« Mais
où sont les neiges d’antan »
François
Villon, le Grand Testament
Volley-ball : Souvenirs
de belles années
Deux
jours plus tard, j’assiste à un match de volley-ball féminin : Tahiti
contre Papouasie Nouvelle Guinée. Les joueuses entrent dans la salle,
commencent leur échauffement. Le volley-ball est le sport le plus populaire à
Wallis, devant le rugby et le football, l’équipe masculine de Wallis-et-Futuna
étant l’une des favorites pour les mini Jeux. J’avais tenté d’assister à un
match de l’équipe de Wallis mais la salle étant bondée, l’entrée m’avait été
refusée. Je m'assieds sur les gradins, les jeunes filles s’entrainent par
petits groupes de deux ou trois, passes, attaques, réceptions. Les balles fusent,
volent, bondissent, leurs mains, leurs bras se tendent en harmonie avec la
course du ballon. Dès l’entraînement, j’estime qu’il n’y a aucune surprise à
prévoir, les Tahitiennes sont visiblement plus fortes que leurs adversaires
papoues, elles sont plus grandes de 5-10 cms en moyenne, leurs attaques sont
plus tranchantes lorsque l’entrainement passe à la phase finale au filet, les
balles des Tahitiennes tombent à pic sur le terrain adverse tandis que les
Papoues, plus petites, sont nettement moins capables de planter leurs attaques.
Le match commence, très rapidement les
Tahitiennes se détachent.
En pleine action
J’ai
passionnément aimé le volley quand j’étais plus jeune, à l’adolescence,
entraîné par l’enthousiasme d’une bande d’amis de collège. Je jouais au
sein d’une compétition avec le collège
Kléber, le niveau de l’équipe était remarquable. Toutefois, un seul maillon
faible diagnostiqué par l’entraîneur parmi les six joueurs qui composent
en début d’année l’équipe « une » : moi … Il avait pleinement raison,
hélas, j’étais correct au niveau des passes, de la réception, mais ma taille ne
me permettait aucune présence au filet alors que c’est d’une importance
capitale dans ce sport, j’étais incapable de dépasser de plus d’une main Mmmmm
soyons objectif de plus d’une demi-main le filet. Une très bonne détente m’aurait
permis de rattraper ce handicap de taille, mais au contraire je saute moins
haut que les autres ... J’étais de ce fait incapable de contrer.
Autre point noir : je n’avais pas de réflexe, le coup de
jus électrique, l’impulsion nerveuse virevoltante entre l’œil et les membres
qui permet de sauter sur une balle pour la récupérer de manière décisive, désespérée,
j’étais souvent en retard sur les ballons situés à une petite distance. Je
participe aux premiers tournois, nous avançons dans la compétition, je fais
partie du six majeur malgré ce handicap. Je commence à m’enthousiasmer pour ce
sport, le sentiment d’une vie collective m’habite, la participation à un projet
commun victorieux me saisit, je fais tout mon possible pour combler mes handicaps. Je passe des
heures à jongler avec la balle contre un
mur, bien plus que le temps consacré à mes devoirs à la maison, et surtout je
ne cesse de sauter dans une chambre vers le plafond pour améliorer ma détente,
pour essayer de le toucher d’abord avec mes doigts puis avec la paume entière.
Un jour, ma mère qui ignore mon manège, regarde le plafond, s’agace des taches
sur celui-ci, s’interroge à haute voix sur l’origine de celles-ci. Je sais, je ne
pipe pas un mot … Et malgré mes bonds incessants vers l’azur, je n’ai jamais
atteint l’idéal, le Graal dont je rêvais, ma détente est restée médiocre ;
je suis resté ce que j’étais, ce que je suis, ce que je serai : petit.
