vendredi 29 avril 2011

La victoire de l'homme à l'excellent coeur

Jeudi 28 avril était un jour chômé sur l'ile de Wallis, pour la célébration de Saint Pierre Chanel, que je ne connaissais pas avant de venir ici. C'est le premier martyr d'Océanie (1803 - 1841). D'après les informations glanées sur Internet, il aborde en 1837 l'ile de Futuna, proche de Wallis (à l'échelle du Pacifique ...) et entreprend avec deux compagnons un travail d'évangélisation de l'ile. Au début, les relations sont cordiales avec le roi, il en profite pour apprendre la langue futunienne avec pour objectif de prêcher l'Evangile. Son travail d'évangélisation commence dans une société où règne alors l'anthropophagie, comme dans nombre d'iles d'Océanie, y compris Wallis. Il se rend indispensable en soignant les blessés, en aidant ses semblables les plus pauvres et en prônant la paix chez les indigènes qui se livraient souvent la guerre. Il y gagne un surnom "L'homme à l'excellent coeur". Confronté à un nombre grandissant de conversions, le roi commence à livrer une guerre tout d'abord sournoise, en coupant les vivres et en volant les récoltes de Saint-Pierre Chanel et des missionnaires, qui en furent réduits à manger leur chien. Les menaces de mort grandissent après le succès manifeste de la religion avec la conversion du propre fils du roi. Celui-ci est particulièrement choqué que son enfant consomme de l'igname, alors que cet aliment ne peut être consommé selon la coutume ancestrale avant la naissance de son premier enfant. Le roi sent son pouvoir ancestral vaciller. Les menaces se précisent définitivement le 28 avril 1841, jour de l'exécution de Saint-Pierre Chanel par les troupes du roi, menés par son gendre. Il est surpris seul dans la maison des missionnaires et il est assommé à coup de bâton et de massue, puis achevé par un coup de machette.

Je ne suis pas croyant, mais je suis intéressé par toutes les formes de spiritualité. Ce que je trouve passionnant dans cette histoire, c'est qu'il est possible d'y lire une répétition de l'histoire du Christ. Un homme meurt injustement ; une victoire posthume se dessine. En effet, désormais, les iles océaniques sont fortement christianisées, et l'influence de l'église est manifeste sur l'ile de Wallis. Son pouvoir est très grand sur l'ile, à côté des deux autres pouvoirs que sont la république et les autorités coutumières. Les Wallisiens sont très pieux, et les églises ici ne résonnent pas dans le vide, bien qu'il y ait trois grandes églises sur le territoire et une cathédrale, pour moins de dix mille habitants ... Les wallisiens se lèvent parfois à cinq heures pour assister à la messe. Je suis étonné par cette très grande influence à double titre : d'une part, la place du religieux est en déclin en métropole, Wallis constitue une exception à cette règle ; d'autre part, au sein des églises chrétiennes, ce sont les églises évangéliques qui ont le vent en poupe en métropole, alors qu'ici elles ne sont que très faiblement représentées. 

Si la religion chrétienne s'est développée dans ces contrées, c'est tout simplement qu'elle recèle en elle de la justice et de la générosité. Je suis laïque et non croyant, mais je suis convaincu de l'influence chrétienne sur la lente édification de principes tels que ceux des droits de l'homme ou de la devise française "Liberté, Égalité, Fraternité". La morale laique peut parfaitement coexister avec les religions. Et ici comme ailleurs, à Venise, Amsterdam ou Vienne, le Christ en prenant pied sur l'ile se métamorphose, s'adapte aux couleurs locales dans les représentations qui en sont faites. Sur l'ile , sa couleur de peau change,  il est revêtu des plus beaux atours et ceint de colliers de fleurs, comme dans le Christ au carrefour que je vous ai déjà montré dans l'article "Ballade en scooter sur l'ile" , ou celui-ci sur un petit lieu de prière improvisé en plein ciel à côté du seul rond-point de l'ile :

