En route vers l' Y du Vanuatu
Je m'envole vers le
Vanuatu depuis la Nouvelle-Calédonie, regard vague au début perdu
vers l'extérieur. Une pâle pleine lune trône au milieu de nuages
éblouissants formant un immense océan velouté, pacifiant les âmes
dans le soir. Je me plonge dans une lecture, je relève la tête près
d'une demi-heure plus tard, disparition complète de l'océan dans le
noir mais la pleine lune plus haute a capté, avalé la blancheur
nuageuse, elle scintille d'un éclat neuf, vif, ardent à l'horizon.
L'idée d'un voyage au
Vanuatu a germé au cours des discussions avec des amis sur l'île
qui revenaient enchantés de leur séjour là bas. Et je trouvais le
nom de cette contrée magique, pays héritier des Nouvelles Hébrides
… Situé dans l'Océan Pacifique, au Sud-Ouest de Wallis et à 540
kms au Nord-Est de la Nouvelle-Calédonie, le Vanuatu est composé de
plus de 80 îles dessinant un « Y » incliné vers la
gauche, côté cœur, avec près de 900 kms séparant les deux
extrêmes au sud et au nord.
Le pays est situé au
sud-est de la ceinture de feu, alignement de volcans qui borde
l'Océan Pacifique dans son pourtour sur 40 000 kms, qui coïncide
avec un ensemble de limites de plaques tectoniques et de failles et
qui regroupe 75% des volcans actifs et explosifs de la planète.
Après quelques jours à
Efate, l'île la plus peuplée, je me dirige vers l'île de Tanna
située dans la base du « Y » pour admirer le volcan
Yasur, en activité permanente. Je suis dans un petit avion
Twinotter, je traverse l'océan, observant les traces d'écume des
vagues. Tour à tour, au gré du vent, l'océan s'emplissait de
flocons d'écume sous les fortes bourrasques puis il devenait un
immense surface frissonnante, à peine troublée, lorsque le souffle
du ciel s'apaisait. Nous sommes entre deux couches de nuages, dans
l'un d'entre eux brille la trace éphémère des couleurs d'un
arc-en-ciel. L'ombre des nuages laisse une marque sombre sur l'eau,
ombre et lumière l'océan reproduit le dessin changeant, capricieux
du ciel. Nous passons sur un amas plus gros, l'ombre de l'avion aux
ailes effilées s'inscrit nettement sur le nuage : avion-ombre sur le
nuage-ombre de l'océan, nous sommes toujours l'ombre de la lumière
du soleil.
Vers le volcan Yasur
Je suis accueilli à
l'aéroport par Robert, le chauffeur et Maria, sa compagne, ainsi que
Philip chez qui je vais être hébergé, hôte qui se révèlera
affable, bavard pendant ces trois jours. Le périple pour arriver
jusqu'au logement que j'occuperai dure près de trois heures avec une
petite halte au marché. La route est un chemin cabossé tracé dans
la jungle, mettant à rude épreuve les énormes roues portant
renforcées du pick-up. Le volcan Yasur dévoile ses flancs sombres,
son panache enfumé au détour d'un virage, en haut d'une colline.
Le volcan Yasur de Tanna
Le chemin s'obscurcit au
fur et à mesure de la cendre grise foncée que projette depuis des
siècles le volcan. Alors que nous ne cessions d'être balancés par
le roulis provoqué par les bosses de la route, celle-ci devient plus
lisse jusqu'à déboucher depuis la jungle sur une très grande
plaine d'aspect lunaire recouverte de cendre volcanique, désertique,
d'une beauté saisissante tandis que le volcan ne cesse de s'agrandir
lorsque le pick-up fonce vers lui. Le véhicule traverse une rivière
en s'enfonçant directement au milieu de grandes éclaboussures dans
le flanc du cours d'eau, frôle les bords du volcan et s'engage dans
une petite route située aux pieds de celui-ci. Nous voici arrivés
devant le petit bungalow serti dans un jardin au milieu de plantes
nouvellement plantées, d'un très beau banyan et de l'inévitable
poudre anthracite du sol. Le site s'appelle « Volcanoview »,
pas de mensonges à déplorer, la « vue du volcan » est
somptueuse depuis la petite terrasse.
