Partis
de Port-Vila, nous rejoignons avec un groupe de douze personnes dans
un mini-bus le nord-ouest d'Efate pour une petite croisière le long
de l'île et de deux îlots voisins de celui-ci avec plongée au
programme. Soleil éclatant au rendez-vous, nous montons, après
avoir été recueilli sur le rivage avec un canot pneumatique, sur le
ponton arrière d'un très beau voilier, le « Golden Wing »
« L'Aile d'Or » qui repose paisiblement dans une crique
isolée.
Le
voilier manœuvre avec un moteur pour sortir de la crique, puis Hop
il déploie ses deux voiles comme deux ailes gonflées par le vent,
la lumière d'or du matin, le bonheur pour naviguer sur les flots. Je
vais plonger avec une autre personne en plus du moniteur tandis que
la grande majorité pratique le « snorkling », découverte
de la faune marine avec palmes-masque-tuba. L'équipement est fourni,
ils me proposent de plonger avec une combinaison shorty mais ils
m'assurent qu'il est possible de plonger sans compte tenu de la
température de l'eau très douce, je décide de tenter le coup et
pour la première fois, je plonge uniquement en maillot de bain, muni
simplement de la bouteille et de l'indispensable gilet stabilisateur.
Plouf
descente dans l'eau, vers un bouquet de coraux aux mille couleurs,
avec une prédominance de rouge intense. Le moniteur nous guide vers
une étendue sableuse d'où émergent les hétérocongres. Ces
poissons longs, très minces s'enfoncent dans le sol à la moindre
vibration inhabituelle. Nous les observons entamer la danse de la faim, ils
émergent du sable, graciles, fragiles, ondulent le long du courant
pour attraper leur nourriture, le « zooplancton ». Même
lors de leurs ébats sexuels, ils ne quittent pas le sol où ils sont
enracinés, le mâle et la femelle proches s'enlacent, libèrent le
sperme et l'ovule dans l'eau. Danse de la peur, ils captent la
vibration des prédateurs qui rôdent, les voilà qui s'enfoncent
dans le sol, dans leur terrier. Danse de la vie entre la faim, la
sexualité qui prolongent leur existence, qui les exhibent dans la
lumière et à l'autre pôle de la vibration du corps, la peur d'être
mangés à leur tour, la peur de la mort qui les ratatinent dans
l'ombre ... Quand nous nous dirigeons vers la colonie, ils disparaissent
dans le sable, ils ont raison, les hommes sont les pires prédateurs
de la planète. Plus loin, un requin de petite
taille se glisse d'un mouvement vif sous un immense corail
tabulaire à notre vue. Nous le guettons sous le corail, il nage
nerveusement, apeuré, par à-coups violents il tourne en vain dans
le petit espace confiné pour échapper aux trois paires d'yeux
curieux entourés de bulles explosantes qui le guettent. Juste avant
la remontée, un banc d'idoles mauresques traverse l'horizon devant
nous en arc de cercle, avec leur nageoire dorsale prolongée d'un
long filament blanc qui flotte comme la traine d'une voile de mariée derrière eux.
Nous
remontons, c'est l'heure du déjeuner qui sera succulent, avec une
salade qui mélange le sucré et salé. Je devise avec mes compagnons
de ballade, parmi eux un couple en voyages de noces que je
rencontrerai à nouveau à Tanna. Avant la plongée de l'après-midi,
le capitaine du bateau lance les morceaux de pain qui restent du
repas, les poissons s'élancent à l'assaut de ce trésor inespéré,
rapidement plus d'une vingtaine de poissons multicolores grouillent à
quelques mètres du voilier. Je reconnais parmi eux un lutjan rouge
de grande taille, des poissons balistes titan. Nous sautons depuis le
ponton dans l'océan, le moniteur a apporté avec lui le dernier pain
qu'il porte au début à bout de bras, hors de l'eau. Juste au
moment de la plongée, il pulvérise le pain en morceaux, c'est une
indescriptible mêlée, les poissons se jettent sur les miettes, nous
frôlent, sautent par dessus nous ou se glissent entre nos jambes
pour s'emparer d'une part du butin. Éclaboussure d'écailles, de
couleurs, tourbillon de bouches voraces, de nageoires vives qui
s'emmêlent autour de nous … C'est le miracle naturel de la
multiplication des poissons avec un seul pain ;-)
L'excursion
sera consacrée à l'exploration de quatre grottes entrecoupée de ballades sur les récifs coralliens.
