lundi 13 février 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Les deux larrons en vadrouille

Réveil - Petit déjeuner

Soleil levant - Est

Picotement des rayons du soleil sur nos yeux ... Nous dormons en règle générale à la belle étoile, et dès que la lumière point à l'horizon, dès qu'elle danse la gigue sur nos paupières fermées, l'heure du lever s'approche ... Rémy ou moi s'extirpe du duvet en premier, et l'autre alors ne s'attarde pas. Nous dormons dans des sacs de couchage, que nous avons déposés sur de légers matelas gonflables ainsi qu'une grande bâche. Première préoccupation, le rangement des affaires. Il faut dégonfler les matelas avec soin pour éviter qu'ils prennent de la place sur les vélos, rouler en boule nos sacs pour les mettre dans leurs protections, plier la bâche.
Rémy a chauffé de l'eau la veille, et l'a mise dans une thermos. Boisson chaude avec du café lyophilisé ou un sachet de thé avant de reprendre la route, accompagné souvent de barres de céréales ou de chocolat. La liqueur réchauffe progressivement nos organes. Nous mettons nos casques et nous voilà partis.
Rythme nonchalant à ce moment de la journée, nos pieds tournent tranquillement sur le pédalier, le réveil n'est pas encore complètement opéré. Nous roulons au minimum une heure avant que la faim commence à poindre, nous nous mettons à la recherche d'un lieu pour le petit-déjeuner, boulangerie, snack, fast-food. Nous descendons de nos vélos, nous enfilons un pantalon au dessus de nos tenues de cyclistes, et nous commandons le repas. Rémy, qui a un bon niveau en langue allemande, en profite pour lire les journaux et les magazines qui traînent sur les tables. Je me ressers parfois, Rémy souvent ... Il me commente certaines nouvelles, nous traînassons longtemps dans ce refuge avant de repartir, revigorés par la nourriture.

Compétition entre amis

A l'abordage ... C'est le premier moment où s'enclenche de temps en temps une petite compétition amicale, insensiblement Rémy accélère le rythme et j'essaie de répondre à ses accélérations. Selon les terrains, il m'est plus ou moins possible de le suivre.
Sur le plat, je réussis au début à me mettre dans son sillage, mais dès que la vitesse devient trop importante en cas de faux-plats descendants, ou que les virages se multiplient, je suis largué d'abord à quelques mètres, et lentement et régulièrement la distance augmente ....
Dans les grandes descentes, même topo. Il se projette en avant, je suis toujours tenaillé par une petite peur qui m'étreint les entrailles lorsque je sens la vitesse augmenter. Je freine assez brusquement quand la route tourne à droite ou à gauche, tandis que je le vois se pencher délicatement en prenant la courbure, l'angle nécessaire pour continuer à avancer à la même cadence.
Sur les petites bosses qui émaillent le parcours, il est capable de faire parler sa puissance. Il se soulève et s'arc-boute sur les pédales, appuie rageusement de chacun des côtés, et malgré les années d'expérience de tango, de salsa, de rock que j'ai derrière moi, même en me mettant comme lui en position de danseuse sur mon vélo, je suis incapable de le suivre ...
Ouf, voilà mon terrain de prédilection, les véritables montées et les cols. Je suis plus léger que lui, et dès que la pente s'élève de manière durable, Erhan-Bahamontes au coup de pédale vif et aérien s'enfuit allègrement sous les yeux de Rémy-Darrigade. Je franchissais comme un chamois agile les côtes abruptes, je m'envolais comme un aigle vers les sommets les plus infranchissables.  Toutefois, au milieu du périple, le rapport s'est inversé. Son vélo montrant des signes de faiblesse, nous avons transvasé certaines affaires de ses sacoches vers ma remorque. Le poids supplémentaire que nous portions s'est équilibré, et, la mort dans l'âme, j'ai dû me résoudre à le voir virevolter devant moi dans les montées ...

Je résume : Il est meilleur que moi sur le plat, me distance largement dans les descentes, il me domine sur les petites bosses, mais je l'ai battu à plate couture (au début) sur les cols. Ma foi, en ma qualité de juge, d'arbitre impartial et objectif sur ce blog, même si je perçois un léger avantage en ma faveur, je décrète généreusement que nous avons fait match nul à l'issue de la compétition ;-) 