L’entraîneur,
enseignant de sport, repère dans une de ses classes de troisième un bon joueur
qu’il persuade d’intégrer l’équipe. Me voilà relégué sur le banc. Toutefois, en
finale départementale, le nouveau joueur est malade Hop Hop je rentre
naturellement sur le terrain, je joue presque toute la partie. Je me débrouille
bien, aux dires de mes amis, je vis l’exaltation d’une victoire à laquelle je
participe pleinement par quelques gestes, quelques mouvements du corps, je
partage avec délice la satisfaction de la participation à une âme collective. En
finale académique, le nouvel arrivant est guéri Hop Hop je suis encore rejeté
vers l’extérieur. Ce joueur a un point faible, le service, qu’il a tendance à
balancer trop fort ou à planter dans le filet. L’entraineur me fait rentrer à
deux reprises pour la mise en jeu car j’ai un service légèrement flottant qui
peut mettre en difficulté l’adversaire mais tétanisé par l’enjeu, par la peur
qui me noue les entrailles, mon bras noué frappe avec appréhension le ballon,
je le suis des yeux respiration coupée, il s’échoue à chaque fois sur le filet
… L’ensemble de l’équipe pallie ces erreurs, nous sommes victorieux encore une
fois mais ma joie n’est pas pure ; elle est mêlée à l’amertume d’avoir
failli personnellement …
Malgré
l’échec personnel sur ce match, je perçois un formidable écho de ces souvenirs sportifs
en moi, celui de l’amitié, de la vibration de cœurs en communauté autour d’un
projet.
J’ai
suivi trois autres matchs sur la semaine où s'est déroulé le tournoi de
volley-ball. J’ai choisi ceux-ci au hasard, en fonction de mes disponibilités
horaires, j’assiste deux fois à un match de la Papouasie Nouvelle Guinée, qui
devait remporter la médaille d’or face à Wallis-et-Futuna. Un joueur de
l’équipe papoue, le passeur, joue à un niveau largement supérieur aux autres
malgré un physique banal, il dépose les ballons avec une facilité déconcertante à l'endroit idéal pour ses partenaires, fatal pour ses adversaires, une grâce
incomparable se dégage de ses gestes, douceur, précision, légèreté s'allient dans son toucher de
balles. Il décale souvent parfaitement ses partenaires lors des combinaisons au
filet, attaque parfois en deuxième intention, contre avec efficacité. Il
réalise certaines gestes spectaculaires comme une passe tendue en manchette
d’une extrémité à l’autre du terrain, geste qui accélère le jeu, déconcerte
l’adversaire, on sent l’osmose de l’équipe autour de lui, un immense respect de
ses partenaires alors qu’il ordonnance le jeu en patron sur le terrain. Lorsque
le match commence à être largement en voie d’être gagné, on le fait sortir pour
faire jouer le banc, il arbore un large sourire de confiance, encourage ses
équipiers avec ardeur. Je me dis, il est ce que j’aurais voulu être autrefois sur
un terrain, ce que je n’ai pu être.
Où l’on découvre que
notre héros (euh … c’est moi) se
découvre des dons de divination
Les
coureuses commencent leur long parcours. Visiblement les athlètes ne sont pas
des spécialistes de l’épreuve, elles franchissent avec beaucoup de difficultés
les obstacles, l’épreuve de la rivière étant particulièrement difficile. Les
Papoues tentent de courir en équipe, distancent la Salomonaise. Mmmm, grâce à
moi, vous venez d’apprendre comment on appelle une habitante des îles Salomon …
Merci qui? Allez, un peu plus fort …
Merci qui ? Veillez désormais à étaler discrètement ce savoir lors d’un
futur cocktail …
Mais
l’une des Papoues s’empêtre dans la rivière Gloups Gloups elle est contrainte à
l’abandon. La Salomonaise est plus mince que ses adversaires, elle est plus à
l’aise sur les obstacles, elle rattrape la troisième qui l’a un peu mauvaise … La
gagnante est une Papoue, en un temps légèrement supérieur à 12 minutes, la
Salomonaise prend la deuxième place, juste devant une autre Papoue qui complète
le podium.