Christ dans les cocotiers

Ce qui étrange pour un oeil métropolitain qui regarde toutes ces représentations du Christ à Wallis, c'est la présence de ce tissu très long qui  le recouvre depuis les hanches jusqu'aux pieds, alors qu'il n'est souvent vêtu que d'un pagne dans les représentations occidentales. Cette curiosité est tout simplement liée à la lutte de l'église chrétienne contre la nudité arborée par les peuples indigènes en Océanie au moment de l'évangélisation. Comment lutter contre le port du pagne alors que le Christ lui-même est revêtu d'un simple pagne appelé "perizonium" au moment de sa crucifixion ? Les religieux se sont empressés de rhabiller le Christ dans ces contrées...

mercredi 20 avril 2011

La terreur des coqs et des wekas

Combat de coqs

Wallis vit désormais à l'heure de la modernité, au rythme du village global planétaire, via la télévision et Internet notamment. Mais de temps en temps, quelques bribes éparses viennent rappeler l'origine profondément rurale et traditionnelle de Wallis. Les coqs font partie de ce folklore. Ils rivalisent chaque matin et parfois en cours de journée par leurs chants, c'est une véritable cascade qui s'amplifie, diminue, semble s'éteindre puis reprend inévitablement ... C'est évidemmment à l'aube que vous le percevez le plus distinctement, le chant du coq émerge du silence aux alentours et pour peu que vous soyez réveillé tôt un matin, il est impossible de vous rendormir...


Coq du voisin = chant du matin

C'était dimanche, j'avais décidé d'acheter du pain pour le petit déjeuner. La porte de la cuisine a claqué vigoureusement derrière moi, comme les battants d'une porte de saloon. Je suis allé me percher sur mon scooter, je m'avançais sur le sentier devant la maison lorsque je me suis retrouvé nez à bec avec le coq du voisin qui me défiait sur mon territoire. Il restait planté là sur le chemin, sans bouger d'un ergot. Je me suis efforcé de garder mon calme, de ne manifester aucune émotion particulière, je suis descendu de mon destrier, je lui ai fait face. Le soleil levant commençait à illuminer la scène, le coq a planté son regard dans le mien, je n'ai pas vacillé, le temps s'est suspendu quelques instants. Sa crête s'est redressée rouge vif, elle a flotté dans l'air, menaçante et aggressive.

Il a dégainé le premier, en entamant son chant qui a vrillé dans l'air matinal. Les notes stridentes ont transpercé l'air, elles m'ont atteint en plein coeur, j'ai failli défaillir. Il a continué à s'époumoner, son chant semblait ne plus en finir, je tremblais sur mes bases. A un moment donné, son chant a légèrement faibli, j'ai placé un contre foudroyant, j'ai hurlé à tue tête avec toute la force qui me restait "Cocorico-coco". Il est resté pétrifié sur place, il n'imaginait sans doute pas qu'on puisse chanter aussi faux, sa crête a blémi et s'est affaissée sous l'effet des notes mal accordées ... J'ai continué sur ma lancée, j'ai lancé un deuxième et vigoureux "Cocorico-coco" et là, je l'ai vu s'enfuir, épouvanté, les deux ailes déployées. Je venais de le vaincre, sans doute définitivement puisqu'il évite désormais de croiser mon chemin. J'ai réenfourché fièrement ma monture, je suis reparti vroum vroum vers mon destin qui était ... d'acheter du pain ;-)

Tous les oiseaux ne volent pas

La première fois que j'ai vu un weka, je l'ai pris pour un canard ou plus exactement un caneton. J'en ai vu plusieurs, je me suis dit au bout d'un moment qu'il y avait beaucoup de canetons, où étaient le papa et la maman ? Puis on a rectifié mon erreur (mea culpa ... mea maxima culpa) il s'agissait de wekas, oiseaux typique de l'océan Pacifique, je vous rassure ils ont donc bien tous un papa et une maman...


Un weka trotinnant, mais sans trotinette ...