L'entrée, la traversée, la sortie de ces cavités sous-marines
représentent toujours une expérience intense, comme un parcours au
sein de notre propre conscience. Vous entrez dans une zone sombre
mais en même temps, quelques pincées de lumière issues
d'ouvertures dans la roche teintent ici et là l'ombre de fragments
de lumière inestimables, de rayons qui vous touchent de leur grâce.
Vous voyez, sentez parfois dans l'obscurité partielle des poissons
qui vous frôlent, vous dépassent, vous évitent d'un coup de
nageoire. Les coraux forment une colonie fragile le long des parois
qu'il vous faut contourner, instinctivement dans cette demi-pénombre
la respiration s'approfondit, se ralentit, les coups de palme
deviennent plus doux, la lenteur, la faible amplitude des gestes se
mettent au diapason de l'atmosphère de douce tranquillité qui règne
dans ces endroits. Dans le silence des infinis, vous progressez dans
l'univers primitif aquatique qu'une part intime de vous ressent
puissamment comme la grande source originelle dont nous sommes issus
au terme du long processus de l'évolution. Espace désormais
inquiétant, étranger pour nos corps terriens mais une sourde
puissance intérieure nous attire vers l'exploration de ce fonds des
origines pour y retrouver des morceaux de notre mystère, pour capter
le substrat singulier qui nous compose. C'est votre propre être que
vous traversez de part en part quand vous naviguez avec douceur dans
ces profondeurs cachées dans l'eau, nous sommes tissés d'ombre et
de lumière. Parfois, nous ressentons de la gêne, de la honte par
rapport à certains de nos actes, de nos désirs mais une lumière
miraculeuse, fabuleuse se pose sur nous qui nous révèle que cette
part d'obscurité est en réalité touchante, profondément humaine,
que ce secret caché en plein milieu de notre âme est aussi une part
magnifique de nous, inexpugnable. Entré dans la quatrième grotte,
je me rends compte qu'il s'agit d'un long tunnel que nous avions déjà
parcouru plus tôt dans la ballade, je reconnais une gorgone
gigantesque de couleur vive qui ondule à l'intérieur faiblement au
gré du courant. Je regrette de ne pas avoir de combinaison, je dois
redoubler de vigilance pour éviter les écorchures sur la peau. Je
me faufile délicatement à côté de la gorgone, nous avançons plus
lentement que la première fois dans cet orifice chatoyant, avec des
petits éclats de coraux mous bruns ou rougeoyants plaqués le long
de la galerie sous-marine. Et à la fin, la lumière vibrante qui
auréole la sortie. Apothéose finale.
Chemin
retour, « L'Aile d'Or » vogue au milieu de nombreuses
tortues qui débouchent un bref instant de l'eau, puis plongent à
nouveau dans l'océan, carapace et nageoires apparaissant,
disparaissant en un clin d'œil, en un enchantement. Chacun d'entre
nous les guette et prévient les autres dès leur apparition pour
partager dans une belle éclipse la joie, la beauté qui frissonnent
sur l'épiderme du monde.
Les cascades de Mele
Quelques
jours plus tard, je suis au pied de la grande pente qui mène aux
cascades de Mele, qui s'échelonnent en trois parties principales le
long d'une façade de plus de cinquante mètres. Le guide nous
harnache, nous remet un casque, c'est parti pour une descente en
rappel. J'avais choisi cette animation pour allier le plaisir de
l'exercice sportif avec ma fascination pour le spectacle de la
cascade, qui mêle en une union intime, jubilatoire pour l'esprit la
roche dure, inamovible, éternelle et l'eau liquide, bondissante,
légère. Nous montons par un petit chemin de randonnée pour
parvenir au point de départ, le sentier devient rapidement étroit,
pierreux et raide. Le guide, jeune homme svelte, file en toute
légèreté devant nous et propose trois haltes le long du chemin,
qu'il agrémente à chaque fois d'explications ou de conversations
pour nous donner le temps de nous reposer. Premier stop, il se
présente, décrit son parcours, nous livre quelques détails sur le
lieu, la distance qui nous reste à parcourir. Deuxième stop, il
nous demande de nous présenter chacun à notre tour, je découvre
que je suis avec un groupe de touristes venu d'un paquebot de
croisière.
Troisième
stop, il nous donne quelques statistiques sur la réussite de
l'exercice que nous allons entreprendre. Largement moins d'un pour
cent de ceux qui ont tenté d' entreprendre la descente de la cascade
en rappel a connu l'échec, je sens un petit murmure de soulagement
qui parcourt le groupe. Une angoisse sourde traverse toujours
l'esprit au moment de réaliser un exercice sportif jamais entrepris,
qui plus est avec la peur du vertige qui vous tenaille. Il nous
révèle qu'une personne de plus de cent cinquante kilos a réussi
l'exercice, mais il rajoute en souriant que la partie la plus
difficile avait été la montée de la pente que nous sommes en train
de réaliser, qu'il fallait s'arrêter pour une longue pause tous les
cinq mètres pour lui permettre de reprendre son souffle. Je me dis,
si une personne de plus d'un quintal y est arrivé, j'en serai
capable !
