Mardi
matin, j'avais pris la décision de courir. Je me suis réveillé
plus tôt, je suis allé en direction d'une forêt à la lisière de
Rotorua « Redwoods ». J'ai couru le long de vastes routes
vers ma destination à une allure modérée. Arrivé devant la
lisière, j'ai marqué un temps d'arrêt, j'ai pénétré par un
sentier étroit mais je n'osais pas m'aventurer trop loin, de peur de
m'y perdre. Compte tenu de mon sens de l'orientation, je suis capable
de commencer ma course en Nouvelle-Zélande et de me retrouver à la
fin de celle-ci sur le GR 20 en Corse ;-) J' entrais dans les bois
par un chemin de traverse, je trouvais rapidement un chemin parallèle
à la grande route par laquelle j'étais venu, j'en sortais pour
entrer à nouveau. Souvenir d'une futaie de très hauts arbres, ici
les fougères verdoyantes rivalisent de hauteur, dépassant largement
leur taille traditionnelle, j'avais un sentiment d'écrasement sous
le dôme verdoyant immense, vertigineux qui se déployait au dessus
de moi. Sur le chemin retour, je tentais quelques accélérations
mais je sentais que je n'étais pas réellement en forme, je manquais
de souffle.
Pendant
que Katrine et Martine vaquaient à d'autres occupations, je suis
allé visiter un dernier parc, le « Te Puia » situé au
sud de Rotorua. Au delà des fumerolles, des mares de boue, des
cratères auxquels j'étais désormais habitué, j'ai pu admirer le
symbole, avec la feuille de fougère, de la Nouvelle Zélande, à
savoir l'oiseau « kiwi » dont le nom est emprunté au
terme maori « kivi-kivi ».
Kivi-kivi
Rubrique
le saviez-vous
"Le
kiwi est-il un oiseau ou un mammifère ?"
Étrange animal que
voici, classé dans l'espèce des oiseaux alors qu'il partage un
grand nombre de similitudes avec les mammifères. Son plumage
ressemble plus à une touffe de poils qu'à des plumes
traditionnelles, ses ailes sont inexistantes et relèvent davantage
de moignons de bras, ce qui l'empêche de voler. Sa température
moyenne de corps de 38 ° est bien plus proche de celle des
mammifères que de celle des oiseaux, qui est en règle générale
plus élevée. Il a un odorat développé, comme la plupart des
mammifères. Pourquoi demeure-t-il un oiseau ? C'est essentiellement
lié à son bec extrêmement long qui lui permet de fouiller le sol à
la recherche d'insectes, de fruits, de grenouilles, et à son mode de
reproduction, puisque la femelle pond des œufs que le mâle couve
pendant deux à trois mois. Vous connaissez ces célèbres œufs de
consistance verte, vous les avez forcément goûtés au cours de
votre vie …
Œufs de kiwi à
maturité ;-)
Celui du parc « Te
Puia » se trouve dans une maison maorie plongée dans
l'obscurité, puisqu'il vit essentiellement la nuit. Il se tenait
près d'une large vitre dans un espace naturel recomposé, une
lumière violette éclairait la pièce, je l'ai vu enfouir son bec
dans la terre, fureter un long moment dans le sol. Il a levé les
yeux un bref moment, regardant dans ma direction à travers la glace,
mais il ne percevait sans doute pas ma présence.
Je continuais mon
chemin, je me dirigeais vers une passerelle en bois tandis qu'à
gauche, je distinguais un grand poudroiement blanc, vaporeux qui planait
au dessus d'un paysage rocheux. Cette fumée est le signe de
l'activité permanente de deux geysers, « Plumes du Prince de
Galles » mais surtout celui du « Pohutu », plus
grand geyser en activité de la Nouvelle Zélande, qui signifie
explosion en maori. Au moment précis où je m'engage sur la pont, le
« Pohutu » bien nommé explose, jaillit avec une force
redoutable à une vingtaine de mètres, diffusant dans l'air nuageux
de la matinée une vapeur encore plus épaisse ainsi que des milliers
de gouttelettes, dont certaines retombent inexorablement vers moi
pour effleurer ma chair, me rafraîchir.