Le weka a un plumage à dominante brun-beige avec des stries. Il est plutôt de petite taille et dépasse rarement les 20 cm. La particularité est que les wekas ne volent pas, mais ils peuvent marcher très rapidement sur leurs petites pattes. J'ai été surpris de lire en faisant des recherches sur Internet qu'il n'était nullement craintif envers les hommes, car ceux que j'ai côtoyés ici s'enfuient dès que je les approche, j'ai eu du mal à en capter un en photo, je n' y ai réussi que grâce à un bon zoom sur mon appareil. L'espèce non craintive est peut-être celle de Nouvelle Zélande car ici, à chaque fois que je me suis approché d'eux, les wekas se sont enfuis, en remuant frénétiquement des ailes, ce qui leur permettait de bondir sans s'envoler et de cavaler sans doute un peu plus rapidement.

Suis-je si effrayant que cela ? J'ai bombé le torse, en me regardant dans un miroir, puisque j'avais terrassé un coq et que je faisais fuir les wekas, du haut de mon mètre 67. J'ai toujours cru que je mesurais 1 m 69 (c'est ce qui est inscrit sur ma carte d'identité), et lorsqu'il a fallu passer par la visite médicale avant le départ à Wallis, le verdict du médecin est tombé, 2 cm en moins, je lui ai demandé de me toiser une deuxième fois, mais la sentence a été impitoyable. Où sont mes 2 cm perdus, me suis-je dit à la sortie de la visite médicale ? J'ai immédiatement soupçonné mes grands amis de me les avoir volés, et par définition mes amis sont grands puisque je suis petit. Je les ai scrutés en cachette, mais je n'ai rien découvert ; si le larcin avait eu lieu, il avait été réalisé subrepticement et avec doigté. Ou alors, avec la vieillesse et la gravité qui exerce sa pression permanente, je m'étais peut-être voûté davantage ? Ou peut-être ces 2 cm étaient simplement perdus, si vous les retrouvez dans un quelconque caniveau, dans quelque broussaille, mettez-les de côté, ils sont à moi, je les récupérerai à mon retour en métropole ...
Si la perte des centimètres se confirmait et s'accélérait, je serais dans quelques années face à un weka, devenu alors plus grand que moi. S'il s'approche de moi, je battrai sans doute en retraite ... Si j'agite frénétiquement les bras, parviendrai-je à voler ? 

mercredi 13 avril 2011

"Nuit blanche" sur l'ilot Nukuteatea : deuxième journée

"Nuit blanche" à l'ilot : j'avais décidé d'être obéissant, à l'insu de mon plein gré, puisque je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit... Je me suis couché torse nu dans le hamac. Malheureusement, j'avais oublié d'enlever le sable de mes pieds, celui-ci s'est diffusé dans le hamac ... Par vagues successives, j'ai commencé à ressentir les grains insidieux qui se transformaient avec la fatigue en pointes minuscules et déagréables, parcourant le corps. La sensation était particulièrement pénible au niveau du dos. J'ai essayé tant bien que mal de faire avec, mais au bout d'une d'une heure et demie, j'ai compris que je ne pouvais pas continuer ainsi. Je me suis levé pour chercher un pyjama dans mon sac ; à ce moment, Jérémy, qui ne dormait pas, a crié "Qui est là ?", je l'ai rassuré, je suis allé me  recoucher, en prenant  bien garde de nettoyer le hamac et d'essuyer consciencieusement mes pieds avant de les déposer à l'intérieur. Mais je n'ai toujours pas réussi à m'endormir. Je ne trouvais pourtant pas la position si inconfortable que cela, mais le sommeil avait fui, j'ai essayé en vain de le rattrapper toute la nuit ; j'ai marché, couru, nagé vers lui mais il s'est esquivé toute la nuit. Puis j'ai attendu que ça passe, et c'est passé ...

Au matin, petit déjeuner. J'ai repris deux fois du café sur l'ile mal nommée. Vincent a proposé une petite ballade sur son kayak, je me suis mis devant, et nous voilà partis, pagayant à l'unisson, hopla, hopla, droite, gauche, droite, gauche, consciencieusement, énergiquement ... Nous avons contourné l'ilot de Nukuteatea , nous nous sommes avancés face à l'océan. Nous nous sommes approchés jusqu'à une trentaine de mètres du bord du lagon, le fond commençait à affleurer, nous l'avons touché à deux reprises avec le kayak. C'était l'heure de la marée montante, nous avons défié les hautes vagues, qui heurtaient le lagon puis se diffusaient dans celui-ci avec moitié moins de force, mais elles arrivaient  tout de même à faire tanguer l'esquif. Les plus fortes bondissaient au delà de la proue, me heurtaient et l'écume jaillissante volait en éclats, retombait et se répandait à l'intérieur du kayak. Au bout d'un moment, impressionnées sans nul doute par notre orgueil et notre persévérance, les vagues ont diminué en intensité ... Après un petit détour vers un banc de sable, nous avons rebroussé chemin.

