mardi 5 avril 2011

La glacière coffre-fort

La particularité à Wallis est qu'on y effectue au niveau professionnel des tâches qu'on ne réalise jamais en métropole, ou  sous une forme originale. Exemple : la distribution de l'allocation vieillesse trimestrielle aux personnes âgées.  Il s'agit d'une aide donnée par la circonscription aux personnes âgées. En métropole, le paiement d'une telle aide est lié à un simple clic, et quasi instantanément au niveau informatique, l'aide atterrit sur un compte bancaire. Le lien entre l'Etat et les citoyens devient invisible. Ici, la majorité des Wallisiens n'utilise pas le système bancaire et l'économie est encore en grande partie de type non monétaire. Le circuit bancaire est très peu développé. Il existe une seule banque, la BWF, filiale de la BNP, qui propose l'utilisation du compte bancaire. Les plus pauvres sont exclus du système bancaire, par manque de ressources. De ce fait, la paierie du territoire où je travaille a mis en place le paiement direct à ces vieilles personnes en espèces. Or, comme beaucoup de ces personnes ont des difficultés à se déplacer, nous nous déplaçons chaque trimestre pour le paiement de ces sommes. Pour chaque personne, le montant est de 43 350 francs pacifique, soit moins de 400 euros, montant très faible. Pour certaines familles, il s'agit d'un complément de revenu puisque leurs enfants habitent sous le même toit. Toutefois, pour d'autres plus isolées, il parait que cela peut être la seule source de revenus.

L'annonce de la distribution de ces allocations se fait sur RFO, très écoutée au niveau local. Elle s'espace sur trois matinées, au nord près de l'église Saint-Pierre-et-Paul, au centre près du palais royal et de la cathédrale, et au sud à deux endroits près de l'église du Sacré Coeur et de l'église Saint Joseph. La distribution républicaine se fait ici à proximité de l'église. Nous nous y rendons avec la vieille Mégane du service. L'originalité est que l'on transporte les sommes préparées à l'avance dans une glacière.

Ne sert pas que pour les pique-niques ...

Quand nous arrivons, la grande majorité des personnes est déjà présente et nous attend dans le calme. Ces vieilles personnes sont le plus souvent des femmes, signe indirect peut-être de leur plus grande espérance de vie, ici comme ailleurs. Elles bavardent, s'interpellent d'une voix aigue d'un bout à l'autre de la pièce ou de la cour en wallisien, ça piaille, ça rigole, ça marchande car certains malins viennent vendre leur récolte. Ces vieilles dames, qui en règle générale ne parlent pas français ou très peu, me rappellent ma mère qui s'exprime très mal en français. Elles sont issues d'une génération où l'école était absente sur le territoire wallisien. Elles ont le visage marqué des personnes qui ont toute leur vie travaillé la terre, mais une évidente joie de vivre les traverse, elles sont souriantes, de bonne humeur. 
La distribution se fait dans un ordre immuable et dans une grande discipline ; Nico, Wallisien qui travaille à la paierie, appelle au fur et à mesure chaque village et les personnes se présentent à nous, munies d'une pièce d'identité et d'une procuration éventuellement, que nous vérifions à chaque fois. Je prends le passeport ou la carte d'identité de la main gauche, je contrôle la signature, je glisse l'enveloppe dans le justificatif d'identité que je leur tends de la main droite. J'associais spontanément l'idée d'une enveloppe dans laquelle figurent des billets avec l'image du pot-de-vin illégal, mais désormais la distribution des enveloppes sera associée en moi à l'idée de service public ...

Parfois, c'est moi qui appelle les villages, et là je me fais plaisir ... Mon village préféré, c'est "Kolopopo" dans le sud, j'arrondis ma bouche et je fais tonner dans l'air les "O" de " KO - LO - PO - POOOO". J'ai la chance qu'il y ait parfois des retardataires et là, je peux une deuxième faire fois crier à la volée pour faire retentir un  magnifique " KO - LO - PO - POOOO" dont les ondes tournoient de manière allègre dans l'air de Wallis.  Prénoms les plus courants dans cette génération d'après les passeports : Malia et Sosefo, c'est à dire Marie et Joseph. Au sud, une Wallisienne m'a offert un collier de fleurs en remerciement, comme elle le fait parait-il à chaque fois pour le papalani présent. Ce qui me fascine, c'est l'inégalité perceptible même sur un territoire minuscule comme celui d'Uvéa. Le district du sud regroupe autant de bénéficiaires que ceux du nord et du centre, et j'ai le sentiment que l'illettrisme y est plus poussé. Les personnes ne savent pas lire les procurations, signent aux mauvais endroits. A l'issue de la distribution, beaucoup d'entre eux me disaient "Malo". Et attention, ils ne pensaient pas à mal, puisque "Malo" à Wallis, c'est "Bueno", cela signifie "Bonjour" ou "Merci", selon les circonstances. Je leur répondais "Malo".

PS : "Olam", ce qui en verlan wallisien doit vouloir dire "Au Revoir" et "Merci", il faudra que je vérifie ...

3 commentaires:

  1. Touchant ce message, merci. Porte-toi bien. Isabelle S.

    RépondreSupprimer
  2. Büyük hanim ve küçük hanim14 avril 2011 à 08:18

    en des temps pas si éloignés (qqs années avant que j'intégre notre belle administration ) le caissier de ma première trésorerie de banlieue lilloise allait chez les personnes âgées collecter l'impôt (si si).
    ps : aujourd'hui küçük hanim a dit "hayir" (ha-yeu ) au terme d'une soirée où ce mot lui a semble-t-il bcp été dit par son baba ;-)
    biz

    RépondreSupprimer
  3. Déjà l'âge des non, elle pousse vite, en même temps elle a de qui tenir, et des deux côtés...

    RépondreSupprimer