La
cascade au sommet est particulièrement impérieuse car elle se
rétrécit avant de s'élargir plus loin, l'eau écumante, bondit,
rugit de toutes parts. Nous traversons précautionneusement le
courant pour nous diriger vers un petit talus de terre de quelques
mètres qui sert pour l'apprentissage. Les explications sont données
par deux moniteurs mais elles sont dans un anglais relativement
technique que je ne comprends pas, je me contente de regarder,
d'espérer acquérir le geste par imitation. Un volontaire réussit immédiatement facilement l'exercice. Une jeune fille blonde
essaie avant moi, mais elle se rétracte de peur, et s'arrête. Une
personne du groupe la rassure, lui donne quelques explications mais
au moment où il s'élance Patatras il trébuche … Je prends mon
courage à deux mains, on me harnache, je commence la descente. On me
crie des explications d'en bas que je n'entends pas avec le tumulte
de la cascade, un moniteur accroché à mi-pente m'abreuve de
conseils que je ne saisis pas mais j'arrive en bas des quelques
mètres, péniblement à mon goût. Je remonte rejoindre le groupe de
ceux qui n'ont pas besoin de refaire le muret d'apprentissage au
milieu des éclats écumants de la cascade.
Nous
avançons vers la falaise principale encore une fois avec d'infinies
précautions, en nous tenant tous la main en raison de mousses très
glissantes qui adhérent aux roches à fleur de surface. La descente
va se faire en deux étapes de vingt mètres environ. Je suis
très hésitant sur la première partie, je dois encore dompter le
principe général, avec la main droite essentielle au niveau des
fesses sur une boucle où passe la corde, qui permet de lancer la
descente, de stabiliser, d'accélérer le mouvement tandis la main
gauche contrôle le balancer.
Deuxième
étape, j'ai saisi le mouvement. Je peux m'adonner à la joie vive de
recevoir une cataracte d'eau sur tout le corps …. Myriades de
gouttes d'eau qui déferlent sur moi depuis le haut de la cascade en
pluie ininterrompue, je suis aveuglé, enchanté … Éblouissement
d'eau, de soleil, comme les illuminations qui surgissent parfois de
notre présent, éclatement des éclats liquides autour de mon corps,
à nul autre pareil … Je sautille légèrement depuis la façade
vertigineuse, le cœur en allégresse pure, au milieu d'un tumulte
harmonieux, furieux d'écumes pour dérouler ma descente.
Je
m'enhardis, je progresse par bonds de cabri, les périodes de
descente deviennent plus longues, je glisse avec plus de douceur et
fermeté ; la maîtrise, mélange de respiration, de gestes souples
et assurés devient plus grande. A la fin, je veux jouer au
professionnel que je ne suis pas et saluer de la main pour poser pour
la photo, je choisis la mauvaise main, la droite qui assure
l'équilibre, et Patatras Plouf j'ai le bec Coin Coin dans l'eau ...
Nous
avons tous réussi. A la fin, petite baignade exaltante dans le
bassin en contrebas et récompense de pamplemousse, de fruits de la
passion, de banane et papaye.
Vers la
Tranquillité
Cap
vers l'îlot de la Tranquillité l'avant-dernier jour de mes vacances
pour une deuxième journée plongée. Je plonge avec un groupe de
quatre autres personnes mais dès l'immersion, j'ai un souci de
masque qui prend l'eau, je dois utiliser celui du moniteur. Nous
descendons directement sur un banc de très gros mérous, qui nous
observent avec méfiance sans fuir, leurs gros yeux globuleux restent
braqués en permanence sur nous. Direction un gros
récif corallien. Le site se nomme « Bottle Fish » :
« Poisson Bouteille ». La guerre du Pacifique a fait
rage ici, et le Vanuatu a été une base arrière importante pour les
Américains lors de la deuxième guerre mondiale contre les Japonais.