Petite séquence jeu au retour. Je n'ai pas joué au scrabble, étant certain, compte tenu de mon niveau, de perdre. J'ai tâté du ballon (foot et volley) avec quelques enfants et Jésus. J'aime jouer avec les enfants, car j'ai ainsi le sentiment de très bien jouer. A ce propos, petite anecdote, quand j'étais plus jeune, il m'arrivait de jouer au foot avec mes petits frères, qui ont une grande différence d'âge avec moi. Je jouais seul contre tous, je les passais, les repassais en revue et à la fin ... je gagnais. L'un de mes frères m'a dit qu'il priait secrètement (nous avons reçu une éducation religieuse) pour devenir aussi bon que moi, je représentais le summum pour lui. Et heureusement pour lui, Dieu n'a pas exaucé ses prières puisqu'il s'est rendu compte en grandissant que j'étais très mauvais au foot ;-) et qu'il est devenu bien meilleur que moi...

Puis l'heure du repas a tinté ding, ding et le spécialiste des grillades a sévi encore, comme il l'a fait pendant deux jours.


Stanley Maître es grillades

A la fin du repas, deuxième anniversaire, cette fois-ci pour la fille de Stanley et Murielle.  Elle a abandonné une année sur une palme de cocotier et en a agrippé une nouvelle qui reposait sur une palme un peu plus haute.

Joyeux anniversaire Leslie

L'après-midi a été consacrée à la sieste pour beaucoup d'entre nous. Je me suis mis dans un hamac siège, petit fauteuil suspendu qui a oscillé faiblement pendant une petite heure. Je n'ai pas réussi à dormir, mais l'oscillation paisible, le bruit doux, régulier des vagues m'ont reposé. L'heure du départ a résonné bang bang, et nous avons fait le chemin inverse à regret ...

 