Le choix de l'itinéraire

Rémy a été une boussole sûre pendant tout le trajet, je n'ai jamais perdu le Nord en le suivant ;-) Aucun plan préconçu avant de partir le matin, nous avions un point de départ, Strasbourg, un point d'arrivée, Vienne, et trois étapes que nous nous étions fixées à l'avance, Tübingen, Munich et Salzbourg. Tout le reste s'est décidé au fur et à mesure, au gré de nos humeurs. Il s'est muni au départ de petites cartes qu'il prenait dans les offices de tourisme, mais il est vite apparu que cela ne suffisait pas. Nous avons acheté deux grandes cartes qui nous ont permis de visualiser le chemin. Il évitait comme la peste les grandes routes nationales, mais nous avons dû tout de même les emprunter quelquefois, notamment à l'approche des villes. Nous nous engagions souvent sur les départementales, et mieux encore, ce sont les routes cyclables qui ont été notre terrain de prédilection. L'Allemagne est très en avance par rapport au reste de l'Europe, le réseau de pistes liant un village à l'autre dévolues à la petite reine y est très dense. Une bonne partie du périple s'est déroulé en Autriche le long de la piste cyclable qui longe le Danube. Problème, ces pistes n'étaient pas toujours indiquées sur les cartes que nous consultions, compte tenu de l'échelle insuffisante. Il nous arrivait de nous perdre, mais peu importait, nous retrouvions toujours tôt ou tard notre chemin.
L'itinéraire guidé par le hasard s'organisait aussi en fonction des deux guides de voyage que nous avions, l'un pour l'Allemagne, puis celui que nous nous sommes procuré pour l'Autriche à Salzbourg. Nous consultions au fur et à mesure ceux-ci, et si un site digne d'intérêt se trouvait non loin de là, nous dévions de notre route pour aller le visiter. Rémy adorait les sentiers de forêt, je les appréciais beaucoup moins. Les souches d'arbre y affleuraient, ou ils étaient tapissés de galets, de cailloux, j'avais du mal à maintenir fermement le guidon lors des descentes, j'étais très inquiet, appréhendant l'obstacle funeste qui me ferait basculer en avant. Je voyais filer devant moi Rémy qui s'amusait follement, je maugréais, inquiet de la chute qui me semblait se profiler, j'étais incapable de me laisser aller. 
Au moment où nous roulons en Autriche sur de larges routes, je vois au loin les Alpes qui se profilent, qui me semblent infranchissables. Je vois les épaules de Rémy devant moi, larges et puissantes, qui se dodelinent légèrement et qui s'avancent contre les montagnes. Miraculeusement, une route surgissait au pied des grandes hauteurs, et moi, petite souris derrière le géant qui venait d'ouvrir une brèche provisoire, je bondissais derrière lui avant que le chemin ne se referme sur moi ...
Rémy roule avec un casque sur la tête, il a un petit I-pod sur lequel il a enregistré des morceaux de musique et des émissions radiophoniques. Je ne trimballe aucun attirail de ce genre, seules mes pensées dans le silence Bzz Bzz parcourent mes synapses. La communication est difficile, il m'adresse parfois la parole et me surprend en plein rêverie, je n'ai à chaque fois rien entendu. Si j'ai le sentiment que c'est important, je me rapproche à ses côtés, je lui demande de répéter. La plupart du temps, je me contente de lui crier "D'accord", je pars du principe, maintes fois expérimenté au cours de ma vie, qu'un ami apprécie toujours que l'on acquiesce à ses propos. Ses paroles se sont disséminées aux quatre vents, elles se sont envolées loin de nous, peut-être avez-vous recueilli certaines vibrations sonores, peut-être qu'en recomposant celles-ci depuis vos mémoires, nous pourrons reconstituer les paroles essentielles, inoubliables qu'il m'adressa ;-)

