lundi 4 novembre 2013

Les mini Jeux du Pacifique : Mini Jeux, Maxi Joie (2)


« Mais où sont les neiges d’antan »
François Villon, le Grand Testament
 

Volley-ball : Souvenirs de belles années

Deux jours plus tard, j’assiste à un match de volley-ball féminin : Tahiti contre Papouasie Nouvelle Guinée. Les joueuses entrent dans la salle, commencent leur échauffement. Le volley-ball est le sport le plus populaire à Wallis, devant le rugby et le football, l’équipe masculine de Wallis-et-Futuna étant l’une des favorites pour les mini Jeux. J’avais tenté d’assister à un match de l’équipe de Wallis mais la salle étant bondée, l’entrée m’avait été refusée. Je m'assieds sur les gradins, les jeunes filles s’entrainent par petits groupes de deux ou trois, passes, attaques, réceptions. Les balles fusent, volent, bondissent, leurs mains, leurs bras se tendent en harmonie avec la course du ballon. Dès l’entraînement, j’estime qu’il n’y a aucune surprise à prévoir, les Tahitiennes sont visiblement plus fortes que leurs adversaires papoues, elles sont plus grandes de 5-10 cms en moyenne, leurs attaques sont plus tranchantes lorsque l’entrainement passe à la phase finale au filet, les balles des Tahitiennes tombent à pic sur le terrain adverse tandis que les Papoues, plus petites, sont nettement moins capables de planter leurs attaques. Le match commence, très  rapidement les Tahitiennes se détachent.  

En pleine action

 Le score devient fleuve en leur faveur, les Tahitiennes allaient devenir les futures vainqueuses ;-) de la compétition, je me détache du match pour plonger dans le cocon des souvenirs …

J’ai passionnément aimé le volley quand j’étais plus jeune, à l’adolescence, entraîné par l’enthousiasme d’une bande d’amis de collège. Je jouais au sein  d’une compétition avec le collège Kléber, le niveau de l’équipe était remarquable. Toutefois, un seul maillon faible diagnostiqué par l’entraîneur  parmi les six joueurs qui composent en début d’année l’équipe « une » : moi … Il avait pleinement raison, hélas, j’étais correct au niveau des passes, de la réception, mais ma taille ne me permettait aucune présence au filet alors que c’est d’une importance capitale dans ce sport, j’étais incapable de dépasser de plus d’une main Mmmmm soyons objectif de plus d’une demi-main le filet. Une très bonne détente m’aurait permis de rattraper ce handicap de taille, mais au contraire je saute moins haut que les autres  ...  J’étais de ce fait incapable de contrer. Autre point noir : je n’avais pas de réflexe, le coup de jus électrique, l’impulsion nerveuse virevoltante entre l’œil et les membres qui permet de sauter sur une balle pour la récupérer de manière décisive, désespérée, j’étais souvent en retard sur les ballons situés à une petite distance. Je participe aux premiers tournois, nous avançons dans la compétition, je fais partie du six majeur malgré ce handicap. Je commence à m’enthousiasmer pour ce sport, le sentiment d’une vie collective m’habite, la participation à un projet commun victorieux me saisit, je fais tout mon possible  pour combler mes handicaps. Je passe des heures à jongler avec la  balle contre un mur, bien plus que le temps consacré à mes devoirs à la maison, et surtout je ne cesse de sauter dans une chambre vers le plafond pour améliorer ma détente, pour essayer de le toucher d’abord avec mes doigts puis avec la paume entière. Un jour, ma mère qui ignore mon manège, regarde le plafond, s’agace des taches sur celui-ci, s’interroge à haute voix sur l’origine de celles-ci. Je sais, je ne pipe pas un mot … Et malgré mes bonds incessants vers l’azur, je n’ai jamais atteint l’idéal, le Graal dont je rêvais, ma détente est restée médiocre ; je suis resté ce que j’étais, ce que je suis, ce que je serai : petit.
 

