dimanche 13 novembre 2011

Chantez et dansez en ronde, au rythme de la salsa

"Debout chantez plus haut en dansant une ronde"
Nuit rhénane, Guillaume Apollinaire

Lorsque je suis arrivé à Wallis, j'étais convaincu que j'allais devoir mettre une petite parenthèse à ma passion pour la danse. Je pensais qu'il serait très improbable que cette activité soit présente sur l'île. En discutant avec des amis, j'ai eu la surprise d'apprendre l'existence d'un groupe qui pratiquait régulièrement la salsa. J'ai contacté Jérémy qui enseignait cette danse, et j'ai été associé à la réunion de lancement de l'association "Salsa Uvea" car le groupe souhaitait évoluer vers une structure associative. Je leur avais simplement dit que j'avais beaucoup pratiqué la salsa en métropole et que je travaillais en qualité d'adjoint à la paierie. Cette deuxième information n'était pas tombé dans l'oreille de sourds puisque lorsqu'il a fallu désigner un trésorier, fonction stratégique qui implique une connaissance de la comptabilité et qui est généralement peu convoité au sein des associations, tous les regards se sont tournés vers moi et la question a fusé "Est-ce que ça te dirait d'être trésorier ?". Et Abracadabra, je me suis transformé en cheville ouvrière de cette association, certes responsable des comptes, mais aussi enseignant en compagnie de Valérie et Jérémy.

Surprise encore plus grande, il y a aussi un petit groupe de salsa sur l'île de Futuna, distante de 230 km de Wallis. Le territoire de Wallis-et-Futuna est en réalité constitué de deux îles éloignées l'une de l'autre, à la fois historiquement et culturellement. Les Wallisiens sont d'une souche tongienne, tandis que les Futuniens sont les descendants de Samoans. Ce qui les relie malgré tout étroitement : leur appartenance commune à la France ... L'idée de réunir les deux groupes de salsa a émergé, Futuna nous a gentiment invité, et nous voici partis vers  cette destination  pour quatre jours, à bord du Twinotter "Ville de Paris".

Quelques membres de "Salsa Uvea", sur la piste de Futuna

Nous avons été hébergés chez l'habitant. Deux soirées danse au programme lors de cette petite escapade. Lundi soir, à la maison de l'artisanat, et jeudi soir dans un hôtel avec un petit spectacle de danses orientales. Celui-ci dura environ une demi-heure et s'avéra très plaisant. Petite bouffée d'Orient au milieu de l'Océan Pacifique ...

Un papillon de l'Orient dans la nuit futunienne

Nous avons dansé la salsa à Futuna lors de ces deux soirées, sous forme de rueda. J'ai approfondi deux danses dans ma vie et après m'être consacré au tango, j'ai pratiqué intensivement la salsa.

La salsa, c'est le soleil ... J'ai eu l'occasion d'enseigner également cette danse à Strasbourg à l'université, et que ce soit ici ou en Alsace, j'ai toujours préféré l'enseignement sous forme de "rueda de casino". La rueda se danse en formant une grande roue, un grand soleil, puis chacun des couples exécute une variété de figures en réponse au meneur, appelé aussi leader ou chanteur qui donne la mesure par des mots, en demandant de réaliser successivement les mouvements. Ceux-ci peuvent être courts et  simples, impliquant un changement de partenaires, ou plus longs et complexes et demander agilité et rapidité. De l'extérieur et de l'intérieur, le spectacle donne le sentiment d'une chorégraphie vivante et enjouée. Et me voici devenu chanteur de rueda à Wallis-et-Futuna, moi qui chante particulièrement faux ... Ici, c'est bientôt l'été dans l'hémisphère sud, la saison des pluies et des cyclones s'approche, je ne pense pas être totalement étranger aux pluies torrentielles qui s'abattront sur l'île ;-)

J'ai cherché l'origine de cette danse sur Internet, j'ai trouvé amusant que certains sites anglais émettent l'hypothèse d'une ascendance française ... Ils évoquent le règne de Louis XIV, le Roi-Soleil, avec l'apparition des ballets de cours. Au XVIIIème siècle, la Contredanza, qui s'inspire des menuets et contredanses des cours européennes, s'impose sur l'île de Cuba. L'aristocratie créole, les Espagnols et les Français venus de Louisiane, de la Nouvelle Orléans et de l'île d'Haïti interprètent cette Contredanza, qui est une sorte de ballet dansé par des couples, dirigé par un "bastonero" qui annonce les figures.  Il faut rendre à César ce qui appartient aux Français, nous avons inspiré la rueda, mais hélas nous avons oublié de déposer le brevet d'invention ;-)

La véritable naissance de la rueda est intimement liée aux origines de la révolution castriste à Cuba en 1958. Les jeux d'argent sont interdits dans les casinos, mais ceux-ci restent ouverts en se convertissant en dancings, où se déroulent des compétitions amicales de danse. La rueda de casino tire son nom de certains clubs de la Havane comme El Casino Deportivo, Casino La Playa, Casino Spanish où cette danse se développe, où naît une nouvelle manière de danser le "son cubain", dans le temps et non plus en contretemps. Les danseurs commencent progressivement à réaliser leurs mouvements ensemble. La rueda venait de voir le jour et allait se répandre comme une flamme sur l'île.


