Ah,
Rotorua … Son immense lac frémissant sous le vent, avec ses cygnes
noirs majestueux flottant à sa surface … Son célèbre
« Polynesian Spa » classé dans les dix meilleurs spas du
monde, où vous pouvez vous délasser en admirant un paysage
grandiose … Ses restaurants accueillants qui vous délivrent une
chair appétissante et goûteuse … et ... Son ineffable odeur
d'œuf pourri qui vient chatouiller vos narines, qui s'approche
délicatement pour faire guili guili dans vos trous de nez charmés
de cette visite surprise et d'un tel honneur ;-)
S'il
vous arrivait un jour d'être kidnappé à l'aéroport d'Auckland en
Nouvelle Zélande, d'être mené pieds et poings liés vers la ville
de Rotorua, les yeux et les oreilles cachés par un large bandeau,
vous serez capable de déterminer immédiatement que vous vous
trouvez dans cette ville en raison de l'odeur typique qui plane dans
les rues, celle du soufre qui se dégage de l'activité géothermique
intense dans la région. Parfois, en fonction de la direction du
vent, la senteur peut être particulièrement vive. La ville se
trouve dans la région de Bay of Plenty dans l'île du Nord, avec de
nombreux geysers et mares de boue chaude. Le nom de « Rotorua »
est d'origine maorie et signifie « Deuxième Lac » car
bien qu'il soit le plus grand des 17 lacs de la région, c'est
seulement le deuxième lac découvert par l'ancêtre explorateur
d'une tribu maorie. Moralité qui me convient parfaitement, le plus
grand n'est pas toujours le premier ;-)
Martine,
Katrine et moi avons pris un taxi depuis Auckland, un vieux chauffeur
avenant nous a emmené pour un trajet d'environ trois heures jusqu'à
notre destination. Petite pause café, et arrivée en fin
d'après-midi au motel « Fern Leaf »
Nous
sommes allés déambuler dans les rues du centre-ville alors qu'un
petit marché local déployait ses stands en début de soirée. Sur
le chemin, vérification d'une vérité : les Néo Zélandais ont une
origine anglaise, ils roulent aussi à gauche. En traversant une
route, je contrôle l'absence de véhicule, je m'engage quand à tout
à coup à ma droite, je vois débouler une grosse berline, venue du
diable-vauvert, qui me klaxonne … Je songe : »Qu'est-ce qu'il
fout là, cet imbécile » … Puis je réalise que j'ai regardé
instinctivement du mauvais côté, c'est bien moi l'imbécile ;-)
Nous
avons fait provision de fruits succulents au marché, prunes, pêches,
abricots, que nous allions dévorer le soir même ainsi que les jours
suivants. Avant d'aller nous coucher, détour vers le spa du motel,
petit bassin rectangulaire emplie d'une eau chauffée aux alentours
de 38°, verte et odorante, dans une pièce peinte aux motifs
d'oiseaux et de différentes espèces de fougère de
Nouvelle-Zélande. Oubli des fatigues du voyage …
Journée
des Lacs, du Village Enseveli et de l'Enfer
Première
journée de visite des alentours de Rotorua. L'excursion, ainsi que
celle des jours suivants, s'est déroulée sous l'égide de Patrick,
ami néo-calédonien de Katrine et ancien steward retraité de la
compagnie UTA. Il était surnommé « Le Prêtre » par ses
amis néozélandais en raison de sa ferveur catholique, de fait les
visites commencèrent toujours après 10 heures et la messe qu'il
suivait scrupuleusement chaque matin.
Direction
le Lac Vert, puis le Lac Bleu. Petit arrêt pour admirer ce dernier,
sa surface lisse miroitait à une centaine de mètres en contrebas.