J’éprouve
alors un petit instant d’émerveillement devant ma perspicacité, ma sagacité.
Lisez les quelques lignes qui précèdent : j’avais bien pronostiqué la
présence d’au moins deux Papoues sur le podium. Comment ai-je pu arriver à une
telle perfection dans la prédiction du futur, ai-je la capacité de prémonition
me dis-je, suis-je doué d’un don divinatoire sublime, extraordinaire ? Je
ne peux que répondre par l’affirmative puisque les faits, implacables,
invincibles m’ont donné raison mais … comment en faire usage désormais ?
S’enchainent
très vite plusieurs courses, les 4 fois 100 mètres hommes et femmes, ainsi que
les 4 fois 400 mètres hommes et femmes. A chaque fois, l’officiel élève son
pistolet vers le ciel et …
O mon Dieu ... Pan !
La
course en relais de 400 mètres se termine à l’arraché pour une coureuse du
Vanuatu et de la Nouvelle Calédonie. Le 400 mètres est une épreuve à la limite
du sprint et du demi-fond, demandant une énergie fabuleuse. Or, les jeunes
filles athlètes aux mini Jeux sont des amatrices, peu habituées à des efforts
aussi intenses, et la chaleur combinée à l’humidité de Wallis fait des ravages.
L’eau qui s’immisce dans les pores de la peau, le feu en abondance dérégulent
les corps. Les secours se portent rapidement à leur chevet pour soigner la
douleur, les aspergent d’eau, leur parlent avec douceur, gentillesse. Aucun
blessé grave n’a été recensé fort heureusement.
Au bout de l’effort
Où l’on se rend compte
que notre héros (euh … c’est toujours moi)
s’était découvert par hasard un talent indéniable pour la nage en
piscine lors d’une séance de boxe
Je
me rends un autre jour à l’ancienne halle pour assister aux compétitions d’un
sport de combat, le taekwondo, sport apprécié à Wallis mais que je ne connais
pas bien que je l’ai vaguement entrevu à la télévision. J’ai été agréablement
surpris après avoir assisté à cinq-six matchs, de niveau junior et senior,
hommes et femmes : j’ai eu le sentiment d’assister à un sport de combat
total, d’un engagement corporel intense mais d’une grande maîtrise dans la
violence des coups. Les coups ne sont autorisés qu’au dessus de la ceinture,
avec les pieds et poings. Vivacité dans les déplacements, par petits sautillements,
très peu de temps mort avec attaque-défense permanente. Le casque et le
plastron me semblent assurer une très grande protection et leur présence donne
le sentiment d’une volonté de contrôler la puissance, la sauvagerie qui
affleure inévitablement chez l’être humain. A chaque fois qu’un combattant
wallisien se présentait sur le tatami, les clameurs s’élevaient de la foule,
c’est en taekwondo que Wallis devait remporter sa deuxième médaille d’or après
celle du lancer de javelot.
