samedi 5 janvier 2013

Petits tracas, petits bonheurs d'après cyclone


« Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres »

Lao Tseu
Bzzz Bzzz Vlan

Evan est passé. Contrariété première : l'absence d'électricité. Je rentre du travail, je mange parfois déjà dans la pénombre, le soir commence à tomber. Au début, je ne veux pas user inutilement les piles de la lampe torche et je sais que la lumière d'une bougie est trop faible pour poursuivre une quelconque activité, je me couche vers 19h en espérant que le sommeil vienne rapidement. Espoir vain, peine perdue, je scrute de temps en temps la montre de mon poignet en appuyant sur le petit bouton en haut à gauche, illumination, 20H et quelques éclats, 21 H et des miettes, 22H et des poussières …

Irritation grandissante au cours des premières nuits, un moustique a élu domicile dans ma chambre à coucher ; au bout d'une demi-heure, je l'entends qui commence à vibrionner dans l'espace Bzzz Bzzz … Avant, je pouvais utiliser un insecticide que j'insérais dans un diffuseur branché sur une prise électrique ; au bout de quelques minutes, les bourdonnements s'évanouissaient. Autre méthode, je branchais le ventilateur qui faisait fuir les insectes, qui avait aussi l'avantage de me rafraîchir au cours des nuits chaudes et éprouvantes de l'été austral. Les soirées s'éternisent en l'absence de courant électrique. Parfois, j'entends le moustique qui se rapproche de mon oreille, je le sens qui se pose sur mon visage, je me frappe immédiatement mais rien à faire, je le manque à chaque fois, je n'ai réussi qu'à m'infliger une petite plaque rouge à l'endroit précis de la claque. Le matin, nul besoin de réveil électrique, les premiers rayons de soleil se plantent dans ma chair et mon esprit fatigués, tandis que le moustique, fidèle au rendez-vous, se charge de sonner le clairon à mon oreille.

Après trois jours de ce régime, je vaporise un aérosol anti-insectes volants le matin dans ma chambre, je ferme les fenêtres avant de me rendre au travail. Le soir, une heure avant de me coucher, j'aère ma chambre puis je me couche, légèrement inquiet, l'oreille aux aguets, je n'entends rien pendant une demi-heure, je soupire de soulagement Ouf m'en voilà débarrassé ; tout à coup un Bzzz Bzzz moqueur, vengeur retentit à nouveau dans la pénombre … Peut-être s'est-il introduit depuis une autre pièce, peut-être est-il mort et ressuscité, il continue à me narguer.

Le cinquième jour, je me prépare le matin pour aller travailler, mon cœur tressaille, je vois un petit point noir volant, bourdonnant, à la trajectoire erratique s'approchant à trente centimètres de moi Bzzz Bzzz Vlan je frappe des deux mains, je les ouvre, le moustique gît dans ma paume, j'exulte ...

Pâle lueur des ténèbres

L'absence de lumière me pèse au moment du coucher. Au bout de quelques jours, je rachète des bougies, je décide d'en utiliser une pour pouvoir bénéficier d'un peu de lueur avant le sommeil. J'allume la mèche au moyen d'un briquet, immédiatement la tresse en coton noircit, s'enflamme, se courbe délicatement et commence à diffuser sa pâle lueur. La cire sur l'extrémité devient rapidement liquide sous l'effet de la chaleur, j'en fais tomber quelques gouttes dans le fond du verre, je peux disposer le cylindre sur cette base.

Ma respiration s'apaise à la vue de la flamme, de la lueur douce que dégage la bougie. La cire suinte le long de la tige, parfois accompagné d'un peu de suie, elle vient se déposer au fond du verre. Depuis mon lit, j'entrevois trois zones distinctes enflammées, à la fois clairement délimitées et indissolublement liées. Une petite zone bleue à l'extrémité inférieure de la mèche amorce l'embrasement ; la mèche rougie à l'extrémité baigne dans un cône sombre, tandis que sur celui-ci la pointe jaune, entouré d'un léger halo, diffuse la pâle lueur reposante. La flamme qui ondule légèrement, danse sur la bougie dressée dans ce verre m'évoque les hibiscus ravagés, disparus de mon jardin, grandes fleurs caractéristiques de îles du Pacifique, avec un immense pistil qui jaillit d'un calice aux couleurs chaudes. Les rafales du cyclone ont emporté tous les hibiscus, voilà qu'un ultime rescapé me murmure à l'oreille que toutes nos angoisses sont passagères, que les tracas de la vie n'ont que l'importance que nous leur donnons, que les hibiscus refleuriront d'ici peu de temps, grâce au soleil et à la pluie qui tombent en abondance sur cette terre.


Espérance nocturne

Je ne dors pas encore mais la sérénité se diffuse doucement en moi, tandis que je regarde de temps en temps la source lumineuse. Elle continue à se consumer, au bout d'une heure et demie, elle commence à s'enfoncer dans le verre. Celui-ci s'échauffe, il est temps pour moi de souffler sur la flamme, une fumée sinueuse s'en échappe, l'odeur envahit un moment la chambre dans l'obscurité, je m'endors facilement peu après l'extinction du feu.

