange - antimoine, blanc - silice, vert - arsenic, rouge-brun – oxyde de fer, noir – soufre et carbone, violet - manganèse.
Avant d'aborder le panorama coloré, nous passons devant « les encriers du diable », série de cratères dans lesquels les morceaux de graphite noir et de pétrole liquide remontent à la surface. S'y dessinent d'étranges et belles lignes, arabesques mouvantes, ondulantes, fugitives et constamment renouvelées, s'unissant momentanément aux autres, se brisant, se décomposant pour renaître à nouveau. Moralité : Le diable est séduisant ;-)
La beauté du diable

Tout à coup, vision d'un espace dénommé « La palette de l'artiste », immense terrasse où les couleurs ont une variété de teintes incroyables, où les couleurs changent en fonction de la température, du niveau d'eau de la piscine qui jouxte cette zone, de la direction du vent … Ici la Nature, infatigable artiste, puise dans cet infini éventail de couleurs pour composer chaque jour une nouvelle œuvre dans le monde, s'en va au gré du vent déposer avec son pinceau le vert sur les plantes, les arbres, se condenser dans l'émeraude, projeter le jaune sur les citrons mûrissants, s'allier au soleil radieux, danser sur les ailes des papillons, propulser l'orange sur les fruits, chatouiller les poissons clowns et s'évaporer dans les flammes.



La palette de l'artiste : « La beauté de l'ange »

Nous traversons la terrasse sur une mince plateforme en bois, tandis que s'étagent à notre gauche des terrasses en silice, qui sont des répliques miniatures des Terrasses roses et blanches détruites. Nous descendons un chemin pierreux qui serpente le long de petites falaises, avec des cratères emplis de sédiments qui jalonnent le chemin. Un mince filet d'eau nous accompagne, qui grandit au cours de la descente pour se déverser en petite cascade ruisselante et sonore dans les eaux d'un vert amande du lac de Ngakoro. Quelques montagnes esquissent leur profil au lointain, composant un doux panorama.
Nous remontons vers les terrasses lorsque Katrine aperçoit une cigale reposant sur une terrasse de silice, mal en point mais frétillante encore de vie. Cette cigale semblait s'être littéralement baignée dans une cuve de couleurs de Wai-o-tapu, d'étranges motifs jaunes et verts ornaient son corps, avec un immense M arrondi qui trônait en évidence sur son thorax. Les composants chimiques des terrasses l'avaient sans doute étourdie, nous l'avons laissée sur un petit bosquet, peut-être s'est-elle abandonnée à la mort, fatiguée, résignée ou a-t-elle lentement repris vie, prête à se gorger, à se draper à nouveau dans les couleurs chatoyantes des jours ...

Cigale aux couleurs de Wai-o-tapu

Les sentiers forestiers mènent vers de magnifiques plantations d'arbres à haute voûte et qui recueillent dans leurs ramures les habitats de nombreux oiseaux tels que les étourneaux et méliphages, leurs chants guillerets scintillaient dans la douce langueur de la fin de la matinée.
Vers la fin de la visite, passage au bord de la piscine de Champagne, source d'eau circulaire de 60 mètres de profondeur, avec de fines bulles dues au dioxyde de carbone qui explosaient en surface et une épaisse fumée qui ondoyait en surface pour s'éclipser vers les cieux.

Champagne et bulles pour Martine et moi

Dernière vision avant la sortie, le cratère du « Bain du diable » aux contours déchiquetés dans lequel rayonne une eau naturelle d'une couleur somptueuse, d'un vert anis ce jour là. Plus l'eau est verte, plus il y a d'arsenic et donc plus le diable reluit d'espérance ...