dimanche 10 avril 2011

"Nuit blanche" sur l'ilot Nukuteatea : première journée

Lorsque  je suis sorti de la maison pour me diriger vers le lieu de rendez-vous pour le départ à l'ilot, je me suis dit qu'il faisait un temps magnifique et que nous avions de la chance. Arrivé dix minutes plus tard à cet endroit avec Jésus et Ghislaine déjà présents, une pluie drue et violente a débuté, trempant toutes nos affaires. En quelques secondes, malgré l'abri d'un arbre, nous étions trempé " jusqu'à l'os ". Curieux de nature, j'ai voulu vérifier la véracité de l'expression. J'ai pris un couteau de cuisine et j'ai choisi de manière adéquate l'os le plus long du corps, à savoir le fémur, pour tenter une telle expérience. J'ai incisé l'épiderme, puis lentement j'ai élargi la plaie en entamant profondément le muscle quadriceps fémoral pour avoir la possibilité d'accéder jusqu'à l'os. J'ai laissé tomber le couteau, j'ai introduit l'index droit et j'ai palpé l'organisme osseux. J'ai ressenti effectivement de l'humidité au bout du doigt, je l'ai vérifié en portant l'index à mes lèvres. Alors que je cautérisais la plaie, j'ai compris qu'en toute rigueur scientifique, il fallait que je vérifie si l'humidité sur l'os manifestait sa présence également en plein soleil. Ici, nous devenons comme la terre d'Uvéa, nous sommes trempés en quelques instants puis nous séchons quasi instantanément sous l'effet de chaleur et de la lumière. Toutefois, comme petit à petit, tout le monde arrivait pour prendre le départ, il a fallu que je reporte la tentative. Cela tombait bien, je préférais cicatriser ...
Je ne connaissais pas encore l'ensemble des personnes présentes, rencontrées via la salsa, le séjour a été une occasion de tisser des liens nouveaux. Il a fallu charger plusieurs bateaux avec les courses pour deux jours et nous avions également loué les services d'un Wallisien, Tominico, qui a fait deux voyages pour nous ramener sur  l'ilot Nukuteatea.  Arrivée sur l'ilot, déchargement et commencement des préparatifs pour la nuit. Nous avons accroché les hamacs aux poutres des falés, tandis que certains avaient privilégié une tente. Les préparatifs pour le repas ont pu commencer.
A la fin du repas, nous avons lavé les assiettes dans l'océan avec le sable, en repartant, je me suis retourné, j'ai vu les poissons se précipiter sur cette nourriture inattendue tombée du ciel. Petite séquence natation dans l'après-midi, précédée de barbotage dans l'eau et de discussions avec Marie-Christine et Éliane. J'avais emmené le masque et j'ai scruté le fond du lagon. A côté de l'ilot, c'est le sable qui prédomine, les poissons sont rares ; lorsqu'on s'éloigne du rivage, que la profondeur gagne du terrain,  les coraux se multiplient, et mêlés à eux, les poissons prolifèrent dans une explosion de couleurs et de formes. Puis un petit groupe dont je faisais partie est allé sur l'ilot aux oiseaux. Nous souhaitions grimper vers le sommet de l'ile mais la végétation était trop dense et nous étions particulièrement mal équipés. Retour vers le rivage de Nukuteatea et sans coup férir, l'heure du repas a de nouveau sonné, dong, dong ... A la fin du repas, surprise pour Cécile qui venait de déposer une ancienne année sur le rivage et de prendre délicatement possession d'une nouvelle sur l'ilot, au milieu de ses amis, des rires et de la joie.


Joyeux anniversaire Cécile

Après cela, séquence autour du feu pour chanter sous la houlette du musicien Vincent. Chansons choisies par ses soins : La Salsa du démon, Le Jour s'est levé, Love is All, Le Jazz et la Java, etc... Pour terminer Hallelujah de Rufus Wainwright, popularisé par le film Shrek. Je m'arrêtais de chanter de temps en temps pour pouvoir écouter les autres ; comme j'en entendais d'autres qui chantaient faux, je ne me sentais plus seul et je reprenais en choeur ...


Vincent et sa fille Lou-Anne à ses pieds
Une étrange lumière à sa gauche ?

Vers 11 heures, Pascal a proposé à ceux qui le souhaitaient d'aller voir des algues fluorescentes, qu'il avait repérées une autre nuit passée sur l'ilot. Il a fallu s'éloigner de 150 mètres de l'endroit où nous étions. Elles apparaissaient selon lui en frottant simplement le fond du lagon avec les pieds et les mains. Au début, rien, à part le sable qui se déplaçait lentement et qui s'éclairait sous la nuit étoilée. Subitement, une lumière est apparue puis s'est dissipée, puis une autre ... Nous sommes allés un peu plus loin dans le lagon jusqu'à avoir de l'eau aux genoux (nous étions quatre), nous avons frotté avec  nos pieds ou nos mains. Les micro-organismes fluorescents ont commencé à proliférer. Il suffisait de frictionner le sol, les lumières s'enclenchaient, par dizaines elles remontaient le long de la jambe et disparaissaient arrivées à la surface. Que devenaient-elles par la suite ? J'ai levé la tête vers les cieux, j'ai raisonné sereinement et j'ai bien sûr compris que ces algues phosphorescentes explosaient à l'air libre, devenaient invisibles à l'oeil nu puis déferlaient à une vitesse vertigineuse pour se ficher dans le ciel et se métamorphoser en  étoiles. Quelles étoiles allais-je créer, me suis-je demandé ? Allions-nous engendré une nouvelle constellation à nous quatre ? Valérie nous a montré une petite roche sur laquelle le micro-organisme s'accrochait obstinément ; contrairement aux autres lumières qui dansaient et s'évaporaient, celle-ci refusait sa mue en astre et souhaitait demeurer au fond de la mer ... Au retour, Pascal m'a montré  la constellation de la Croix du Sud, visible depuis l'hémisphère sud et facilement repérable.
Au retour, discussion autour de la table. Mais insensiblement mes paupières commençaient à s'alourdir, je suis allé au dodo un peu après minuit.