Explosion du Pohutu
Je suis allé sur un
promontoire situé à une petite distance des geysers pour admirer ce
phénomène géothermique une deuxième fois. Au moment de
l'éruption, le vent a soufflé jusqu'à moi pour déverser sur mon
visage une infime humidité vivifiante, vestige du grand tumulte, de
l'immense bouillonnement intérieur de la terre volcanique.
Dans l'après-midi,
petite visite de Rotorua. Après une longue déambulation dans les
rues du centre-ville, je me suis dirigé vers le lac, avec pour
intention de prendre en photo les nombreux cygnes noirs qui peuplent
les rives. J'avais emporté avec moi deux morceaux de pain pour les
attirer. Ils flottaient, ondulaient sur les flots légèrement agités
par le vent, le duvet noir de leurs grands flancs se détachant
nettement sur la surface de l'eau assombrie par les nuages. Au moment où je
distribuais le pain, l'un d'entre eux est sorti de l'eau, se
dandinant sur ses palmes, il a déployé ses ailes dans toute leur
envergure, j'ai observé que sous le plumage noir et lisse, les
plumes cachées situées à l'intérieur des flancs étaient
blanches. J'avais encore un morceau de pain, je remarquais que non
loin de là reposaient sur l'herbe un nombre impressionnant de
mouettes. J'ai marché vers eux ainsi que vers le plus beau souvenir
de mon séjour.
Je lançais une bribe
de pain qu'une mouette s'empressa d'attraper en plein vol. Comme par
enchantement, une nuée de trente, quarante mouettes se dressa devant
moi, je me retrouvais médusé face à un mur volant, chanteur qui
s'égosillait, psalmodiait, palpitait en réclamant avec énergie la
nourriture que j'avais entre les mains. Je voyais distinctement le
bout de leurs ailes frétiller à une vitesse incroyable pour rester
suspendues à mi-hauteur. Certaines d'entre elles se sont approchées
à une distance tellement courte que j'ai pris peur avant de réaliser
que je ne risquais rien. Je leur jetais la mie de pain en variant les
trajectoires, tir tendu, en cloche, passe courte ou longue, à chaque
fois l'une des mouettes l'attrapait avant qu'elle ne touche le sol
puis s'en allait plus loin. Voletant à deux mètres pour les plus
proches, je percevais dans leurs minuscules yeux noirs l'attente
folle de mon don, du jet de l'aliment dans l'espace ; l'appétit
féroce pour la nourriture, le désir intense de vie brûlaient leurs
prunelles. Je choisissais souvent au hasard, mais lorsqu'il
m'arrivait parfois de capter un regard encore plus intense, plus
vibrant que les autres, je lançais le pain dans sa direction. Au fur
et à mesure, je découpais des morceaux de la miche de plus en plus
petits pour faire durer le plaisir.
Notes volantes dans
le ciel
Les oiseaux
devenaient des notes sur des lignes de musique aériennes,
ondulantes, elles s'animaient pour faire résonner un hymne
enchanteur à la gloire de la volupté de la faim, je me transformais
en musicien soliste face à un orchestre, donnant l'impulsion,
l'inflexion décisive à des violonistes célébrant l'ardeur de
l'existence ...
Soudain, plus de
pain, instantanément les mouettes sont retournées se reposer sur
l'herbe, me dévisageant simplement du regard pour voir sans doute si
je n'allais pas ressortir une autre miche de mes poches, mais elles
étaient vides. Je m'en allais.
Patrick nous a invité
le dernier soir au restaurant, repas très sympathique, festif, rempli de fous rires.
Nous avons terminé la soirée chez un de ses amis néo calédonien
qui habitait comme lui à Rotorua.
Passez la commande de
l'amitié, svp
Face au mur
Le lendemain, Katrine
et moi sommes partis à Auckland en taxi. Nous avons laissé Martine
à Rotorua, qui est encore restée dans cette ville quelques jours de
plus. Nous repartions un jour après en Nouvelle Calédonie, et nous
voulions également voir le concert de Roger Waters. Le trajet fut
plus long qu'à l'aller car le chauffeur récupéra d'autres
voyageurs sur le parcours, il se retrouva englué dans le trafic à
l'approche de la grande ville et il eut du mal à trouver l'hôtel
dans lequel nous allions demeurer une seule nuit.
Terry nous rejoignit
en fin d'après-midi, nous nous sommes mis en quête d'un restaurant.