Nouveau Big Bang


L'île a été durement touché par Evan mais ce type de difficulté permet d'éprouver la solidarité intacte entre les êtres, l'empathie est aussi naturelle à l'homme que l'esprit de rivalité. Ici, l'entraide est essentiellement familiale, les personnes ayant perdu leur logement sont hébergés par leur famille en attendant la reconstruction de leur logement. L'île a connu un élan de solidarité, de la part en particulier de la Nouvelle Calédonie, en raison sans nul doute de la présence d'une très forte minorité wallisienne sur cette île. Pour nous autres métropolitains, la solidarité s'organise autour des liens d'amitié. Mon ami Anthony avait récupéré un groupe électrogène et m'a proposé de venir chez lui pour profiter du lave-linge. J'avais l'équivalent de trois machines qui s'étaient accumulées en une semaine, j'ai profité de l'aubaine. Au lieu de « laver son linge sale en famille », il vaut mieux parfois laver son linge sale chez les amis ;-)

J'ai bénéficié à nouveau de l'aide d'Anthony lorsqu'il m'a proposé le dimanche d'avant réveillon de Noël de profiter du générateur. L'électricité avait été rétablie chez lui la veille. J'ai immédiatement accepté, et la première chose que j'ai faite est de brancher le réfrigérateur, que j'avais vidé au fur et à mesure de la semaine. J'avais été obligé de jeter quantité de nourritures en décomposition, la mort dans l'âme. Les fromages et le beurre sentaient le lait caillé, les fruits avaient pourri très rapidement, la pizza que j'avais laissé au congélateur était devenue molle et dégageait une odeur infecte. Le groupe, qui fonctionne à l'essence, produisait un bruit tonitruant, je l'ai laissé à l'extérieur de la maison. Tout à coup, vers 16 heures, j'ai vu un groupe de trois ouvriers qui travaillait autour du poteau à partir duquel mon logement est alimenté en électricité.


Profession : électricien-grimpeur

J'ai discuté quelques instants avec eux pendant qu'ils étaient en pleine réparation. Ils m'ont dit qu'il y avait eu un appel à volontaires en Nouvelle Calédonie pour venir travailler sur l'île de Wallis, qu'ils avaient souhaité venir nous aider, autant par souci de solidarité que par curiosité. Ils m'ont expliqué qu'ils trouvaient amusant d'utiliser des techniques qu'ils n'utilisaient plus au quotidien, en raison de la modernisation des outillages. Par exemple, pour grimper sur le poteau en bois, ils avaient été obligés d'utiliser d'anciennes chaussures munies de pointes, en l'absence de nacelles en nombre suffisant sur le territoire. Ils m'ont promis que le courant reviendrait dans la soirée ou le lendemain.

En fin d'après-midi, j'ai fait un petit tour de l'île en vélo. J'avais le souffle court, je n'avais plus fait de sport depuis belle lurette, les quelques nuits au sommeil agité les lendemains du cyclone m'avaient épuisé, j'ai eu du mal à effectuer la montée du mont Afala, seule petite côte un peu raide de l'île que je n'avais aucun problème habituellement à grimper. J'ai dû mettre pied à terre deux fois. Je me suis retourné  à mi-parcours lorsque j'ai été à l'arrêt, j'ai été émerveillé par le lagon, le cyclone avait arraché les arbres qui masquaient la vue ; l'eau verte et bleue aux mille et une nuances chatoyait, les pépites ensoleillées, diamantées se réverbéraient comme une constellation prodigieuse, je ne l'avais jamais vu scintiller d'un tel éclat. Au sommet, j'ai encore mis pied à terre pour  souffler, ma poitrine se soulevait avec difficulté pour aspirer l'air chaud. Au retour, je remarquais la présence à l'horizon d'une dizaine de roussettes brunes, chauves-souris locales comestibles,  qui volaient à très basse altitude. Le passage d'Evan les a profondément perturbées en détruisant leur habitat naturel ainsi que leur régime alimentaire composé de fruits, elles volent en nombre chaque soir, vol inquiet, empli de douleur, elles vont sans doute mourir en grand nombre avant de se régénérer en même temps que la flore arborescente de l'île.
Un peu avant 19 heures, retour de l'enfant prodigue, tant désiré : l'électricité.

Pour le réveillon de Noël, afin de conjurer la peur d'Evan, le méchant, invitation d'Erhan, le gentil, à un fabuleux festin, concocté par Murielle et Catherine : entrées variées au saumon et thon accompagné du cocktail "Cyclone", magret de canard aux deux pommes, plateau de fromages, tarte à l'ananas. Le dîner fut si copieux que nous fûmes incapables de le terminer le soir même, et l'invitation fut prolongé le lendemain pour le repas de midi le jour de Noël.

 Miam Miam
 


Je vous souhaite à tous joie, épanouissement personnel et amour tout au long de cette année 2013. Qu'une petite flamme s'allume chaque jour sur votre chemin, qui s'incarnera dans un rêve accompli, le plaisir de la découverte de nouveaux horizons, une nouvelle amitié ou l'approfondissement d'anciennes, un amour neuf, vierge et vivace ou l'enrichissement de la relation avec votre partenaire.

Mieux encore, désir et volonté mènent, enchantent le monde, allumez les bougies autour de vous. Entamez un projet dans lequel vous mettrez toute votre énergie, commencez de nouvelles activités, lancez vous à la conquête des amis et de l'amour. Certaines bougies s'éteindront par manque de souffle, d'oxygène, mais d'autres s' allumeront autour de vous, vaste incendie autour de la terre : Big Bang ...

1 commentaire:

  1. Bonne et heureuse année 2013 à toi aussi Erhan.
    En esperant te revoir bientôt ,bisous....
    Emine

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