La petite maison dans la
jungle
Je pars en excursion vers
la fin de l'après-midi avec pour guide Alfred, le frère de Philip.
Tanna est l'île où s'élèvent des banyans immenses et une nouvelle
fois à l'entrée de la route qui monte vers le volcan, nous passons
sous cet arbre au tronc gigantesque, aux milles racines qui pointent
vers la terre. Alfred marche vite, je le suis en pressant le pas.
Montée rude au pas de charge tandis que la vision des cocotiers, des
fougères arborescentes, des joncs rythment la cadence. Tout à coup,
un bruit de moteur derrière nous, un véhicule transportant cinq
touristes australiens s'arrête, Alfred et le chauffeur
s'entretiennent, nous voilà embarqués dans la voiture et en
quelques minutes, nous débouchons sur un espace nu, cendré à
quelques encablures du sommet, les derniers mètres s'effectuant
obligatoirement à pied sur un chemin qui serpente vers le flanc est,
surplombant un vaste cône où l'on distingue deux trous béants.
Ici, le vent souffle avec vigueur, heureusement j'ai pensé à me
munir d'un ciré coupe-vent. Alfred nous explique qu'il y a quatre
cratères en fait à l'intérieur des deux grands trous en contrebas
du flanc depuis lequel nous observons et entendons les explosions.
Deux Boum s'enchainent de manière violente, impressionnante. Nous
descendons quelques degrés, nous discutons avec Alfred lorsque Boum
une troisième déflagration résonne bien plus assourdissante que
les précédentes, l'onde de choc traverse notre corps, nous effraie,
nous avons tous un mouvement de recul.
Des deux cratères
s'éjectent parfois de la fumée. Lorsqu'elle est blanche, elle est
principalement composée de vapeur d'eau mais elle peut aussi être
d'une teinte très sombre, le panache est alors formé de différents
gaz dont le soufre mêlés à des composants solides tels que poussière, cendre
provenant de la pulvérisation de roches ou magma. Le magma s'extrait
aussi parfois dans ses explosions sous formes de jets de lave
incandescents, les éclats rouges, brûlants se projettent en gerbes
à une dizaine de mètres au dessus du cratère. La beauté du
spectacle s'intensifie lorsque le soleil plonge sur le versant opposé
du volcan. La lumière s'obscurcit, le soleil lutte contre le
ciel assombri et les fumées noires, devient une boule pâle prête à
être engloutie par la bouche du volcan, s'évanouit mais rebondit de plus belle
sous forme de projectiles de laves luttant obstinément contre
l'obscurité. Les déflagrations se succèdent à un rythme régulier,
nous sommes plus d'une vingtaine à contempler ce spectacle
hallucinant des jets de lave dans l'obscurité s'élevant haut vers le ciel ou
explosant en forme de feux d'artifice discrets en contrebas. Le
cratère de gauche délivre les salves de lave, tandis que celui de
droite délivre le plus souvent une fumée sombre qui grandit, prend
des proportions gigantesques, étranges, inquiétantes dans la nuit.
Alfred m'explique que ce n'est pas toujours le cas, que les deux
cratères peuvent cracher des morceaux de lave.
Au bord du volcan
La légende raconte que
Yasur est un homme qui erra dans le Pacifique sud et traversa l'ile
de Tanna pour se reposer et s'installer. Là, deux vieilles femmes lui
offrirent l'hospitalité et l'homme volcan décida de rester sur
place. Il se sentait enfin à l'aise ; l'endroit lui convenait
parfaitement. C'est alors que la terre se mit à trembler, d'immenses
failles s'ouvrirent, Yasur s'enfonça dans les entrailles de la
terre, il prit à tout jamais racine en ce lieu dans un déluge de
flammes et un tonnerre assourdissant. Et depuis, il souffle vers nous sa
respiration de feu.