Le bain du diable : L'espoir des profondeurs

Nous sommes ressortis pour prendre un verre à la cafétéria et partager nos impressions. Nous allions repartir, lorsque Patrick, couché sur un banc en bois qui jouxtait la grande table hexagonale devant laquelle nous étions attablés, fut le témoin d'une vision extraordinaire qu'il partagea avec nous. Il regardait en direction du soleil qui dardait ses rayons en plein début d'après-midi, et grâce à la protection de ses lunettes noires, il avait perçu le spectacle des milliers de grains minuscules de pollen qui avaient envahi l'espace. Je me suis mis sous une poutrelle de bois pour éviter l'éclat du soleil et à travers le toit ouvert, ils étaient effectivement perceptibles, ils composaient un paysage extraordinaire se détachant nettement du ciel bleu azuré. Dentelle délicatement ciselée striant l'espace, infimes étoiles de jour mouvantes, les poussières de pollen volaient rêveusement au gré du vent. Fines, scintillantes, elles tourbillonnaient dans l'espace puis arrivés à un certain point, elles semblaient miraculeusement s'élever, aspirés vers le disque solaire, prêtes à aller se jeter, s'embraser et fusionner dans le feu du jour.
En suivant l'habitude prise dès la première journée, nous sommes allés l'après-midi nous baigner dans les piscines thermales de « Waikite Valley ». Les bassins utilisent les eaux naturellement bouillonnantes de sources chaudes, qui se déversent à partir de gouttières taillées dans la pierre. Nous y étions déjà venus la veille mais cette fois-ci, Patrick ne nous avait pas prévenus que nous allions nous rendre directement à la piscine après la visite, Katrine, Martine et moi avons été obligés de louer un maillot de bain. Le mien était en forme de short, constitué d'une partie centrale en tissu, et de larges pans bouffants. La première fois que je m'engouffrais dans l'eau, des poches d'air se formèrent qui éclatèrent en produisant des bulles d'air et … des bruits pour le moins incongrus et gênants ... Deux Néo Zélandais me regardèrent en souriant … Le ridicule ne m'ayant pas tué, je décidais de recommencer et je me suis amusé de temps en temps à entrer dans l'eau pour créer ces bulles riantes et sonores …
Nous nous sommes lancés dans de grandes discussions avec Patrick. Je le trouvais de plus en plus sympathique, un large sourire illuminait toujours son visage, il nous raconta quelques histoires amusantes avec une formule que je trouve inoubliable : « Je rêvais de le faire une fois, je l'ai donc fait plusieurs fois ». Sa ferveur religieuse m'intriguait, il était adepte des visions millénaristes qui prédisent des changements, des bouleversements exceptionnels pour l 'année 2012. Il nous a fait part de trois visions qu'il aurait eu selon laquelle l'euro allait connaître une grande crise puis disparaître, que ce serait la fin définitive de la pension qu'il recevait et que les armées russes alliées aux nations arabes allaient profiter de la désorganisation pour envahir l'Europe. Je suis athée, je crois que le futur ne s'établit pas en fonction des désirs d'un Dieu transcendant mais des probabilités contenus dans le présent, des choix que les individus réalisent au fur et à mesure. Je lui ai prédis que la fin de l'euro était possible mais non souhaitable, que les pensions allaient perdurer en cas de crise profonde même si leur niveau relatif pouvait baisser, que la vision d'une guerre mondiale opposant les Européens, les Russes et les Arabes appartenait à l'ordre du délire le plus complet. Je lui ai donné rendez-vous non pas dans dix ans ... mais dans un an pour vérifier si la réalité allait donner gain de cause au croyant, convaincu que celle-ci est influencée en permanence par une nécessité divine, ou à l'homme de raison, pensant que le monde s'infléchit en fonction de nos actions et d'un déterminisme simplement humain.

Les rives de Taupo : Chutes, Vol du Canard Affamé et Ecume

Excursion le lendemain vers les rives de Taupo, le plus grand lac de Nouvelle-Zélande. Terry, un ami de longue date de Katrine, est venu nous rejoindre, il nous a offert du poisson fumé excellent et des huitres que nous avons dégustés en fin de journée, accompagné d'un vin néo-zélandais d'une grande finesse. Il était retraité, occupait autrefois des fonctions plus ou moins équivalentes à celle de garde-forestier d'après ce que j'ai cru comprendre et il était un passionné de la chasse ; j'ai discuté avec lui durant tout le trajet mais j'avais souvent du mal à le comprendre en raison de son accent néo zélandais très prononcé, je me contentais d'acquiescer à ce qu'il disait et de temps en temps, j'intervenais lorsque je comprenais quelques mots …

Patrick et Katrine à gauche, Martine et Terry à droite

Nous sommes arrivés en fin de matinée pour faire un trajet en jet, mais il n'y avait plus de place, nous avons été obligés de réserver pour la fin de l'après-midi. Nous en avons profité pour aller admirer les chutes de Huka, « Huka Falls ». Depuis un petit belvédère, vue extraordinaire sur cette cascade, puissante déferlante d'eau d'une couleur bleue acier, d'un débit impressionnant, qui bondit, rebondit dans un grondement sourd le long d'un gouffre étroit en produisant une mousse d'écume jaillissante, qui vient bouillonner en surface ou se fracasser, se déchiqueter sur les falaises.

