On ne nait pas inspecteur
des finances publiques, on le devient … Personne ne rêve enfant
d'occuper de telles fonctions, ce ne fut pas un aboutissement mais je
fais le job comme dirait le pauvre Job et au final, je suis heureux de réaliser ce
travail. Je fais partie de la grande famille de ce que les Évangiles
appellent « les collecteurs d'impôts et autres gens de
mauvaise réputation » avec dans cette dernière catégorie une
assimilation fréquente aux prostituées ;-)
J'ai pris conscience
alors d'être un rebelle, mon cœur ensauvagé, insoumis de
fonctionnaire chante depuis à tue tête la chanson de Georges
Brassens :
Au village, sans
prétention,
J'ai mauvaise réputation.
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi!
Je ne fais pourtant de tort à personne
En vous prél'vant ça et là des petites sommes ;-)
J'ai mauvaise réputation.
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi!
Je ne fais pourtant de tort à personne
En vous prél'vant ça et là des petites sommes ;-)
Au sens strict, je n'ai
jamais contrôlé les feuilles d'impôt de quiconque, mais j'ai
exercé des tâches qui participent à la fonction coercitive
redoutée du contrôleur puisque j'ai signé des états de poursuite
remis aux huissiers, des saisies de compte bancaire ou employeurs.
Une des expériences les plus attrayantes a été d'assister à une
vente aux enchères en métropole. C'était au tout début de ma
carrière d'inspecteur lors de la période de stage avant la prise de
fonction. L'huissier du Trésor public avait saisi les biens d'un
mauvais payeur dans une ville au Nord du Bas-Rhin, qui exerçait une
profession libérale en profitant de la proximité de l'Allemagne
pour y développer sa clientèle sans payer d'impôts ni en Allemagne
ni en France. De mémoire, son ardoise constituée du principal et de
pénalités, accumulée sur plusieurs années et plusieurs types
d'impôts, avoisinait les 100 000 euros. Parmi ces biens, des meubles
d'assez grande valeur, des tableaux, du matériel Bang et Olufsen qui
s'est vendu à un prix très élevé et deux montres de qualité,
dont l'une de marque Jaeger et Lecoutre modèle Reverso. L'huissier
n'était pas certain de l'origine, c'est pourquoi il avait mis sur
l'annonce de la vente qu'il s'agissait de montres « signées »
de marque. Ces deux montres constituaient l'attraction principale de
la vente, j'ai été chargé de les garder dans mes poches pour
éviter tout vol et les montrer au fur et à mesure aux éventuels
acheteurs venus inspecter leur qualité. J'ai discuté avec ces
personnes qui étaient passionnés par l'univers de la montre,
domaine qui m'est rigoureusement étranger. Avec une petite loupe,
ils examinaient chaque parcelle de ces mécanismes délicats,
vérifiaient le poids, le numéro de série à l'arrière. Ils m'ont
tous garanti qu'il s'agissait bien d'originaux, que ce n'étaient pas
des contrefaçons.
Le mécanisme de la vente
aux enchères est passionnant, il met à nu le mécanisme fondamental
psychologique de l'homme du désir mimétique, il organise une lutte
feutrée, disciplinée par lequel on tente d'acquérir un bien sous
le regard d'autres personnes, d'autres inconnus qui peuvent se
transformer en quelques instants en adversaire acharné, avide de
triompher de la compétition. La vente avait attiré une foule
nombreuse de curieux grâce à l'encart dans le quotidien local. Les
enchères sont montées très vite. J'ai été impressionné par le
prix de vente final des biens audio et vidéo Bang et Olufsen assez
proche finalement du prix du neuf alors que nous le vendions sans
aucune garantie de fonctionnement. La vente exerce un effet
euphorisant, grisant, il était clair que les acheteurs se laissaient
entraîner dans une spirale d'achat effréné, ne voulant pas céder
à la volonté de celui qui enchérissait dans le même tempo, en
dépassant largement la limite qu'ils s'étaient imposés en début
de séance.
Même topo pour les
montres, du chœur des spectateurs en rang debout en face de
l'huissier faisant office de commissaire-priseur s'extrayaient
rapidement quelques enchères qui au début se succédaient en
rafale. S'imposent trois, quatre demandeurs qui au final se réduisent
à une compétition à deux, un face à face. Les enchères montent
progressivement mais parfois, pour impressionner l'adversaire, l'un
surenchérissait brusquement, d'un bond impressionnant sans doute au
niveau du prix qu'il s'était secrètement fixé au départ, histoire
de démontrer sa détermination. Mais l'atmosphère était
surchauffée ce jour là, aucun ne s'en est laissé compter, après
un léger temps d'attente, d'hésitation, la voix, le regard qui
semblait en voie de capituler calmement proposait une nouvelle
offre. Croisement des regards, détermination sans faille dans l'iris
... Va-t-il enfin céder ? … Poids du regard curieux des autres sur
soi ... Désormais je suis démasqué, mon désir est sur la place
publique, je suis à découvert, nu, je ne peux plus reculer, je dois
continuer … Course folle jusqu'à l'extinction … Les deux montres
ont été vendues pour un total avoisinant 3000 euros.
Les adjudicataires sont
venus récupérer leurs biens à l'issue de la vente.
Prestidigitateur sublime Abracadabra j'ai sorti les montres de la
poche de ma veste, j'ai failli les faire disparaître, les
volatiliser dans l'air mais au dernier moment armé d'une immense
bonté je les ai offertes à leurs nouveaux propriétaires ;-)
Bang
Bang Bang
Arrivé à Wallis, les
expériences originales se sont multipliées. Le maître mot est ici
la polyvalence et non la spécialisation comme en métropole. L'une
de mes activités est d'organiser la vente des biens de l'État
sortis de l'inventaire, en majeure partie des véhicules. Jusqu'en
2011, le système des ventes publiques s'est organisé autour de
propositions d'achat par soumissions cachetées avec ouverture des
plis en commission d'attribution. Ce dispositif présentait de
nombreux inconvénients, parmi lesquels l'absence de transparence,
nous sommes passés au principe des enchères verbales directes. Par
rapport à la métropole, certains des biens mis en vente peuvent
être vraiment dans un état désastreux en raison du mauvais état
des routes, de l'humidité de l'air et de la corosité de
l'atmosphère salin mais compte tenu de la rareté des biens, ils ont
encore une valeur sur le marché. La vente permet de libérer
l'espace public de ces carcasses très rapidement remises en état par
les acheteurs après la vente ou utilisées pour les pièces
détachées.
Tracteur mis en vente
La volonté de
transparence s'est retourné un jour contre nous. Nous avions mis en
vente un véhicule en bonne qualité, une Suzuki Vitara, modèle
populaire sur l'île, puis à la suite de la demande d'un service de
l'Etat qui souhaitait le récupérer, nous l'avions retiré de la
vente qui se déroulait à 14 heures ce jour là. Le Payeur qui
organisait les enchères annonce le retrait de ce véhicule, les
esprits s'échauffent, certaines personnes le menacent verbalement,
l'accusent de favoritisme envers « les papalanis », les métropolitains, alors
que selon nos informations il devait être remis en qualité de
véhicule de service à un Wallisien travaillant dans
l'administration … A la suite de cet épisode, nous avons décidé
d'organiser les ventes le matin et non plus en début d'après-midi
car les deux ou trois personnes agressives étaient visiblement
éméchées après un repas arrosé. Cette vente constitue pour le
moment l'exception qui confirme la règle, car toutes les autres se
sont déroulées dans un esprit respectueux et cordial.
La vente la plus
originale a eu lieu à Futuna, île distante de 250 kms de Wallis.
Première source d'originalité : nous avons vendu une tonne à
lisier, particulièrement utile dans ces contrées où le cochon est
roi, ainsi qu'un tracteur qui avaient été laissées en pleine nature.
Nous avions demandé aux travaux publics de ramener l'ensemble des biens dans
leur garage mais compte tenu de la place et de l'état des engins, cela avait été impossible.
Ils se trouvaient dans un léger virage d'une route qui montait vers
les sommets de Futuna, je n'arrivais pas à les distinguer sous
l'amoncellement de la végétation drue qui avait recouvert les
carcasses métalliques.
Tonne à
lisier en tenue de camouflage
...
Malgré cela, les biens
se sont vendus, à un tarif tout à fait correct. Et dès
l'après-midi, les Futuniens étaient à pied d'œuvre pour
débroussailler aux alentours des véhicules et les remettre en état de marche.
Autre source
d'originalité : la vente d'armes saisies par la Douane. Les biens
doivent être déclarés à l'entrée sur le territoire et les taxes
douanières peuvent être très lourdes. En cas de non paiement, ils peuvent être mis aux enchères pour l'acquittement des taxes.
C'était la première vente d'armes que nous effectuions, la rumeur
que l'on proposait des carabines a fait le tour des deux îles.
J'avais dû informer de nombreuses personnes à Wallis qui avaient la
possibilité d'enchérir par proposition écrite. Les acheteurs
devaient déposer une demande de port d'armes dans les conditions
habituelles, les carabines étant particulièrement prisées pour la
chasse de roussettes. J'étais fasciné par ces quatre armes, je les ai
touchées, soupesées, je n' ai jamais manipulé des fusils ailleurs
que dans les fêtes foraines. Léger frisson quand vous les prenez en
main, symbole de la puissance mais aussi de la mort …
Les armes de Futuna
A Futuna, les ventes
mobilisent une dizaine de personnes au maximum, en règle
générale des professionnels, des garagistes. Du fait de la présence
des fusils, une masse d'une quarantaine de curieux se pressaient. Les
enchères ont démarré à un niveau élevé du fait de l'existence
de propositions écrites de Wallis pour chacune des armes, mais elles
sont tout de même montées rapidement jusqu'à l'enchère finale,
qui a retentit comme une dernière salve dans le garage.
Pschiiit
…
Autre expérience
pédagogique et ludique, celle du stage Incendie dans le cadre de la
prévention aux risques réalisé dans le cadre du travail. Je trouve
sidérant d'avoir dû aller à Wallis pour bénéficier d'un tel
stage qui pourrait être obligatoire en métropole, ainsi que le
stage de secourisme que je viens de faire dans le cadre de la
plongée.
C'est évidemment la
pratique qui est le plus intéressant dans ce cadre. Nous sommes
venus en début d'après-midi à la caserne des pompiers.
Les deux formateurs
pompiers
Ils nous ont rappelé les
principaux éléments du cours théorique, les classes de feu, les
différents types d'extincteurs, la conduite à tenir en cas de
propagation de l'incendie. Ils ont mis le feu à une carcasse de pneu
qui brûlait constamment comme un amour obstiné, inextinguible, et qui se rallumait lentement
à chaque fois que l'on arrêtait de braquer l'extincteur dessus.
Hop, voilà, c'est mon tour ; j'ai dégoupillé l'extincteur comme
une grenade et les dents serrées, je me suis mis en position de
combat avec mon extincteur bazooka. Redoutable, invincible guerrier,
les yeux tendus vers la cible, je me suis approché du feu dans un grand cri de guerre …..
Banzaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
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