Mêlée de combat
Le
sport de combat, je sais depuis belle lurette que c’est pas pour mézigue … De
nature frêle, peu porté vers la violence, je ne me suis jamais intéressé à la
pratique d’un tel sport. Seule exception qui infirme la règle (pour la
confirmer finalement …), je suis allé dans une salle de boxe sur la suggestion
de Rémy qui pratiquait ce sport. J’ai compris le sens de la phrase célèbre, de
la moquerie de Mohamed Ali avant le match mémorable contre Georges Foreman à
Kinshasa en octobre 1974 « I’ve seen Georges Foreman shadow-boxing and the
shadow won » « J’ai vu Erhan boxer contre l’ombre et celle-ci le
terrassa » …
L’entraineur
de la salle de boxe, Claude, décide de réunir la petite dizaine de débutants au
centre de la salle pour leur apprendre quelques gestes de base : la garde,
le direct et le crochet. Il donne d’abord les instructions puis délègue le
cours à un de ses élèves pour se rendre sur le ring. Je m’efforce de réaliser
les gestes comme il nous les a appris mais je vois bien que visiblement je n’y
arrive pas, son élève s’attarde longuement avec moi pour me corriger. Juché sur
le ring, Claude continue à suivre du coin de l’œil le cours, se dirige vers
Rémy, habitué des cours, et parle avec lui « Tu as vu les gestes du mec,
là, c’est dingue, j’ai rarement vu quelqu’un d’aussi mauvais, il est ridicule,
on a le sentiment qu’il fait de la brasse ou du papillon » Le mec, c’est
moi … Rémy acquiesce car c’est la stricte vérité et n’ose pas lui dire qu’il me
connait … J’ai continué mon numéro de mime de nageur-boxeur, ils se sont
découragés à l’idée de m’enseigner quoi que ce soit. Nous avons terminé par
quelques assauts, on m’a donné pour partenaire une jeune fille, plus frêle que
moi, dont j’ai réussi à briser vaillamment les attaques furieuses contre moi,
tout en continuant avec mon style unique de boxe nage-papillon …
Dernière
partie de l’entrainement, pompes, abdos en profusion, j’abandonne très
rapidement les séries de vingt qu’il propose. Je ressors de la salle, chair
meurtrie, exsangue liée à l’exténuement ; résonne en moi un sentiment de vide, de
désengorgement de ma substance, je n’ai jamais été aussi exténué mais en même
temps je ressens la perception vague, diffuse d’une régénération des organes.
Dans la mêlée du rugby
Dernier
sport un jour avant la fin des jeux, le rugby à 7. J’avais vu la veille sur un
réseau social les scores de rugby en éliminatoires, j’avais été étonné par les
scores fleuves des matchs et des équipes gagnantes avec plus de soixante points.
En visionnant les épreuves en direct, j’ai mieux compris les raisons de ces
écarts. Les deux mi-temps durent à peine dix minutes mais tout est fait pour
favoriser les attaques. Les lignes sont très étirées, les possibilités de
fendre les lignes de défense sont plus grandes, et surtout l'équipe qui marque
une pénalité ou un essai est également celle qui engage ; elle a donc la
possibilité de dérouler sans fin ses attaques, de perforer continuellement les
lignes adverses. A ce jeu, c’est Fidji l’île guerrière qui est la plus
puissante, la plus impressionnante. Les ballons volent de main en main, la
trajectoire tendue de celles-ci est parfaite ; quel que soit le sport,
quand il est exécuté à la perfection, le geste acquiert une grâce, une beauté
incomparable. Fascination devant les gestes de défis au centre de ce sport ;
un Fidjien se retrouve face à un adversaire venu tenter de le plaquer mais il
se retrouve bloqué au niveau du torse par la seule main puissante du joueur,
qui le maintient à distance pendant plusieurs mètres avec une allonge plus
grande. Ils avancent pendant plusieurs mètres, l’un tentant vainement d’attraper
le feu-follet pendant que celui-ci, confiant, inébranlable de supériorité le
repousse suffisamment pour aller marquer l’essai au final. Malgré la distance,
je palpe la rage du vaincu dans le regard, l’humiliation vécue dans ces
quelques secondes de face-à-face.
Deux équipes jouant à guili guili
Je
n’ai joué qu’une fois au rugby, en seconde lors d’une séance d’essai au stade
de l’Ill à Strasbourg. Nous avons appris le fameux geste du plaquage, qui
consiste à attraper l’adversaire à la ceinture puis à laisser glisser le long
des jambes pour bloquer l’adversaire.
Puis
s’organise un match. Je crie « A moi, A moi », je me démarque pour
que l’on puisse me passer le fameux Graal ovale. Etrangement, mes camarades me
passent rarement le ballon, doutant de ma capacité à perforer les lignes
adverses, à avancer en percutant des épaules mes vis-à-vis, à me faufiler entre
les lignes …