Je suis descendu le long d'un chemin très escarpé pour m'en
approcher, de la végétation dense s'élevait le son strident, aigu
de milliers de cigales invisibles qui striaient l'air. Mais au delà
d'une certaine limite, le chemin devenait impraticable, je n'ai pas
pu atteindre les rives du lac. En remontant, j'ai observé
attentivement les nombreuses fougères verdoyantes, « ponga »
en maori, arbres atteignant plus d'une dizaine de mètres au sommet
desquels se déploient en palmes les branches de fougère. La
Nouvelle-Zélande a deux emblèmes, l'oiseau kiwi, mais aussi la
célèbre silver fern (fougère d'argent) qui orne les maillots des
All Blacks. Sur certaines tiges se dessinaient les « korus »,
nom maori de la fronde de fougère jeune enroulée sur elle-même qui
se déplie progressivement au cours de sa croissance. Le motif du
« koru » est utilisée dans la sculpture et le tatouage
néo-zélandais, il est symbole de vie, d'espoir, de renaissance. Il
évoque l'enfant replié en boule dans le ventre de la mère, prêt à
se dénouer pour affronter le combat quotidien de la vie.
Ponga
Koru
Le cœur reverdi par l'espérance née de la vision des korus, nous sommes allés rendre visite à un couple d'amis néo zélandais de Katrine. Ils étaient absents à notre arrivée, nous en avons profité pour nous promener le long d'un sentier qui serpentait autour d'un lac. Tout à coup, un oiseau caché derrière les ramures d'un arbre lança une trille de quatre notes, de tonalité très différente et mystérieusement accordés comme les notes d'une guitare. Quatre fois la pulsation cristalline, le chant de joie profond de l'oiseau-guitare s'étendit vif et tranchant dans le silence, comme les ondes soulevées par le jet d'une pierre sur une surface d'eau lisse, pour venir se ficher sur les rives de mon cerveau, son reflet brillant à tout jamais dans le minerai immatériel du souvenir. Joncs et hortensias ponctuèrent notre marche, puis retour en arrière.
La
maison de Chris et Barbara était magnifique, juchée sur une petite
hauteur dominant le lac, offrant un panorama somptueux sur celui-ci
depuis la grande baie vitrée du salon. Elle trônait au dessus d'un
jardin attifé d'arbustes, de plantes vertes drues, de fleurs
blanches, violettes et rouges. Les Néo Zélandais sont très
attachés à la question environnementale, la maison construite dans
le matériau naturel du bois constituait un parfait exemple de ce
souci, ses murs bruns étaient en parfaite symbiose avec un très
beau« liquidambar » dans la cour, arbre au tronc large,
aux feuilles caduques dont on tire l'ambre liquide. Nous avons pris
le thé alors qu'une petite pluie fine pianotait sur les grandes
vitres disposées dans l'habitation. Chris, très fier, nous a
montré un cadre dans lequel étaient disposées trois photos avec un
plan identique de la maison et de l'arbre à soixante années
d'intervalle ; ils se développaient de concert, la maison
s'agrandissant, s'embellissant tandis que le liquidambar passait du
statut d'arbuste frêle à celui de vieillard protecteur aux larges
frondaisons, aux feuilles foisonnantes comme mille mains aimantes.
Nous profitâmes d'une petit éclaircie pour prendre congé de nos
hôtes.
Patrick
nous dirigea vers le Village Enseveli. Il s'agit des vestiges
retrouvées de « Te Wairoa » qui fut enterré après la
violente explosion du volcan du mont Tarawera dans la nuit du 9 au 10
juin 1886, sous une pluie de cendre noire, des tonnes de pierre, de
boue brûlante et de lave incandescente. Plus de 150 personnes
périrent dans l'éruption volcanique, qui détruisit également le
site des « Terrasses Blanches et Roses », fine
architecture thermale considérée comme une merveille du monde et
qui attirait des touristes en très grand nombre. Les eaux de ces
terrasses débouchaient d'un vaste cratère puis s'écoulaient le
long d'un vaste escalier de bassins en silice, en se déployant en
vaguelettes circulaires au sein de chacune d'entre elles. L'eau, au
fur et à mesure de son épanchement semblable à une fontaine le
long d'une grappe de nuages roses et blancs changeait de couleur en
même temps qu'elle refroidissait, bleu intense saphir au sommet,
bleu pâle azur en contrebas. Les images des Terrasses Blanches,
considérées comme plus belles que les Terrasses Roses, m'ont fait
penser au site de Pamukkale en Turquie.