C'est la nuit complète
lorsque nous descendons vers le bungalow. Je m'endors peu de temps
après avoir entendu le grondement d'une nouvelle déflagration dans
la nuit.
Danses, baignade et
course
Le lendemain, nous nous
rendons avec Philip et son fils Bryan vers un village traditionnel.
Marche d'une demi-heure à travers la jungle. Nous arrivons sur une
petite esplanade qui domine les alentours, le site se révèle être
un promontoire qui offre une belle vue sur le volcan. Une jeune
adolescente m'offre un collier végétal avec deux magnifiques
hibiscus rosé et rouge qui resplendissent sur ma poitrine en
médaillon. L'hibiscus est la fleur-volcan par excellence, avec son
immense pistil qui s'extrait comme un jet de lave depuis le cône
constitué de pétales aux couleurs vives. Je vais m'assoir sur un
banc pour assister à leurs cérémonies. Les femmes entretiennent un
brasier sans lequel m'explique-t-on la cérémonie ne peut avoir
lieu, comme si le feu couvant devait se communiquer à leur corps.
Quelques villageois vêtus de pagnes en fibres séchées de bourao se livrent
alors à quelques danses de célébration du volcan, enfants, femmes,
hommes, chiens participent aux mouvements effrénés. Aucun
instrument, ils entament une mélopée bruyante, claquent des mains,
l'enthousiasme se communique au groupe. Au moment où les jeunes
hommes entrent en scène, je suis impressionné par la violence de
leurs coups de pied au sol, j'ai le sentiment que je fracasserais les
miens si je déployais la même énergie. Ma danse préférée fut
celle où deux jeunes enfants échangeaient leur place en sautillant
dans l'allégresse générale.
A toi à moi
Ils se livrent ensuite à
un jeu qui consiste à porter un enfant avec de simples feuilles.
Dernière démonstration, celle de l'allumage du feu. J'ai bien
entendu déjà vu cette technique qui consiste à frotter deux bois
l'un contre l'autre pour enclencher un feu mais je suis ébahi par la
vitesse de l'exécution car en moins de quinze ou vingt secondes, une légère fumée s'échappe et les
petites brindilles s'enflamment au contact du bois surchauffé. Le
jeune homme s'improvise une cigarette, en enroulant un bout de papier
autour de quelques herbes tassées, qu'il allume devant moi pour
cracher la fumée en me regardant, rigolard.
Je remercie le chef du
village, nous descendons une pente très abrupte pour nous rendre
vers la rivière. Je vois Bryan disparaître sur un chemin à pic
qu'il m'est impossible d'emprunter, je suis contraint de prendre un
sentier plus praticable. En quelques secondes, agile, souple, le
voici en bas en train de nous attendre, de nous faire signe. Entrée prudente dans
l'eau froide, mais au bout de quelques secondes, elle se révèle
très agréable, rafraichissante. Le courant est fort, en nageant je
reste sur place, je descends vers le fonds à plusieurs reprises pour
jaillir à nouveau vers la surface. Je discute avec Philip qui est
venu me rejoindre. Il me mime une petite démonstration de boxe, il
fut un champion amateur à Port-Vila : seize combats pour deux
défaites seulement, deux victoires aux points et douze victoires par
KO. Ses coups, direct, crochet, uppercut sont rapides, vifs, il me
montre la garde qu'il adoptait avec les droitiers, celle réservée
aux gauchers. Il est désormais ventripotent, mais les muscles de ses bras sont
bien dessinés, impressionnants, je me garde d'évoquer mon ancienne
gloire de shadow-boxing … Il sera attachant durant ces trois jours,
il évoquera ses sacrifices financiers pour ses enfants en même temps que sa
grande fierté à faire étudier deux d'entre eux, les plus âgés,
dont l'un est à Port-Vila pour les études supérieures. Costaud au cœur tendre, il est très
apprécié par ses amis qui le charrient sur ses kilos superflus avec
malice lorsqu'au retour vers l'aéroport il prend la place dans la
benne du pick-up, et lui conseillent de faire des joggings réguliers
comme moi. Il se tapotait alors le ventre de manière comique pour
les faire rire aux éclats.
