dimanche 6 avril 2014

Séjour au Vanuatu : Dans l'ombre du volcan Yasur


En route vers l' Y du Vanuatu

Je m'envole vers le Vanuatu depuis la Nouvelle-Calédonie, regard vague au début perdu vers l'extérieur. Une pâle pleine lune trône au milieu de nuages éblouissants formant un immense océan velouté, pacifiant les âmes dans le soir. Je me plonge dans une lecture, je relève la tête près d'une demi-heure plus tard, disparition complète de l'océan dans le noir mais la pleine lune plus haute a capté, avalé la blancheur nuageuse, elle scintille d'un éclat neuf, vif, ardent à l'horizon.

L'idée d'un voyage au Vanuatu a germé au cours des discussions avec des amis sur l'île qui revenaient enchantés de leur séjour là bas. Et je trouvais le nom de cette contrée magique, pays héritier des Nouvelles Hébrides … Situé dans l'Océan Pacifique, au Sud-Ouest de Wallis et à 540 kms au Nord-Est de la Nouvelle-Calédonie, le Vanuatu est composé de plus de 80 îles dessinant un « Y » incliné vers la gauche, côté cœur, avec près de 900 kms séparant les deux extrêmes au sud et au nord.

Le pays est situé au sud-est de la ceinture de feu, alignement de volcans qui borde l'Océan Pacifique dans son pourtour sur 40 000 kms, qui coïncide avec un ensemble de limites de plaques tectoniques et de failles et qui regroupe 75% des volcans actifs et explosifs de la planète.

Après quelques jours à Efate, l'île la plus peuplée, je me dirige vers l'île de Tanna située dans la base du « Y » pour admirer le volcan Yasur, en activité permanente. Je suis dans un petit avion Twinotter, je traverse l'océan, observant les traces d'écume des vagues. Tour à tour, au gré du vent, l'océan s'emplissait de flocons d'écume sous les fortes bourrasques puis il devenait un immense surface frissonnante, à peine troublée, lorsque le souffle du ciel s'apaisait. Nous sommes entre deux couches de nuages, dans l'un d'entre eux brille la trace éphémère des couleurs d'un arc-en-ciel. L'ombre des nuages laisse une marque sombre sur l'eau, ombre et lumière l'océan reproduit le dessin changeant, capricieux du ciel. Nous passons sur un amas plus gros, l'ombre de l'avion aux ailes effilées s'inscrit nettement sur le nuage : avion-ombre sur le nuage-ombre de l'océan, nous sommes toujours l'ombre de la lumière du soleil.

Vers le volcan Yasur

Je suis accueilli à l'aéroport par Robert, le chauffeur et Maria, sa compagne, ainsi que Philip chez qui je vais être hébergé, hôte qui se révèlera affable, bavard pendant ces trois jours. Le périple pour arriver jusqu'au logement que j'occuperai dure près de trois heures avec une petite halte au marché. La route est un chemin cabossé tracé dans la jungle, mettant à rude épreuve les énormes roues portant renforcées du pick-up. Le volcan Yasur dévoile ses flancs sombres, son panache enfumé au détour d'un virage, en haut d'une colline.


Le volcan Yasur de Tanna

Le chemin s'obscurcit au fur et à mesure de la cendre grise foncée que projette depuis des siècles le volcan. Alors que nous ne cessions d'être balancés par le roulis provoqué par les bosses de la route, celle-ci devient plus lisse jusqu'à déboucher depuis la jungle sur une très grande plaine d'aspect lunaire recouverte de cendre volcanique, désertique, d'une beauté saisissante tandis que le volcan ne cesse de s'agrandir lorsque le pick-up fonce vers lui. Le véhicule traverse une rivière en s'enfonçant directement au milieu de grandes éclaboussures dans le flanc du cours d'eau, frôle les bords du volcan et s'engage dans une petite route située aux pieds de celui-ci. Nous voici arrivés devant le petit bungalow serti dans un jardin au milieu de plantes nouvellement plantées, d'un très beau banyan et de l'inévitable poudre anthracite du sol. Le site s'appelle « Volcanoview », pas de mensonges à déplorer, la « vue du volcan » est somptueuse depuis la petite terrasse. 
 

La petite maison dans la jungle

Je pars en excursion vers la fin de l'après-midi avec pour guide Alfred, le frère de Philip. Tanna est l'île où s'élèvent des banyans immenses et une nouvelle fois à l'entrée de la route qui monte vers le volcan, nous passons sous cet arbre au tronc gigantesque, aux milles racines qui pointent vers la terre. Alfred marche vite, je le suis en pressant le pas. Montée rude au pas de charge tandis que la vision des cocotiers, des fougères arborescentes, des joncs rythment la cadence. Tout à coup, un bruit de moteur derrière nous, un véhicule transportant cinq touristes australiens s'arrête, Alfred et le chauffeur s'entretiennent, nous voilà embarqués dans la voiture et en quelques minutes, nous débouchons sur un espace nu, cendré à quelques encablures du sommet, les derniers mètres s'effectuant obligatoirement à pied sur un chemin qui serpente vers le flanc est, surplombant un vaste cône où l'on distingue deux trous béants. Ici, le vent souffle avec vigueur, heureusement j'ai pensé à me munir d'un ciré coupe-vent. Alfred nous explique qu'il y a quatre cratères en fait à l'intérieur des deux grands trous en contrebas du flanc depuis lequel nous observons et entendons les explosions. Deux Boum s'enchainent de manière violente, impressionnante. Nous descendons quelques degrés, nous discutons avec Alfred lorsque Boum une troisième déflagration résonne bien plus assourdissante que les précédentes, l'onde de choc traverse notre corps, nous effraie, nous avons tous un mouvement de recul.