Peinture
des Terrasses Blanches
Les
cabanes déterrées semblaient très fragiles, prêtes de nouveau à
s'effondrer. Dans les vitrines à l'intérieur étaient disposées
les vestiges de la vie quotidienne retrouvées dans les fouilles,
bouilloire, peigne, etc... J'ai le souvenir de lettres émouvantes
disposées sur les bornes tout au long de la visite, adressées par
une certaine Margaret à sa famille en Angleterre qui relataient le
drame vécu par les villageois.
La
pluie commença à se manifester à nouveau avec force, nous
accélérâmes naturellement le pas. J'eus le temps d'admirer une
cascade très belle qui déferlait le long d'une falaise, échevelant
dans le vent les écumes légères et dansantes de ses ondes sous la
pluie battante qui nous mitraillait.
Le
fervent catholique Patrick souhaita alors nous guider vers l'enfer,
ses flammes et ses horreurs … Et nous voici devant « La Porte
de l'Enfer », site volcanique de la région ; il en émergeait
une fumée de soufre impressionnante, les vapeurs blanches
méphitiques se diffusaient vers les alentours. Tel Dante, j'entre,
les yeux fixés sur mes pensées, dans les entrailles de ce monde
inquiétant, composé de petits cratères volcaniques boueux, de
mares d'eau bouillonnante, de fumerolles épaisses. Témoignage d'un
survivant de l'Enfer : il est puant, sombre, d'une chaleur très
élevée dans les fossés écumants, vous vous promenez entre
quelques points de vue tels que le Bain du Diable, le Chaudron du
Diable et la Gueule du Diable (Lucifer semblait avoir fui à mon
approche, je ne l'ai jamais croisé ...). Étrangement, je commençais
à m'habituer à l'odeur du soufre qui m'importunait moins que la
veille ... J'en suis ressorti, je me suis dit : Où est le Purgatoire
? Où est le Paradis ?
Le
chaudron du diable : Qui cuisait à l'intérieur ?
Nous
sommes rentrés au motel, et après une petite sieste en ce qui me
concerne, direction « Le Polynesian Spa » de Rotorua.
Embarras du choix entre une vingtaine de bassins d'eau chauffée
entre 38 ° et 42 °, avec une vue imprenable sur le lac immense de
Rotorua. Nous sommes passés de piscines en piscines, discutant
sereinement dans la fin de l'après-midi. Délassement du corps
après les petites marches de la journée. Une pluie fine s'est
déversé sur nous, et tout à coup un arc-en-ciel complet est apparu
à l'horizon, ses deux socles plongeant dans les eaux du lac, puisant
dans les profondeurs aquatiques, les algues et les poissons, les
nuances de ses couleurs.
Sur
le chemin du retour retentirent les bruits de percussions. Ce son
provenait d'un groupe de musiciens de tambours japonais qui étaient
en pleine répétition, nous pûmes les écouter pendant un petit
quart d'heure. Nous étions assis en face d'eux, et lorsqu'ils
jouaient à l'unisson, les vibrations sonores semblaient transpercer
notre corps, remuant chacune des parcelles de nos organes.
L'enseignante japonaise insistait particulièrement sur la gestuelle,
la musique s'accompagne d'une chorégraphie précise, rigoureuse. Les
deux genoux légèrement pliés, elle donnait une très grande
amplitude à son geste et déployait ses deux mains munies des
baguettes derrière sa tête avant de venir frapper vigoureusement la
membrane de l'instrument.
Boum
Boum Traduction en japonais ?