L'homme providentiel

Rémy sait aussi être très précieux et rassurant tout au long d'un voyage grâce à ses dons en matière de bricolage et de cuisine.
Nous avons choisi le mode d'hébergement du  camping lorsque nous étions dans les villes que nous souhaitions visiter, sinon nuits de belle étoile. C'était la première fois que je faisais du camping, et il m'a appris à monter une tente. Il était toujours désespéré quand il me voyait en train de la dresser, et venait m'aider au final ... A la fin du voyage, j'étais fier de pouvoir dire que je pouvais la démonter et la ranger seul. Pour la monter, j'avais effectivement besoin d'un petit coup de main ...
Ses talents de bricolage lui ont été d'un grand secours pendant le voyage, car c'est son vélo qui n'a cessé de donner des petits signes de faiblesse puisque les rayons de sa roue sautaient au fur et à mesure, il a dû en changer au minimum une vingtaine. La première fois, à Munich, il l'a emmené chez un réparateur. Par la suite, il a acheté des rayons et les a réparés lui-même. Cela s'est produit trois fois au cours du chemin, il sait être une patience infinie quand il s'agit de travaux manuels. Il démonte calmement le pneu de la roue, il enlève la petite vis qui retient le rayon, puis défait celui-ci avant d'en remettre un neuf. Il remet la chambre à air et le pneu à sa place, puis il fait tourner la roue sur son axe. Avec une petite clé à rayons, il règle l'orientation du rayon et sa longueur, pour éviter que la roue ne soit voilée.  Il m'a aussi aidé à deux reprises pour un souci moins grave. Un bruit persistant s'échappait de mon vélo, il s'est approché de moi tout en roulant, il m'a demandé ce qui se passait, il a regardé attentivement ma roue arrière. A chaque fois, il s'agissait d'un problème de freins sur la roue arrière, il a procédé aux réglages nécessaires, puis nous sommes repartis. Il m'a demandé la deuxième fois, intrigué, comment je pouvais rouler avec un boucan pareil ; je lui ai affirmé sereinement, yeux dans les yeux, que je n'entendais rien (en fait,  je n'ai pas osé lui dire que j'avais entendu ce vacarme, je voulais éviter d'être engueulé ...).
De même, il cuisine à chacun de nos arrêts. Lorsque nous sommes en rase campagne, chaque soir, il se charge de réaliser les plats de pâte, carburant indispensable des sportifs. Dans les campings, le menu variait, mais c'est toujours lui qui mitonnait les petits plats. Je lui ai proposé une fois de le faire à sa place dans un camping (je n'ai pas trop insisté)  il m'a dit que c'était inutile, pour lui, c'était un plaisir de cuisiner.

Hélas pour lui, je suis accablé d'un mal préoccupant qui me handicape terriblement depuis la plus tendre enfance, je suis affublé de deux mains gauches, je n'ai pas de main droite. Or, il s'avère que je suis néanmoins ... droitier, ce qui vous l'aurez compris s'avère rédhibitoire pour tous les travaux manuels ...
Je me console en me disant qu'il s'agit de la main du coeur, que je possède en double exemplaire, chacun se console comme il peut ...


Une tare congénitale ; Mes deux mains gauches

Pour ceux qui l'auraient oublié, la main gauche est celle où le pouce est à droite et ... inversement ;-)
Malgré cette infirmité, je l'aide du mieux que je peux. Pour la cuisine, je m'improvise aide-cuisinier, je lui passe au fur et à mesure tous les ingrédients. Je me concentre, je me répéte sans cesse "Sel-blanc" "Poivre-noir" "Persil-vert" pour les repérer infailliblement à la couleur, pour éviter de mélanger ces condiments, d'être au top et de lui passer à chaque fois ce qu'il désirait ... Lorsque le chef chirurgien réclamait un ustensile à l'infirmière alors qu'ils étaient tous les deux au chevet du vélo mourant, j'avais mémorisé la forme du tournevis et de la clé anglaise pour ne pas me tromper lorsqu'il me les réclamait ... En lui passant la clé souhaitée, je lui rappelais à chaque fois ses origines en lui murmurant au passage "Hello, my key, How do you do ?" ;-)

Je me souviens d'un épisode précis juste au moment où nous nous éloignons du camping de Salzbourg. Une de ses remorques tombe, il s'avère que c'est un crochet qui s'est détaché de l'attache dans laquelle il était fixé. Le diagnostic est simple, même pour un analpha-bête manuel comme moi, il suffit d'exercer une pression très forte à un endroit pour remettre ce crochet à sa place. Je le vois pousser, exercer une pression terrible avec ses deux pouces, tous ses muscles se bandent et au bout de trente secondes, il arrive à réaliser l'opération désirée. Je suis impressionné, je me dis alors que je n'aurais jamais eu la force nécessaire pour faire ce qu'il a fait ...
Qu'aurais-je fait si j'avais été seul et qu'une telle mésaventure me soit arrivé ? Je me serais assis au bord du trottoir et j'aurais pleuré à chaudes larmes, une âme charitable se serait sans doute arrêté, tôt ... ou tard.

Bientôt le soir, Bientôt la nuit

Principal souci quand on choisit de dormir à la belle étoile, l'hygiène corporelle. Pas de douche bienfaitrice, je ne sentais ni la rose, ni la violette, ni la lavande. Rémy avait coutume de se baigner le soir avant de se coucher dans les cours d'eau ou les fontaines publiques.  Moi, je n'osais pas ... Alors que nous nous trouvions au milieu de la place, quelques vieux s'approchent de nous et le regardent, hilares, alors que Rémy est plongé dans l'eau. Ils lui disent qu'il a raison de se rafraîchir par une canicule pareille, lui conseillent de se déshabiller entièrement, de se baigner à poil, mais Rémy est sage et ne les écoute pas ...