Ils ont jeté leurs déchets, leurs bouteilles de Coca Cola, à la forme galbée, dans l'océan et ces
dernières se sont sédimentées. Le moniteur nous montre quelques
coraux avec insistance, il esquisse la silhouette d'une bouteille
avec les doigts, nous comprenons et voyons enfin qu'il s'agit de
bouteilles en verre à demi engouffrées dans le sol, recouvertes de terre, de
corail, fossiles archaïques, somptueux dans ce cadre inattendu d'une
guerre lointaine, témoins de notre folie sur terre, de nos appétits,
de nos soifs gargantuesques qui dévastent notre planète. Nous
reprenons notre route vers d'autres récifs, d'immenses poissons
papillons jaunes et noirs au corps aplati battent de leurs nageoires
et s'envolent vers d'autres eaux comme des songes sublimes qui
s'effacent au matin dès que nous souhaitons les capter au réveil … Je cherche en
moi la tranquillité, je la trouve vers la fin de l'excursion.
Je
recherche la paix ultime au fond des océans, la joie sereine
d'appartenir au monde, d'être goutte infime, palpitante de la
substance du monde, de ressentir mon propre corps tressaillir au
diapason du battement du monde. Cette sensation, je ne la ressens que
rarement. Je paie le prix d'avoir appris à nager très tard, à
l'école vers l'âge de 16-17 ans. Je ressens souvent l'eau comme un
élément étranger, extérieur que je n'arrive que trop rarement à
dompter. Lorsque j'ai voulu obtenir le niveau 3 en plongée, j'ai
enchaîné deux plongées catastrophiques qui m'ont convaincu
d'arrêter ma progression, de me concentrer sur les explorations. Les
mêmes exercices que j'effectuais sans souci à vingt mètres se sont
enchaînés avec des difficultés dès qu'il a fallu s'immerger à
quarante : j'essayais en vain de me stabiliser, je montais et
descendais sans pouvoir exercer de contrôle sur mon corps ; j'ai dû
me reprendre à quatre fois pour réussir un simple vidage de masque
; je ne comprenais pas les signes qui m'étaient adressés ; j'étais
incapable de retrouver le cap au retour ... Peut-être ai-je été
victime de la narcose, mal des profondeurs qui peut s'accompagner
d'angoisse, de retards de réaction mais je n'ai jamais eu de soucis
lors des explorations à quarante mètres. J'ai fait contre mauvaise
fortune bon cœur, j'ai abandonné l'idée de m'améliorer pour me
concentrer sur mes sensations de plongées.
Déjeuner
sur l'îlot avec mes compagnons de ballade. L'un d'entre eux exerce
un métier inhabituel, il habite en Nouvelle Zélande, il est médecin
radiologue en donnant des diagnostics par Internet. Un homme est
gravement accidenté à New-York, la société américaine qui
l'emploie lui envoie les radios par Internet, il envoie un topo
détaillé des dommages corporels au chirurgien, ils conversent par
radio conférence à des milliers de kilomètres sur le sort du
malade. Étranges possibilités ouvertes dans notre monde grâce à
la technologie … Deuxième immersion dans l'après-midi au site
« Corral garden » « Le Jardin de Corail ».
Plongée difficile avec d'incessants vidages de masque en raison d'une buée tenace. L'endroit est un jardin magnifique ponctué de coraux qui se pressent les uns contre les autres, qui scintillent de teintes bleues, vertes,
rouges, brunes, ocres, violettes. Quelques poissons anges et poissons
perroquets devisent des mérites respectifs du Paradis et de l'Enfer,
devisent des mérites respectifs du Paradis et de l'Enfer, devisent
des mérites respectifs du Paradis et de l'Enfer ;-) Parmi les récifs
coralliens, les plus immenses coraux cerveaux que j'ai vu dont l'un
reposait sur une circonférence supérieure à dix mètres selon moi.
Les méandres en forme de labyrinthe de ce corail évoquent notre
principal organe du système nerveux.
Plus
loin, nous survolons les formations calcaires de nombreux récifs
dans lesquels se sont incrustés des vers arbre de Noël, spiralée
et de forme conique à l'instar des sapins de
la fête de fin d'année. J'en avais déjà vus à Taveuni, de
couleur jaune, mais ici ils se sont multipliés et colorés de rouge, orange, bleu, jaune, brun. Dès que l'on s'approche, les arbres de Noël se vrillent dans les petits interstices, leur spirale s'enroule en une fraction de seconde de manière instinctive dans la fente. J'essaie de les amadouer, de leur expliquer que je suis un ami, Hopla geis je viens de Strasbourg de l'hémisphère Nord, la capitale de Noël, où un sapin majestueux, immense, leur grand frère se dresse sur la grand place chaque hiver, d'une cité qui se pare de mille feux, qui s'endimanche de lumière, de joie vive pour affronter le froid. Rien à faire, les arbres de Noël continuent à avoir peur, ils ne m'écoutent pas, je prêche dans le grand vide océanique ...