Huka Falls
Nous avons fait provision dans un magasin spécialisé de miel de manuka, le miel des Maoris, connu pour ses vertus médicales et ses propriétés antiseptiques. Après avoir pris un déjeuner léger, en attendant l'heure du jet, nous avons fait une petite croisière sur le lac Taupo, petit trajet au regard des dimensions du lac, long de 40 km et large de 30 km, affichant une surface de 625 km². Je scrutais la rive qui s'éloignait, tandis que les turbines dans les profondeurs invisibles actionnaient les deux hélices, qui tournoyaient en produisant deux sillages d'étoffe d'écume blanche, ondoyante et soyeuse qui se perdaient vers les lointains sous le soleil, semblables aux deux ailes délicates d'un ange.
Ce lac est réputée pour ses truites brunes et arc-en-ciel, des concours nationaux ou internationaux de pêche y ont lieu régulièrement. Le bateau nous a emmenés jusqu'à des falaises où on peut admirer quelques sculptures maories taillées dans la roche, représentant des animaux et le « Taniwha », protecteur du lac, images créées à partir des légendes locales.

Sculptures maories

Au retour, une hôtesse du bateau nous a gratifié d'un très beau spectacle. Elle a découpé un petit morceau de mie de pain, elle l'a tendu le long de sa main depuis la cabine avant du deuxième étage du navire. Rapidement est apparu un canard, qui volait avec énergie vers la nourriture, battant avec fureur des ailes pour capter le pain. Au moment où il s'approchait, il ralentissait, les battements d'aile devenaient moins violents, seules les extrémités vibraient frénétiquement, il planait, essayait de rester à hauteur, revenant parfois en arrière pour redoubler d'efforts, tendant désespérement son cou pour atteindre le quignon tant espéré, les yeux fixés sur sa proie, qu'il a fini par attraper dans un dernier effort.

Bientôt la récompense …

Il s'est posé dans les vagues ondoyantes laissées par le passage du bateau, dégustant le pain chèrement acquis. L'hôtesse nous a proposé de faire de même à notre tour, nous nous sommes mis sur le ponton arrière. Dès qu'il voyait notre main se tendre, l'oiseau s'élevait, battait des ailes avec énergie, il comblait rapidement les quelques centaines de mètres qui nous séparaient pour réclamer la nourriture, mais cette fois-ci il se contentait de voleter à quelques mètres, il savait instinctivement, habitué au flot de touristes, que nous n'aurions pas la patience de l'hôtesse et que nous lui lancerions tôt ou tard son trésor pour qu'il puisse s'en régaler.

La croisière terminée, nous nous sommes rendus au site de « Huka Jet ». Les responsables de la compagnie nous ont prêté une tenue imperméable, un gilet de sauvetage et de grandes lunettes, nous ont donné les consignes lors du tour en jet boat : « Interdiction de se lever, obligation de se tenir aux poignées ». Nous avons rapidement compris pourquoi, le jet une fois lancé atteignait une vitesse incroyable, passant à quelques centimètres d'obstacles artificiels, semblait parfois se diriger sur les branches d'arbres qui plongeait leurs extrémités dans la rivière pour les éviter au dernier moment. Le coeur se met à battre plus rapidement au rythme effréné de la course du pilote. Parfois, le bras tendu, il esquissait un petit cercle avec son index, signe qu'il allait effectuer un tour complet, le jet vrombissant tournoyait alors sur lui-même, l'eau éclaboussant nos lunettes.
Apothéose de la ballade, le jet se rend juste en contrebas des chutes de Huka, dont les flots écumants se déversent avec furie dans la rivière. Trois fois, il s'est lancé dans les flots déchainés, réalisant des tours complets au sein de ce tumulte, l'écume voletait autour de nous dans la grâce et la démence la plus complète, comme une fin de monde enchantée.

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