Des deux cratères s'éjectent parfois de la fumée. Lorsqu'elle est blanche, elle est principalement composée de vapeur d'eau mais elle peut aussi être d'une teinte très sombre, le panache est alors formé de différents gaz dont le soufre mêlés à des composants solides tels que poussière, cendre provenant de la pulvérisation de roches ou magma. Le magma s'extrait aussi parfois dans ses explosions sous formes de jets de lave incandescents, les éclats rouges, brûlants se projettent en gerbes à une dizaine de mètres au dessus du cratère. La beauté du spectacle s'intensifie lorsque le soleil plonge sur le versant opposé du volcan. La lumière s'obscurcit, le soleil lutte contre le ciel assombri et les fumées noires, devient une boule pâle prête à être engloutie par la bouche du volcan, s'évanouit mais rebondit de plus belle sous forme de projectiles de laves luttant obstinément contre l'obscurité. Les déflagrations se succèdent à un rythme régulier, nous sommes plus d'une vingtaine à contempler ce spectacle hallucinant des jets de lave dans l'obscurité s'élevant haut vers le ciel ou explosant en forme de feux d'artifice discrets en contrebas. Le cratère de gauche délivre les salves de lave, tandis que celui de droite délivre le plus souvent une fumée sombre qui grandit, prend des proportions gigantesques, étranges, inquiétantes dans la nuit. Alfred m'explique que ce n'est pas toujours le cas, que les deux cratères peuvent cracher des morceaux de lave.


Au bord du volcan

La légende raconte que Yasur est un homme qui erra dans le Pacifique sud et traversa l'ile de Tanna pour se reposer et s'installer. Là, deux vieilles femmes lui offrirent l'hospitalité et l'homme volcan décida de rester sur place. Il se sentait enfin à l'aise ; l'endroit lui convenait parfaitement. C'est alors que la terre se mit à trembler, d'immenses failles s'ouvrirent, Yasur s'enfonça dans les entrailles de la terre, il prit à tout jamais racine en ce lieu dans un déluge de flammes et un tonnerre assourdissant. Et depuis, il souffle vers nous sa respiration de feu.

C'est la nuit complète lorsque nous descendons vers le bungalow. Je m'endors peu de temps après avoir entendu le grondement d'une nouvelle déflagration dans la nuit.

Danses, baignade et course

Le lendemain, nous nous rendons avec Philip et son fils Bryan vers un village traditionnel. Marche d'une demi-heure à travers la jungle. Nous arrivons sur une petite esplanade qui domine les alentours, le site se révèle être un promontoire qui offre une belle vue sur le volcan. Une jeune adolescente m'offre un collier végétal avec deux magnifiques hibiscus rosé et rouge qui resplendissent sur ma poitrine en médaillon. L'hibiscus est la fleur-volcan par excellence, avec son immense pistil qui s'extrait comme un jet de lave depuis le cône constitué de pétales aux couleurs vives. Je vais m'assoir sur un banc pour assister à leurs cérémonies. Les femmes entretiennent un brasier sans lequel m'explique-t-on la cérémonie ne peut avoir lieu, comme si le feu couvant devait se communiquer à leur corps. Quelques villageois vêtus de pagnes en fibres séchées de bourao se livrent alors à quelques danses de célébration du volcan, enfants, femmes, hommes, chiens participent aux mouvements effrénés. Aucun instrument, ils entament une mélopée bruyante, claquent des mains, l'enthousiasme se communique au groupe. Au moment où les jeunes hommes entrent en scène, je suis impressionné par la violence de leurs coups de pied au sol, j'ai le sentiment que je fracasserais les miens si je déployais la même énergie. Ma danse préférée fut celle où deux jeunes enfants échangeaient leur place en sautillant dans l'allégresse générale.


A toi à moi

Ils se livrent ensuite à un jeu qui consiste à porter un enfant avec de simples feuilles. Dernière démonstration, celle de l'allumage du feu. J'ai bien entendu déjà vu cette technique qui consiste à frotter deux bois l'un contre l'autre pour enclencher un feu mais je suis ébahi par la vitesse de l'exécution car en moins de quinze ou vingt secondes, une légère fumée s'échappe et les petites brindilles s'enflamment au contact du bois surchauffé. Le jeune homme s'improvise une cigarette, en enroulant un bout de papier autour de quelques herbes tassées, qu'il allume devant moi pour cracher la fumée en me regardant, rigolard.