mardi 5 avril 2011

La glacière coffre-fort

La particularité à Wallis est qu'on y effectue au niveau professionnel des tâches qu'on ne réalise jamais en métropole, ou  sous une forme originale. Exemple : la distribution de l'allocation vieillesse trimestrielle aux personnes âgées.  Il s'agit d'une aide donnée par la circonscription aux personnes âgées. En métropole, le paiement d'une telle aide est lié à un simple clic, et quasi instantanément au niveau informatique, l'aide atterrit sur un compte bancaire. Le lien entre l'Etat et les citoyens devient invisible. Ici, la majorité des Wallisiens n'utilise pas le système bancaire et l'économie est encore en grande partie de type non monétaire. Le circuit bancaire est très peu développé. Il existe une seule banque, la BWF, filiale de la BNP, qui propose l'utilisation du compte bancaire. Les plus pauvres sont exclus du système bancaire, par manque de ressources. De ce fait, la paierie du territoire où je travaille a mis en place le paiement direct à ces vieilles personnes en espèces. Or, comme beaucoup de ces personnes ont des difficultés à se déplacer, nous nous déplaçons chaque trimestre pour le paiement de ces sommes. Pour chaque personne, le montant est de 43 350 francs pacifique, soit moins de 400 euros, montant très faible. Pour certaines familles, il s'agit d'un complément de revenu puisque leurs enfants habitent sous le même toit. Toutefois, pour d'autres plus isolées, il parait que cela peut être la seule source de revenus.

L'annonce de la distribution de ces allocations se fait sur RFO, très écoutée au niveau local. Elle s'espace sur trois matinées, au nord près de l'église Saint-Pierre-et-Paul, au centre près du palais royal et de la cathédrale, et au sud à deux endroits près de l'église du Sacré Coeur et de l'église Saint Joseph. La distribution républicaine se fait ici à proximité de l'église. Nous nous y rendons avec la vieille Mégane du service. L'originalité est que l'on transporte les sommes préparées à l'avance dans une glacière.

Ne sert pas que pour les pique-niques ...

Quand nous arrivons, la grande majorité des personnes est déjà présente et nous attend dans le calme. Ces vieilles personnes sont le plus souvent des femmes, signe indirect peut-être de leur plus grande espérance de vie, ici comme ailleurs. Elles bavardent, s'interpellent d'une voix aigue d'un bout à l'autre de la pièce ou de la cour en wallisien, ça piaille, ça rigole, ça marchande car certains malins viennent vendre leur récolte. Ces vieilles dames, qui en règle générale ne parlent pas français ou très peu, me rappellent ma mère qui s'exprime très mal en français. Elles sont issues d'une génération où l'école était absente sur le territoire wallisien. Elles ont le visage marqué des personnes qui ont toute leur vie travaillé la terre, mais une évidente joie de vivre les traverse, elles sont souriantes, de bonne humeur. 
La distribution se fait dans un ordre immuable et dans une grande discipline ; Nico, Wallisien qui travaille à la paierie, appelle au fur et à mesure chaque village et les personnes se présentent à nous, munies d'une pièce d'identité et d'une procuration éventuellement, que nous vérifions à chaque fois. Je prends le passeport ou la carte d'identité de la main gauche, je contrôle la signature, je glisse l'enveloppe dans le justificatif d'identité que je leur tends de la main droite. J'associais spontanément l'idée d'une enveloppe dans laquelle figurent des billets avec l'image du pot-de-vin illégal, mais désormais la distribution des enveloppes sera associée en moi à l'idée de service public ...