Flammes de la salsa ... L'incendie ne s'est pas cantonné à Cuba. Les Cubains en émigrant aux Etats-Unis apportèrent leur culture propre, avec la musique et la danse. La rueda s'est taillée une place dans la communauté latino-américaine de Miami, elle s'est diffusée ensuite de New-York à Paris, et même désormais dans les lointaines petites îles françaises du Pacifique ... A chaque petit saut d'un pays à l'autre, la rueda a connu de petites variantes mais la structure de base reste identique.

La rueda est dorénavant une manière particulière de danser la salsa, en compagnie de plusieurs couples. Au niveau musical, la salsa, mot espagnol qui signifie "sauce", s'est développé dans les  années 1970, elle est la fusion de plusieurs rythmes cubains comme le "son" ou le "mambo", mais aussi colombiens, portoricains, dominicains. En France, on a coutume également de faire la différence entre deux manières de danser la salsa, un style portoricain avec le respect des lignes de danse, de nombreux jeux de jambes appelés "shines", et un style cubain, avec des gestes économes, des passes épurées, où les déplacements se font à travers des tours successifs. Une même distinction est réalisée au niveau de la musique entre un style cubain et portoricain, avec des aficionados convaincus dans chaque camp. Salomon, Salomon, je coupe la salsa, danse et musique, en deux avec mon sabre : à titre personnel, je préfère danser sous forme cubaine, je trouve que la manière de danser est plus dynamique, plus enjouée ; par  contre, je préfère le style musical portoricain, les morceaux sont plus entraînants, plus marqués, il est plus facile de trouver le rythme.

J'ai transmis le virus de la salsa à mon petit frère Fatih. Je lui ai enseigné les rudiments de la salsa en deux mois. Je l'ai vu progressivement s'améliorer, puis quelques mois plus tard, en le regardant tournoyer sur les pistes, j'ai dû convenir que le disciple avait largement dépassé le maître ... Une simple pichenette en haut d'une montagne était devenue une avalanche, c'est devenu un passionné de cette danse. Il a donné quelques cours à un ami qui se prénomme Siavach. A deux, ils ont créé une association de salsa, qui est devenue très populaire sur Strasbourg, "Salsa Loca", dans laquelle Fatih enseigne. Il transmet maintenant à son tour la flamme vers d'autres, qui s'adonnent à cette drogue enivrante de la salsa ... 

Petite vidéo de l'association Salsa Loca

Prenez garde aux étincelles de joie de la salsa, elles sont particulièrement vives ... Entrez dans la ronde, entrez dans la danse, vous ne le regretterez pas. Chers messieurs, invitez vos partenaires, et jailliront entre vous les étincelles des sourires, les lueurs de l'amitié. Que vos mains, délicates comme des papillons, se tendent vers elles pour les faire tournoyer. Galilée, Galilée, expert dans la course du soleil et des planètes, tu avais raison lorsque tu murmurais "Et pourtant, elle tourne", il suffit simplement de les y inviter, tour à droite, tour à gauche, double-tour ... Profitez-en pour les guider où bon vous semble, en accord avec la musique, profitez-en, profitez-en sur la piste car dans la vraie vie, ce sont les dames et les demoiselles qui mènent la danse ;-)

Mesdames et Messieurs, nous allons traverser une zone de grivoiseries. Pour votre sécurité et votre tranquillité, je vous prie de bien vouloir attacher votre ceinture de chasteté ...

La raison pour laquelle je préfère la salsa cubaine est que je la trouve beaucoup plus ludique et expressive. J'ai toujours trouvé très amusant le style guaguanco et la chorégraphie qui en découle. C'est une forme de parade érotique, où les partenaires s'attirent mutuellement, se repoussent avec une grâce sensuelle. La danse joue à fond la carte des clichés, puisque la femme se fait coquette,  séductrice. Elle fait mine d'ignorer le mâle impétueux qui tourne autour d'elle. Celui-ci fait le coq, il  est ardent, la poursuit de ses avances, esquisse des mouvements de bassin suggestifs et de temps en temps, lance sa main ou son pied en avant, en simulant un geste de possession vers sa partenaire, comme une petite piqûre. Je vous laisse imaginer ce qu'il souhaite lui inoculer comme vaccin ... La femme se protège avec les plis de sa robe, les paumes de ses mains, mais à la fin, elle finit par céder.

Mesdames et Messieurs, vous pouvez détacher vos ceintures ...

Et puisque l'histoire de la rueda nous a transporté jusqu'à Louis XIV, petit rappel d'une fable de La Fontaine, "La Cigale et la Fourmi", qui évoque le chant et la danse ...

La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt et principal. "
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.

Lorsque j'étais plus jeune, on m'avait appris que la morale de cette fable était pleine de moqueries envers la cigale. Ayant roulé ma bosse, je sais que mes enseignants avaient tort, qu'il faut accepter  cette maxime au sens littéral. La fourmi, insecte de grande sagesse, qui travaillait sans nul doute pour les finances publiques, avait raison : Pour être heureux, il ne faut pas se contenter de chanter en été, il faut aussi danser en ronde, nuit et jour, en hiver comme en été, au printemps et à l'automne ... Ce n'était peut-être pas la morale de la Fontaine, mais ... c'est la mienne ;-)

2 commentaires:

  1. Salut Maitre Yoda,

    C'est le petit frère, ça fait plaisir. J'ai lu ton texte en entier pour une fois!!

    A bientôt
    Fatih

    RépondreSupprimer