Nous remontons vers le
village, je traverse à nouveau le site des danses. Les villageois
ont abandonné leur tenue traditionnelle, ils vaquent à des tâches quotidiennes avec des
vêtements occidentaux, short, T-shirt, j'ai dans un premier temps du
mal à les reconnaître jusqu'à ce que j'aperçoive le chef. C'est
faux « L'habit fait le moine et l'indigène ... »
Après-midi lézard sur
la terrasse après le repas suivi d'une courte sieste. Je reste assis
sur la terrasse à écouter le pépiement des oiseaux qui se
répondent d'arbre en arbre, de branche en branche, tandis que s'élèvent au loin au rythme régulier
des détonations les fumées blanches ou sombres. Je cours en fin
d'après-midi, je débute par le chemin de brousse qui débouche sur
la grande plaine cendrée du volcan. L'espace nu désertique s'étend
aux pieds de celui-ci, mes pas lourds rebondissent avec difficulté
sur la surface de couleur grise foncée, scintillante par endroits.
Je longe quelques instants un espace de savane où s'entremêlent des
joncs, des herbes séchées. Je m'approche du cours d'eau, le même
que celui où je me suis baigné mais plus en aval. Ici la terre
devient noire sous l'effet de l'humidité, mes pas s'enfoncent sur le
terrain meuble qui semble aspirer mes pas pour me retenir, m'absorber dans les entrailles de la terre, je dois relever mes genoux
pour continuer à avancer. Mes chaussures à cet endroit laissent une
trace nette, je me retourne, je me demande : Quelle figure
géométrique tracent mes pas depuis la grande course dans le monde
entamée à la naissance ? Je cours au hasard, je monte le début de
la pente raide du volcan pour redescendre. Le vent se soulève et
souffle dans la même direction que moi, les fines particules me
dépassent, j'entame une course avec la poussière … J'accélère,
combat perdu par KO à la première reprise, je dois ralentir ... Je
reviens vers la rivière, le filet d'eau y est plus mince comparé à
l'amont, le courant durant la saison des pluies chaque année a creusé, raviné des gorges profondes en forme de canyon. Je recherche mes traces, je les retrouve avec
beaucoup de mal. Je reviens vers le bungalow, la douche n'est pas
encore aménagée, je me lave dans une cabane avec mes pieds plongés dans la terre noire, je
puise l'eau d'un seau avec un gobelet que je verse sur moi.
J'attends le repas sur la
terrasse. Pas d'électricité, seule la lumière de deux bougies disposées dans de petites assiettes
m'éclaire.
Deux flammes
Les insectes viennent en
abondance, en conférence, attirés par la lumière. La cire comme une coulée de lave descend le long du cylindre. Deux fourmis
escaladent tour à tour la tige blanche, les voilà au sommet de leur vie dans la cire liquide brûlante, les frêles insectes se débattent
en vain, pétrifiés désormais pour l'éternité. Une phalène vole,
revient de manière incessante, obsédante vers la lueur, frôle la flamme,
s'éloigne à nouveau, bat des ailes, haletante, semble renoncer mais la tentation est trop grande, le papillon se
précipite dans le feu, ses ailes sont carbonisées. Consumé, il se démène, gigote, tremble dans
la coupelle avant de rendre l'âme. Ces insectes sont-ils des sages
soufis, ivres de se précipiter dans la brûlure de la vérité,
passionnés prêts à s'embraser dans le feu de l'abandon de leur enveloppe charnelle, de leur esprit ?
Le volcan continue de
tonner.
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