Une fleur rouge qui surgit d'un bassin ?
Rémy ... Tu rougis ;-)

Heureusement, dans les villes étapes où nous avons élu domicile, dans les campings, une douche salvatrice permettait de se débarrasser de la crasse accumulée en quelques jours. A l'insu de notre plein gré, une caméra cachée nous a surpris alors que nous étions en train de nous laver. Je suis convaincu qu'en mettant vos lunettes, en les polissant si besoin est du côté de la Haye aux Pays-Bas, vous me reconnaîtrez immédiatement sous les traits du petit grincheux grimaçant, tandis que le grand imposant, et légèrement agaçant, je vous l'accorde, c'est le grand Rémy.
Vous remarquerez la pancarte "Docce Uomini" au début de la séquence qui signifie Douche Hommes, la scène a été filmée à Salzbourg mais c'est une inscription destinée aux nombreux touristes italiens qui élisent domicile dans ce camping ...


Qui est le corniaud, le grand ou le petit?

Le soir, nous contemplions les couchers de soleil, certains d'entre eux furent magnifiques, au milieu des blés verts-jaunes, des feuilles verdoyantes des arbres. Les couleurs s'entremêlent, se lancent dans un combat titanesque pour combler le ciel. Rouge, Orange, Jaune, Violet, elles se combattaient jusqu'à ce que parfois, dans une danse étroite et langoureuse, l'un des teintes se dissolve dans l'autre. La pénombre tombait fatalement sur le monde pour clore ce spectacle, la poudre ensorcelante des couleurs se déposait dans nos coeurs et nos souvenirs pour continuer à y déployer leur règne étincelant.

Nous nous approchions de la frontière autrichienne, la nuit commençait à s'étendre, nous avons dû poser nos affaires dans un grand champ de blés coupés. Nous nous endormons sur la grande bâche, quelques nuages pointent le bout du nez, mais aucun sentiment de menace. Tout à coup, au beau milieu de la nuit, nous nous réveillons avec une averse drue qui nous assiège ...
Hop Hop Hop branle bas de combat, où sont les lampes frontales ? ... Panique à bord il faut monter la tente en pleine obscurité alors que la pluie nous mitraille ...Vite Vite, où est la toile? ... AIlez Allez il faut  monter  en hâte les arceaux, planter les piquets. Rémy s'active à une vitesse folle, je l'aide tant bien que mal (plutôt mal). Nous rentrons dans la tente, zut, nous avons oublié de mettre les affaires à l'abri, nous ressortons, nous les retrouvons éparpillées, déjà mouillées. Enfin, nous bondissons dans la petite ouverture zippée pour nous réfugier...
Silence absolu, la pluie vient brusquement de s'arrêter. Nous tendons l'oreille, aucun bruit ... Nous restons quelques minutes avant de sortir à nouveau en plein air. Je regarde le ciel avec ma lampe frontale, plus de nuages, il nous regarde avec un grand sourire malicieux qui s'étale sur tout l'horizon. Tels des Parthes vengeurs, nous avons bandé nos arcs gigantesques, décoché avec ardeur des flèches démesurées, enduites de la substance légère des rêves, vers les cieux moqueurs ; elles ne sont toujours pas retombées.


Soleil couchant - Ouest

6 commentaires:

  1. Salut Erhan, je parcours enfin ton blog...Cela faisais en effet un bail que je projetais de le faire alors je profite de ce dimanche cool à la maison, en famille, pour lire ce post.
    J'y retrouve quelques sensations éprouvées lors d'un autre périble vélo avec Rémy dans le massif central, ainsi que, comme tu le décris bien, des situations où je répondais aussi à ses appels par "ok" sans savoir vraiment ce qu'il disait!!!
    J'espère que tu vas bien.
    Amicalement
    Manu ( tu sais, l'instit(!), enfin... professeur des école SVP)

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  2. Yes, Manu, .... OK ;-) Il faut toujours dire OK au boss ...

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  3. Au secours Manu et Erhan, je vais avoir besoin de vos conseils avisés : je subis des pressions pour me trouver dans la même situation que vous, mais avec du dénivellé probable en plus pour pimenter le périple... J'ai saisi le plus important, il faut savoir acquiescer sans avoir forcément compris la question, et être plus léger que le boss. Je sais faire. Mais pour l'entraînement physique, le matériel (à part du lest pour cacher dans ses sacs ?), les substances illicites pour tenir le rythme dans les montées, ... ?

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  4. Pas de droit aux substances illicites, sinon l'adrénaline ... Si jamais tu en as besoin, mon vélo est chez ma soeur, celle qui danse avec toi aux cours de Fatih... Bon courage, je n'ai pas tant goûté aux dénivelés que ça, sinon au début, beaucoup de souffrance en perspective pour toi ;-)

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  5. Erhan, tes fans te réclament à grands cris !

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  6. Prochain concert, ce WE, à guichets fermés.

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