La Vallée Volcanique du Waimangu : Cratères Bouillonnants et Cygnes Noirs
Le lendemain, direction le Waimangu, vallée volcanique formée de cratères apparus après l'éruption du mont Tarawera en 1886. Nous descendons le long d'un sentier botanique, au son des cigales dont le chant s'était mis en sourdine par rapport à la veille, il résonna en contrepoint de notre excursion en douce complainte tout au long du chemin. Depuis un point de vue panoramique s'est offert à nos regards le cratère Echo et le lac Frying Pan (poêle à frire) qui occupe la surface de ce cratère. C'est le plus grand lac d'eau chaude du monde, sa température moyenne est de 55 °, le gaz carbonique et l'hydrogène sulfuré s'élèvent en vapeurs de sa surface, donnant l'impression qu'il est en train de bouillir. J'ai appelé à voix haute le cratère par son prénom : Echo Echo Echo ... Les vibrations ont rebondi sur la surface bouillonnante, sa réponse m'est parvenue comme un boomerang, fiévreuse, brûlante, haletante ... Erhan Erhan Erhan ;-)
Echo
et Frying Pan
Le
lac déborde en ruisseau d'eau chaude à une température d'environ
50 °, et la descente le long de la vallée s'effectue devant le
spectacle enchanteur de ses berges. Ici, les minéraux divers
s'allient aux mousses et aux algues pour donner le spectacle d'une
peinture naturelle, mouvante aux couleurs orange, marron, verte et jaune.
Toile
impressionniste
Un
peu plus bas, le lac du cratère Inferno, d'une couleur bleue azur
rayonnant sous le soleil intense de la journée, blotti au pied de
grandes falaises sur lesquelles s'agrippaient vaillamment quelques
arbustes. Lorsqu'il déborde, il peut atteindre des températures de
80° et renferme un immense geyser, mais qui ne peut être vu car il
se manifeste à l'intérieur du lac.
Nous
sommes arrivés sur un chemin plus plat, de magnifiques paysages
ornaient le parcours, les algues de couleurs extraordinaires
s'emmêlaient aux délicates terrasses de silice en miniature. Une
multitude de mousses, de fougères et de lichens se développent le
long des sources d'eau chaude dans les conditions climatiques
idéales.
Nous
voilà devant le lac Rotomahana. Il est véritablement né de
l'éruption de 1886, bien que deux petits existaient dans la zone
qu'il occupe actuellement. Sa surface est vingt fois supérieure à
celle des lacs antérieures, et la visite de la vallée s'est
terminée par une croisière apaisante de trois quarts d'heure. Nous
nous sommes assis à la proue du navire. Au loin, on voit
distinctement le fameux volcan Tarawera, une couche de nuages comme
une fumée évocatrice de l'ancienne éruption semblait s'être
déposée juste au dessus de celui-ci … La végétation et la faune
s'étaient lentement réappropriés cet espace après l'explosion, ce
lac constitue désormais une magnifique réserve naturelle, notamment
pour les oiseaux. La montée des eaux avaient recouvert les anciennes
Terrasses roses et blanches. La croisière se déroule au rythme des
explications du commandant de bord. Le bateau s'est approché de la
rive constituée de falaises fumantes, avec des fumerolles qui
s'échappaient de la terre brûlante. L'eau
qui bouillonnait dans un minuscule cratère a tout à coup explosé en un très beau
geyser d'une hauteur de deux mètres.
Nous
revenions vers le point de départ, deux cygnes au plumage noir
voguaient paresseusement devant nous. Nous nous approchions
lentement, ils se mirent à accélérer, battant furieusement des
palmes sous l'eau, le sillage qu'ils laissaient derrière eux
s'élargissait nettement. Leur col gracieux ondulait de plus en plus
sous leurs efforts et les vagues d'eau qu'ils provoquaient. Malgré
cela, le bateau continuait à s'avancer inexorablement vers eux
lorsque tout à coup, ils déployèrent leurs vastes ailes pour
s'envoler vers le ciel qui les attendait.
L'envol
des cygnes noirs
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire