Mini
Jeux ; Maxi Préparation
Événement
interplanétaire, cosmique à l'échelle de Wallis-et-Futuna : ce
petit territoire a organisé du lundi 2 septembre au jeudi 11
septembre les mini Jeux du Pacifique. Kezaco ? Les Jeux du Pacifique
sont une compétition sportive internationale qui rassemble les 22
États ou territoires du Pacifique. Les mini Jeux sont la compétition
sœur de ces Jeux, qui permettent aux États ou territoires ne
pouvant prétendre à l'organisation des Grands Jeux d'accueillir
tout de même un événement sportif international, avec un programme
sportif réduit. Après une candidature marquée par un échec en
2009, Wallis-et-Futuna a été retenu pour organiser les mini Jeux en
2013.
Depuis
que je suis venu, c'est le grand sujet de discussion sur l'île. Il
s'agit d'accueillir plus d'un millier d'athlètes sur deux semaines
alors qu'il y a moins de dix mille habitants à Wallis et qu'aucune
structure d'accueil n'était prévue pour un tel afflux, l'île
restant à l'écart des flux touristiques. Au début, esprit très
pessimiste, défaitiste autour de moi Bzzzz Bzzzz ils arriveront
jamais à organiser un événement de cette envergure Bzzzz Bzzzz
c'est très mal organisé, ils prennent du retard partout Bzzzz Bzzzz
… J'ai participé moi-même à ce buzz négatif au tout début.
Toutefois, j'ai observé petit à petit la forte et grande
mobilisation qui s'enclenchait, l'effervescence qui régnait avec un comité
organisateur composé de jeunes très dynamiques, j'ai réalisé que
les mini Jeux précédents s'étaient déroulés dans des îles
parfois plus petites, moins développées, qu'il s'agissait avant
tout d'un projet associatif, j'ai été dès lors convaincu que
l'organisation allait être à la hauteur. J'ai été amusé par
l'augmentation de l'agitation à l'approche des mini Jeux, le dernier
mois a été frénétique et trois jours avant l'inauguration,
jaillissement de panneaux indicateurs pour indiquer la direction des
principaux sites.
Chemins
qui mènent aux mini Jeux
Le
début de ces jeux a été marqué par la venue des officiels des
territoires et de la métropole, avec la deuxième visite sur l'île de Victorin Lurel, ministre des Outre-mer qui était déjà venu après le cyclone Evan, et revenu désormais dans un contexte plus festif pour inaugurer les jeux. J'ai été invité
à la séance d'ouverture de l'Assemblée territoriale à laquelle il présidait. Ici, un simple inspecteur peut se voir proposer
d'assister de telles manifestations, j'ai reçu un carton d'invitation pour me rendre deux fois à
la résidence du Préfet, je guettais à chaque fois la venue des
célèbres chocolats des soirées de l'Ambassadeur, déception
infinie à la fin des réceptions ;-)
Mon
meilleur souvenir de ces cérémonies officielles est d'avoir été
invité pour un cocktail dinatoire à l'occasion de la commémoration
du 11 novembre sur la frégate française « Le Prairial »
qui mouillait dans le port de Wallis. Déambulation le long de
l'immense pont arrière alors que le vent cinglait ses fraiches
bouffées depuis le large, qu'un hélicoptère aux pales repliées,
comme un papillon au repos, sommeillait à l'extrémité du ponton …
C'est le seul territoire de France où une grenouille simple
inspecteur des finances peut se voir inviter sur un navire de guerre
de la Marine française, côtoyer des préfets, des ministres, et
espérer devenir aussi grosse qu'un bœuf ...
La
grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf – La
Fontaine
Une
grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur.
Disant : " Regardez bien ma sœur;
Est-ce assez ? dites-moi; n'y suis-je point encore ?
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point " La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur.
Disant : " Regardez bien ma sœur;
Est-ce assez ? dites-moi; n'y suis-je point encore ?
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point " La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Je
me rendais à la séance de l'Assemblée territoriale en remplacement
du directeur des finances publiques. Je m'étais étendu, j'avais
enflé, je m'étais travaillé en longueur, en hauteur et en largeur,
je n'égalais pas encore mes compères bœufs mais il me restait
encore une année pour y parvenir ;-) Dans l'assemblée, je cherche
désespérément ma place, elles sont toutes réservées avec une
pancarte, je n'ai pas mes lunettes et je reste peu habitué à de
telles cérémonies. La plupart des gens s'installe, je tourne encore
dans l'assemblée en guettant les chaises vides, je me dis qu'il
s'agit peut-être d'un jeu, celui des chaises musicales ils ont fait exprès d'en omettre une et
Hop au signal final (un coup de sifflet ?) tout le monde va s'asseoir, sauf
le perdant ...Ouf peu de temps avant le début de la séance, je
trouve la place réservée dans le cercle intérieur devant l'estrade
où se trouvent la présidente de l'Assemblée, le ministre des
Outre-mer et le préfet.
Je suis en contrebas d'une colonne où trônent le portrait géant de François Hollande au dessus d'un Christ en croix. La
présidente ouvre les débats en plaçant ceux-ci, ainsi que les mini
Jeux, sous le signe de Dieu. Elle demande à l'ensemble des
participants de faire de même, j'assiste ébahi, écarquillant les
yeux, au spectacle de quasiment toute une salle, y compris le préfet
et le ministre effectuant le signe de croix « Au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit, Amen » en ouverture de la séance.
Je suis toujours stupéfait de l'exception accordée à Wallis au
principe de la laïcité. Cela ne me choque pas
car je n'ai jamais perçu de signes d'intolérance religieuse chez
les Wallisiens, mais j'imagine encore et toujours en souriant un
laïcard pur et dur, bouffeur de curés, bondissant à chaque écart par rapport à la
laïcité dans l'espace public français, ses bonds lui auraient
permis ici d'atteindre la lune ...
La
cérémonie d'ouverture : « Pasifika Lena, Pasifika Pe'ia »
Deux
jours plus tard, c'est la cérémonie d'ouverture au stade de Kafika
le lundi 3 septembre, j'ai une invitation à la tribune officielle et
je m'y rends un peu avant 14h00, heure prévue pour le début du
défilé des délégations d'athlètes. Beaucoup d'agitation dans la
tribune, et sans nul doute de stress pour les organisateurs, car au
dernier moment de nombreux changements de places pour les invités
prestigieux se décident … Enfin le défilé des athlètes
commence. S'avance en éclaireur les représentants du premier territoire tandis que le speaker annonce : les Iles Cook, sept athlètes,
huit officiels accompagnateurs …
Passage
des vingt délégations du Pacifique sous nos regards, occasion rêvée de réviser ma
géographie pacifiquienne : je connaissais les îles Samoa mais
j'apprends qu'il y a des Samoa américaines, je suis surpris par
l'existence d'une île de Norfolk non loin de l'Australie ainsi que
deux autres îles inconnues, Palau et Niue ; les territoires au nom
enchanteur, qui frappaient l'esprit enfant en raison de l'exotisme
attaché à leur éloignement processionnent sous mon regard, mon
esprit s'évade, embrasse dans une grande effusion l'immense
Pacifique, Kiribati, Vanuatu, Guam, Tahiti, Tuvalu, les îles Salomon
... Les plus grandes délégations avaient prévu une courte
séquence de pas rythmés, dansés et/ou de chants pour se présenter face aux tribunes.
Avec l'âge, je suis en train de devenir chauve, donc soyons
chauvins, les meilleures animations furent proposées par les
délégations francophones, Wallis-et-Futuna, Tahiti et la
Nouvelle-Calédonie, avec pour ce dernier territoire à la baguette
un Kanak en tenue traditionnelle, énergique, bondissant, survolté,
menant la troupe des sportifs avec leur cri de ralliement « Cagous
Hou, Cagous Hou, Cagous Hou Hou Hou ». Le cagou est un grand
oiseau blanc endémique de la Nouvelle Calédonie et les équipes de
sport de ce territoire s'affublent de ce surnom.
Cagou
Hou Hou Hou
Après
avoir défilé, les athlètes se dirigeaient au centre du stade, le
soleil brillait de tout feux, de toutes flammes, en plein éclat ce
jour là. Ils ont été obligés de patienter en plein cagnard alors
que commence le deuxième temps de la cérémonie, celui des
discours. Je considère que ce fut la seule fausse note de la fête
car les discours du ministre des Outre-mer, du président fidjien du
Conseil des Jeux du Pacifique et du président du comité de
Wallis-et-Futuna s'éternisèrent près d'une heure avec une
traduction à chaque fois français-anglais.
Le
discours de Victorin Lurel
Je
compatissais à la situation de ces athlètes attendant patiemment
sous un soleil-massue, un simple « Je déclare l'ouverture des
neuvièmes mini Jeux du Pacifique » aurait largement suffi. Un
peu plus de considération pour les sportifs, foin de la politesse,
des courbettes et salamalecs …
La
flamme symbolique, constituée d'une sculpture en bois en forme de
flamme a été brandie à travers une haie d'honneur par le champion
du monde handisport de lancer de javelot wallisien Tony Falelavaki et
le drapeau des jeux a été hissé. Troisième temps de la cérémonie,
le spectacle d'accueil constitué par des danses de village relatant
l'histoire de Wallis, ses légendes et la diversité de ses
traditions. Les danses mêlaient tradition et modernité, elles
étaient beaucoup plus rythmées, dynamiques, enjouées que ce que
j'ai eu l'habitude de voir jusqu'ici, un chorégraphe wallisien venu
de Nouvelle Calédonie avait opéré une touche d'innovation
rafraîchissante. La mise en scène suivait les grandes étapes de
l'histoire du territoire : les contes et légendes qui façonnent la
culture, la venue des premiers Tongiens, l'apparition des missionnaires
français, le changement du statut en 1961 avec l'adhésion à la
citoyenneté française. Point d'orgue du spectacle, quelques
Tongiens sont venus se mêler avec leur drapeau aux danses évoquant
les batailles du passé, en ferraillant avec des lances en bois avec
leurs amis Wallisiens qui avaient tenu à rappeler leur ascendance
tongienne. Les athlètes de Tonga avaient fait une arrivée remarquée
quelques jours auparavant en venant en bateau de leur île pour
rappeler que les premiers Wallisiens étaient de leur souche.
Les
danses de la cérémonie d'ouverture
Slogan
des Jeux : « Pasifika Lena, Pasifika Pe'ia » « Le
Pacifique Autrement, le Pacifique Simplement » à l'image de la
cérémonie.
La
danse de la victoire et de la joie
J'ai
essayé d'assister à un maximum de manifestations sportives. Les
compétitions se sont déroulées sur quatre sites répartis sur
deux îles, le site de Futuna accueillant le beach volley. La baie de
Gahi abritait les sites de Va'a (pirogue polynésienne) et Liku celui
de la voile. Je ne m'y suis pas rendu, je ne suis pas familier de ces
sports. Je suis allé quatre après-midi à Kafika, le cœur des mini
Jeux avec le stade pour l'athlétisme et le rugby à 7, la nouvelle
salle omnisport pour les matchs de volley et l'ancienne salle pour
le taekwondo et l'haltérophilie.
Mercredi
4 septembre, deuxième jour de compétition, je suis au stade en
début d'après-midi. J'ai la surprise d'assister à la finale
handisport du 100 m, je suis étonné par l'intégration de ces
sports dans les épreuves. Je soupçonne les malicieux organisateurs
wallisiens d'avoir incorporé quelques épreuves réservées aux
handicapés dans le but de s'assurer une médaille d'or puisque
Wallis a un champion du monde de lancer de javelot handisport.
Toutefois, à la réflexion, j'ai trouvé cette idée fantastique,
je me suis demandé si cela ne pouvait pas être généralisé aux
Jeux olympiques d'intégrer une ou deux épreuves pour personnes
handicapées au sein des épreuves traditionnelles. Deuxième
surprise, la course mêlait différents handicaps. Lutte farouche
pour la première place entre un néo-calédonien aveugle accompagné
d'un guide et un autre néo-calédonien sans doute atteint d'un
handicap mental, avant que le premier se détache nettement dans les
trente derniers mètres pour terminer en 12 ' 58, temps que je trouve
remarquable.
Deux
heures plus tard, je revenais au stade pour assister à la cérémonie
de remise des médailles, la joie de ces Néo-calédoniens handicapés
était débordante, communicative. Lorsqu'ils s'approchent des
gradins, une grande clameur s'élève des tribunes, ils commencent à
secouer le corps de manière frénétique, improvisent quelques pas
de danse encouragés par la colonie néo-calédonienne, le cri de
guerre « Cagous Hou, Cagous Hou, Cagous Hou Hou Hou »
résonne tandis que les deux compères bondissent, ivres de
l'allégresse des vainqueurs.
Cagou,
Où ? Ivre de joie sur terre ...
Fort
comme un Papou ; Rapide comme une Papoue
Dans
l'après-midi, je me dirige vers l'ancienne halle de kafika pour
assister aux épreuves d'haltérophilie. S'y déroule l'épreuve
homme des – de 77 kgs, seuls les trois derniers finalistes sont
présents dans l'épreuve d'épaulé-jeté. L'athlète Toua UDIA de
la Papouasie Nouvelle Guinée affronte un champion de Kiribati et un
autre de Tuvalu. Je prends en mon for intérieur parti pour le Papou,
nom à la consonance dans mon esprit aussi mythique que le Masaï
d'Afrique Noire.
Extraordinaire
concentration des visages au moment où ils entrent en scène. Ils
s'encouragent par des petits cris, leurs entraineurs les haranguent
jusqu'au dernier moment, on sent qu'un état de transe commence à
les envahir, un souffle intérieur les habite, une foi les mène au
combat final contre les autres pour la victoire, certes, mais avant tout à la lute contre
soi, avec soi, pour soi. Ils tentent de soulever la barre dans un immense élan qui
dynamite toutes les particules de leur corps, ils se glissent sous la
barre sous les clameurs du public. Un léger fléchissement des
jambes et Ho-hisse, les voilà tentant de soulever la barre aux
cercles lourds comme des enclumes, le visage tendu par la volonté
farouche de vaincre la pesanteur, la loi de l'espace qui s'abat sur
chacun d'entre nous. A la troisième tentative pour soulever la barre
de 150 kilos qui pouvait lui assurer la victoire finale, le Papou
arrive à tenir quelques secondes 1 … 2 … 3
Papou,
Où ? Ivre de joie jusqu'au ciel ...
Et alors
que le champion trépignait de bonheur sur la scène, je me demandais
s'il était père, s'il pouvait partager ce plaisir avec une
progéniture palpitant aux exploits de champion de leur papa Papou ;
Papou papa ou Papou pas papa ?
Après
le lever de drapeau, je reviens vers le stade où se tiennent les
compétitions de vitesse du 100 mètres homme et femme. Je suis
particulièrement impressionné par la Papoue Toea WISIL qui déboule
la ligne comme une fusée, en donnant l'impression de laisser sur
place dès le départ les autres concurrents et gagne avec une facilité
déconcertante l'épreuve reine des 100 mètres. Le niveau de ces
mini Jeux était très variable selon les épreuves : à titre
d'exemple, le 10 000 m masculin a été gagné avec un temps
légèrement inférieur à 35 minutes ce qui place cette épreuve à
un niveau départemental en métropole, j'ai participé à de
nombreuses épreuves amateurs en Alsace où le temps du vainqueur est
largement inférieur à cela. Par contre, la championne papoue a un
meilleur temps de 11'41 au 100 mètres, ce qui la place à un niveau
de quart ou demi-finaliste des Jeux Olympiques. Elle était
impressionnante, d'une musculature diamantine taillée pour griffer
la terre, l'écorcher vive, la brûler.
Toea
WISIL : V comme Victoire
Où
l'on se rend compte que notre héros (euh ...c'est moi...) est
dépositaire d'une mine de connaissances Bouuum
Je
suis revenu à l'ancienne halle de Kafika, le championnat
d'haltérophilie avait pris fin, une atmosphère d'être-ange
quiétude flottait dans la salle désormais muette, déserte ; la
barre et les haltères trônaient en plein milieu de la scène dans
un silence aspirant l'espace, absorbant le temps, semblant attendre
une dernière et fraternelle communion.
J'ai
entendu en moi la voix intérieure du combat, du besoin de défi
intrinsèque à l'homme qui retentissait comme un gong, une cymbale
éclatante, qui me disait d'un ton allègre : « Mesure-toi au
Papou, tu es capable de le vaincre ... » Crôa, Crôa, comment
est-ce possible, me direz-vous, que moi si faible, quantité
négligeable sur terre je sois en mesure de le vaincre ? Mais
impossible n'est pas alsacien, impossible n'est pas wallisien,
impossible n'est qu'un terme de la langue française et vivant
maintenant éloigné de la métropole, au milieu de mes congénères
autochtones Obélix de Wallis, je pressentais que je pouvais essayer
de combattre et de vaincre ces haltérophiles musculeux,
surentraînés, au torse surpuissant. Une certitude totale, absolue,
intime s'immisçait en moi, m'envahissait puisque moi seul détenait
la connaissance suivante :
« Je
suis dans l'hémisphère sud. Observez attentivement un globe
terrestre, vous serez frappés par le fait irréfutable, clair,
indubitable que dans l'hémisphère sud, nous vivons forcément avec
les pieds en haut, la tête en bas dirigé vers le ciel. Or tout
objet est attiré vers le bas, vous en avez fait maintes fois
l'expérience dans votre vie, ce principe de vie est aveuglant. En
conséquence, si je soulève la barre du sol, elle sera forcément
attiré vers le bas, c'est à dire le ciel. » CQFD.
L'avantage
que j'avais sur les trois finalistes, c'est que j'avais eu une vie
antérieure de nordiste alors que vivant continuellement dans
l'hémisphère sud, une telle connaissance ne les avait jamais
interpellés, ils vivaient insouciants en se laissant bercer par la douce naïveté du
mythe de la gravité. J'enlève mes chaussures, et pieds nus je me
dirige avec assurance vers les haltères. Je rajoute un disque de
25 kgs de chaque côté aux 150 kilos de la barre soulevée par le
Papou pour la porter à deux quintaux, je fixe avec le petit collier l'ensemble des disques. Je
prélève au passage un peu de magnésie, poudre blanche miraculeuse,
sur les mains, m'en frotte énergiquement les mains, les grains de
poussière dansent autour de mes paumes … Je pousse un petit
hurlement d'encouragement avant de ployer mes genoux. Je noue mes
mains, crispe mes poings autour du cylindre. Dans un immense cri Hi
Han ; première tentative … Rien à faire, rien ne bouge … Je
pense que je n'y ai pas mis toute mon âme, tout mon cœur, je me
remobilise, me concentre … Hi Han ; deuxième tentative, mon visage
se convulse sous l'effort, mes bras se tendent, je frôle le ridicule
… Ai-je douté de mes forces, aveuglé par ma certitude, mon
orgueil d'expert de l'apesanteur et de la lourdeur m'a-t-il aveuglé?
Je ne me décourage pas, tant pis, le ridicule ne tue pas, je me dois
de faire une dernière tentative. Mais juste avant celle-ci,
illumination en moi, traversée du sabre de l'intuition en plein cœur
… Certes, je détiens cette connaissance, mais la barre le
sait-elle, les moindres atomes qui la constituent en savent-ils
quelque chose ? Vous conviendrez avec moi qu'un savoir, s'il n'est
pas transmis, enseigné autour de soi n'est rien qu'une coquille
vide, une noix sans coco, une perle sans huitre. Les particules
d'acier ignoraient ma démonstration de cette loi fondamentale de
leur nécessaire attirance vers le bas et le ciel dans l'hémisphère
sud, elles sont plongées dans l'ignorance, fléau de l'humanité.
J'impose à nouveau avec douceur, tendresse mes mains sur la barre,
je divulgue mes explications sur le tableau multicolore de
l'imagination, je diffuse par vibrations, par pulsions mes
explications rationnelles, paisibles à chaque particule de la
matière, sans négliger aucune d'entre elles, la myriade de
milliards d'atomes d'acier m'écoute pieusement, élèves obéissants,
en silence ...
Dernier
souffle avant la dernière tentative, râlement, gémissement Hi Han
… Fabuleuse poussée de la matière, mon idée première était de
soulever la barre en épaulé-jeté, en deux temps mais l'élan est
tel que je peux l'arracher directement, le brandir à bout de bras.
Tous mes muscles du bras sont tendus par l'effort, la contraction
fige mes membres, mes muscles, mon visage. Je tiens quelques moments
: Une ... deux ... trois secondes, j'exulte, c'est la victoire tant
désirée, je m'écarte de la barre pour qu'elle puisse retomber sur
le sol. Mais la barre continue à flotter, commence même lentement à
s'élever vers le bas, vers le ciel ... Je tente de l'attraper, de
m'y agripper, de lui intimer l'ordre de redescendre, mais enivré par
la nouvelle connaissance que je leur ai offerte, voilà que la barre
zélée, les disques disposées comme des ballons autour du cylindre
continuent leur invincible élévation, obéissant à l'idée fixe
première que je leur avais communiqué. Je dois relâcher mon
étreinte à deux mètres du sol, je retombe brusquement sur
l'estrade Ouf je respire enfin les deux pieds sur terre. Ainsi, il
faut bien le dire, que le cul ;-)
Jusqu'à
quand, jusqu'où la barre allait-elle continuer son périple
instructif ? La barre s'approche du plafond de la salle, le heurte et
… Boum … Mine en plein ciel, elle explose en éclats infimes, en
limaille d'acier qui se répand comme une pluie fine dansant dans la
salle la gigue du ciel, la valse ivre du bas de l'hémisphère sud.
Aux particules tournoyant dans les airs, je criais : « N'exagérez
rien, il faut toujours en toutes circonstances garder les deux pieds
sur terre » « Nous n'avons pas de pieds » me
répondirent-elles.