Au cours du repas, j'évoquais la scène de la veille avec les
oiseaux avec Terry. Cela lui remémora une scène de son enfance, il
nous raconta qu'il s'amusait avec son cousin à attacher deux morceaux
de nourriture par un fil de pêche très fin, quasi invisible, et à les lancer
simultanément à deux mouettes pour les voir attraper chacune une
extrémité, tirer à hue et à dia, observer leurs vols complètement
désordonnés, leurs mines totalement déconfites ne comprenant pas
ce qui se passait … Un sourire malicieux illuminait son visage, une
lueur espiègle dansait dans ses yeux de vieil homme à l'évocation
de ce souvenir de farce enfantine.
Le soir, Katrine et
moi sommes allés au concert de Roger Waters, membre fondateur du
groupe Pink Floyd, principal compositeur-interprète du groupe
mythique. Le concert était ancré sur la reprise du succès
phénoménal de l'album « The Wall » de 1979.
Juste avant le
concert
L'idée d'assister à
ce concert était venue de Katrine, excellente idée car le spectacle
fut magnifique, d'une grande qualité visuelle et sonore. Je n'ai
jamais vu une scénographie aussi imposante. Au début, un avion
accroché au plafond de la salle vient s'écraser dans un grand
fracas sur la scène, le reste fut tout aussi spectaculaire.
Lentement, pendant la première partie, les techniciens édifient un
mur, brique par brique, derrière lequel les musiciens disparaissent.
D'immenses marionnettes gonflables, représentant les personnages du
film « The Wall » se déploient lentement, s'animent
grâce à une technique d'une infime précision, puis se replient et
disparaissent. S'élèvent les notes de deux chansons marquantes de
l'album, « Another Brick in the Wall » chantée par Roger
Waters avec un choeur d'enfants qui vient défier la marionnette
géante, ainsi que « Goddbye Blue Sky » avec les images
d' avions vrombissants qui éjectent des bombes. Le mur qui se
construit sert d'écran à des images de guerre, de regards intenses
qui fixent la salle ou de visages qui se décomposent.
Tristesse et
Désolation
Le concert est un
manifeste anti-guerre, mais il ne cesse d'employer les images des
guerres d'Irak et d'Afghanistan. Roger Waters fait le lien entre ces
dernières et le décès de son père qui mourut lors de combats
pendant la deuxième guerre mondiale, image qui l'a marqué à tout
jamais. Le visage du chanteur apparaît derrière le mur dans une
dernière chanson avant que l'ultime brique ne se pose et que
l'entracte ne retentisse. Dans la deuxième partie du concert, le
spectacle devient plus intimiste, il chante en solo devant ce mur où
se déploient des images sombres, grises ou rouge-sang. A un moment
donné, il s'approche du mur, l'effleure, celui-ci explose en myriade
de couleurs, qui me rappellent toutes celles des paysages captées
pendant le séjour.
Jaillissement de
couleurs sur scène
Le célèbre cochon
cochon noir des concerts de Pink Floyd, maculée de symboles
capitalistes et communistes, plane dans la salle. Les images du film
par séquences complètes défilent sur le mur. J'avais vu le film
d'Alan Parker, je ne l'avais pas tant apprécié que cela, mais les
mêmes images dans le cadre du spectacle projetées sur un mur géant
prenaient une toute autre dimension.
La scène très connue des
marteaux marcheurs
A la fin, le mur
s'effondre sous une constellation de confettis et d'applaudissements
…
De la
Nouvelle Zélande vers la Nouvelle Calédonie
Le lendemain matin,
avant le départ dans l'après-midi, pendant que Katrine faisait ses
emplettes, j'ai visité brièvement Auckland. L'hôtel était situé en face des docks, le centre historique était peuplé de
petits gratte-ciels, l'hôtel lui même en était un puisqu'il
comportait plus d'une quarantaine d'étages. La chambre offrait une
vue panoramique plongeante et superbe sur la baie.
Quelques heures plus
tard, l'avion d'Air Calin, immense cygne majestueux, a décollé,
nous transportant d'une terre nouvelle à une autre, notre esprit
désormais illuminé par le souvenir des couleurs des paysages, de la féerie du
concert et des heures passées à célébrer l'amitié.