Je remercie le chef du village, nous descendons une pente très abrupte pour nous rendre vers la rivière. Je vois Bryan disparaître sur un chemin à pic qu'il m'est impossible d'emprunter, je suis contraint de prendre un sentier plus praticable. En quelques secondes, agile, souple, le voici en bas en train de nous attendre, de nous faire signe. Entrée prudente dans l'eau froide, mais au bout de quelques secondes, elle se révèle très agréable, rafraichissante. Le courant est fort, en nageant je reste sur place, je descends vers le fonds à plusieurs reprises pour jaillir à nouveau vers la surface. Je discute avec Philip qui est venu me rejoindre. Il me mime une petite démonstration de boxe, il fut un champion amateur à Port-Vila : seize combats pour deux défaites seulement, deux victoires aux points et douze victoires par KO. Ses coups, direct, crochet, uppercut sont rapides, vifs, il me montre la garde qu'il adoptait avec les droitiers, celle réservée aux gauchers. Il est désormais ventripotent, mais les muscles de ses bras sont bien dessinés, impressionnants, je me garde d'évoquer mon ancienne gloire de shadow-boxing … Il sera attachant durant ces trois jours, il évoquera ses  sacrifices financiers pour ses enfants en même temps que sa grande fierté à faire étudier deux d'entre eux, les plus âgés, dont l'un est à Port-Vila pour les études supérieures. Costaud au cœur tendre, il est très apprécié par ses amis qui le charrient sur ses kilos superflus avec malice lorsqu'au retour vers l'aéroport il prend la place dans la benne du pick-up, et lui conseillent de faire des joggings réguliers comme moi. Il se tapotait alors le ventre de manière comique pour les faire rire aux éclats.

Nous remontons vers le village, je traverse à nouveau le site des danses. Les villageois ont abandonné leur tenue traditionnelle, ils vaquent à des tâches quotidiennes avec des vêtements occidentaux, short, T-shirt, j'ai dans un premier temps du mal à les reconnaître jusqu'à ce que j'aperçoive le chef. C'est faux « L'habit fait le moine et l'indigène ... »

Après-midi lézard sur la terrasse après le repas suivi d'une courte sieste. Je reste assis sur la terrasse à écouter le pépiement des oiseaux qui se répondent d'arbre en arbre, de branche en branche, tandis que s'élèvent au loin au rythme régulier des détonations les fumées blanches ou sombres. Je cours en fin d'après-midi, je débute par le chemin de brousse qui débouche sur la grande plaine cendrée du volcan. L'espace nu désertique s'étend aux pieds de celui-ci, mes pas lourds rebondissent avec difficulté sur la surface de couleur grise foncée, scintillante par endroits. Je longe quelques instants un espace de savane où s'entremêlent des joncs, des herbes séchées. Je m'approche du cours d'eau, le même que celui où je me suis baigné mais plus en aval. Ici la terre devient noire sous l'effet de l'humidité, mes pas s'enfoncent sur le terrain meuble qui semble aspirer mes pas pour me retenir, m'absorber dans les entrailles de la terre, je dois relever mes genoux pour continuer à avancer. Mes chaussures à cet endroit laissent une trace nette, je me retourne, je me demande : Quelle figure géométrique tracent mes pas depuis la grande course dans le monde entamée à la naissance ? Je cours au hasard, je monte le début de la pente raide du volcan pour redescendre. Le vent se soulève et souffle dans la même direction que moi, les fines particules me dépassent, j'entame une course avec la poussière … J'accélère, combat perdu par KO à la première reprise, je dois ralentir ... Je reviens vers la rivière, le filet d'eau y est plus mince comparé à l'amont, le courant durant la saison des pluies chaque année a creusé, raviné des gorges profondes en forme de canyon. Je recherche mes traces, je les retrouve avec beaucoup de mal. Je reviens vers le bungalow, la douche n'est pas encore aménagée, je me lave dans une cabane avec mes pieds plongés dans la terre noire, je puise l'eau d'un seau avec un gobelet que je verse sur moi.

J'attends le repas sur la terrasse. Pas d'électricité, seule la lumière de deux bougies disposées dans de petites assiettes m'éclaire.

Deux flammes

Les insectes viennent en abondance, en conférence, attirés par la lumière. La cire comme une coulée de lave descend le long du cylindre. Deux fourmis escaladent tour à tour la tige blanche, les voilà au sommet de leur vie dans la cire liquide brûlante, les frêles insectes se débattent en vain, pétrifiés désormais pour l'éternité. Une phalène vole, revient de manière incessante, obsédante vers la lueur, frôle la flamme, s'éloigne à nouveau, bat des ailes, haletante, semble renoncer mais la tentation est trop grande, le papillon se précipite dans le feu, ses ailes sont carbonisées. Consumé, il se démène, gigote, tremble dans la coupelle avant de rendre l'âme. Ces insectes sont-ils des sages soufis, ivres de se précipiter dans la brûlure de la vérité, passionnés prêts à s'embraser dans le feu de l'abandon de leur enveloppe charnelle, de leur esprit ?
Le volcan continue de tonner.


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