Parfois, c'est moi qui appelle les villages, et là je me fais plaisir ... Mon village préféré, c'est "Kolopopo" dans le sud, j'arrondis ma bouche et je fais tonner dans l'air les "O" de " KO - LO - PO - POOOO". J'ai la chance qu'il y ait parfois des retardataires et là, je peux une deuxième faire fois crier à la volée pour faire retentir un  magnifique " KO - LO - PO - POOOO" dont les ondes tournoient de manière allègre dans l'air de Wallis.  Prénoms les plus courants dans cette génération d'après les passeports : Malia et Sosefo, c'est à dire Marie et Joseph. Au sud, une Wallisienne m'a offert un collier de fleurs en remerciement, comme elle le fait parait-il à chaque fois pour le papalani présent. Ce qui me fascine, c'est l'inégalité perceptible même sur un territoire minuscule comme celui d'Uvéa. Le district du sud regroupe autant de bénéficiaires que ceux du nord et du centre, et j'ai le sentiment que l'illettrisme y est plus poussé. Les personnes ne savent pas lire les procurations, signent aux mauvais endroits. A l'issue de la distribution, beaucoup d'entre eux me disaient "Malo". Et attention, ils ne pensaient pas à mal, puisque "Malo" à Wallis, c'est "Bueno", cela signifie "Bonjour" ou "Merci", selon les circonstances. Je leur répondais "Malo".

PS : "Olam", ce qui en verlan wallisien doit vouloir dire "Au Revoir" et "Merci", il faudra que je vérifie ...

vendredi 1 avril 2011

L'aquarium des lagons de Nouméa : Suite

Les gorgones font partie d'une classe particulière de corail  puisque ses ramifications peuvent mesurer jusqu'à 50-60 cm. Elles ne s'attachent pas à un fond dur comme les autres coraux mais à un fond de sable et de boue.

Les gorgones - Ne regardez pas fixement l'écran ...

J'ai regardé intensément les gorgones présentes dans un bac, ses longs filaments rouges et minces semblables à des cheveux ondulaient lascivement dans l'eau. Malgré tous mes efforts, j'étais incapable de détacher mes yeux, il me semblait que les cheveux filandreux des gorgones grandissaient et se détachaient vers moi... J'étais incapable du moindre geste, de la moindre parole, je sentais que mes jambes commençaient à se paralyser, mon estomac se nouait et je ressentais un vague goût de pierre au fond de la bouche...
La vision d'un poisson ange, qui musardait devant les gorgones, me délivra du maléfice.

Le poisson ange
Si vous en prenez un dans vos filets, la pêche est miraculeuse

La visite de l'aquarium se termine en apothéose par les deux plus grands bacs consacrés au lagon puis à l'océan, respectivement de 80 mètres cube et 400 mètres cube. Explosions de couleurs et de poissons dans ces deux bassins. Roi incontesté : le requin précédé de sa renommée, de sa légende. Les enfants le montraient du doigt, n'avaient de cesse de l'évoquer à vive voix, redoutant l'animal mais espérant peut-être secrètement qu'il allait s'en prendre aux poissons environnants. Le requin exposé était inoffensif, il me semblait même qu'il s'écartait parfois du chemin des petits poissons, politesse des rois oblige ...

J'allais m'en aller lorsque j'aperçus un poisson perroquet. Son nom provient de son bec crochu qui évoque celui de son cousin ailé, ainsi que des superbes couleurs de sa robe. Je me suis demandé s'il avait développé également le don de la parole et à ma grande surprise :
- Comment t'appelles-tu ? lui demandai-je
- Comment t'appelles-tu ? me répondit-il
- Je m'appelle Erhan, et toi ?
- Je m'appelle Erhan, et toi ?
- Tiens, tu t'appelles comme moi ?
- Tiens, tu t'appelles comme moi ?
...

Au bout d'un moment, je compris tout de même que les perroquets ne portent pas mon prénom et que celui-ci, dans le fond de l'aquarium, manquait totalement de nuances dans la conversation ; j'ai clos celle-ci.


C'est un poisson perroquet
C'est un poisson perroquet

Je suis ressorti de l'aquarium. Sur le chemin du retour à l'hôtel, une pensée m'a traversé l'esprit : "Aucune repartie, ce perroquet". J'ai perçu une vague pensée derrière moi : "Aucun humour, cet être humain". Je me suis retourné très vite, j'ai entraperçu une nageoire qui s'estompait dans le ciel, le perroquet s'était envolé ...