L’entraîneur, enseignant de sport, repère dans une de ses classes de troisième un bon joueur qu’il persuade d’intégrer l’équipe. Me voilà relégué sur le banc. Toutefois, en finale départementale, le nouveau joueur est malade Hop Hop je rentre naturellement sur le terrain, je joue presque toute la partie. Je me débrouille bien, aux dires de mes amis, je vis l’exaltation d’une victoire à laquelle je participe pleinement par quelques gestes, quelques mouvements du corps, je partage avec délice la satisfaction de la participation à une âme collective. En finale académique, le nouvel arrivant est guéri Hop Hop je suis encore rejeté vers l’extérieur. Ce joueur a un point faible, le service, qu’il a tendance à balancer trop fort ou à planter dans le filet. L’entraineur me fait rentrer à deux reprises pour la mise en jeu car j’ai un service légèrement flottant qui peut mettre en difficulté l’adversaire mais tétanisé par l’enjeu, par la peur qui me noue les entrailles, mon bras noué frappe avec appréhension le ballon, je le suis des yeux respiration coupée, il s’échoue à chaque fois sur le filet … L’ensemble de l’équipe pallie ces erreurs, nous sommes victorieux encore une fois mais ma joie n’est pas pure ; elle est mêlée à l’amertume d’avoir failli personnellement …

Malgré l’échec personnel sur ce match, je perçois un formidable écho de ces souvenirs sportifs en moi, celui de l’amitié, de la vibration de cœurs en communauté autour d’un projet.

J’ai suivi trois autres matchs sur la semaine où s'est déroulé le tournoi de volley-ball. J’ai choisi ceux-ci au hasard, en fonction de mes disponibilités horaires, j’assiste deux fois à un match de la Papouasie Nouvelle Guinée, qui devait remporter la médaille d’or face à Wallis-et-Futuna. Un joueur de l’équipe papoue, le passeur, joue à un niveau largement supérieur aux autres malgré un physique banal, il dépose les ballons avec une facilité déconcertante à l'endroit idéal pour ses partenaires, fatal pour ses adversaires, une grâce incomparable se dégage de ses gestes, douceur, précision, légèreté s'allient dans son toucher de balles. Il décale souvent parfaitement ses partenaires lors des combinaisons au filet, attaque parfois en deuxième intention, contre avec efficacité. Il réalise certaines gestes spectaculaires comme une passe tendue en manchette d’une extrémité à l’autre du terrain, geste qui accélère le jeu, déconcerte l’adversaire, on sent l’osmose de l’équipe autour de lui, un immense respect de ses partenaires alors qu’il ordonnance le jeu en patron sur le terrain. Lorsque le match commence à être largement en voie d’être gagné, on le fait sortir pour faire jouer le banc, il arbore un large sourire de confiance, encourage ses équipiers avec ardeur. Je me dis, il est ce que j’aurais voulu être autrefois sur un terrain, ce que je n’ai pu être.


Où l’on découvre que notre héros (euh … c’est moi)  se découvre des dons de divination

 Je passe au stade pour regarder quelques épreuves d’athlétisme. Le départ du 3 000 m steeple chase, course étrange avec son franchissement d’obstacle, de rivière est donné. Sur la ligne, quatre candidates, trois Papoues et une coureuse des îles Salomon. Tout à coup, une transe subite … une certitude interne, absolue, transcendante … une illumination du ciel m’envahit. Je forme le pari intérieur dès le coup de feu de départ qu’il y aura au moins deux Papoues sur le podium. Je m’enquiers de la possibilité de parier sur cette épreuve, mais hélas pas de paris sportifs sur les épreuves ici à Wallis-et-Futuna.

Les coureuses commencent leur long parcours. Visiblement les athlètes ne sont pas des spécialistes de l’épreuve, elles franchissent avec beaucoup de difficultés les obstacles, l’épreuve de la rivière étant particulièrement difficile. Les Papoues tentent de courir en équipe, distancent la Salomonaise. Mmmm, grâce à moi, vous venez d’apprendre comment on appelle une habitante des îles Salomon … Merci qui? Allez,  un peu plus fort … Merci qui ? Veillez désormais à étaler discrètement ce savoir lors d’un futur cocktail …

Mais l’une des Papoues s’empêtre dans la rivière Gloups Gloups elle est contrainte à l’abandon. La Salomonaise est plus mince que ses adversaires, elle est plus à l’aise sur les obstacles, elle rattrape la troisième qui l’a un peu mauvaise … La gagnante est une Papoue, en un temps légèrement supérieur à 12 minutes, la Salomonaise prend la deuxième place, juste devant une autre Papoue qui complète le podium.

J’éprouve alors un petit instant d’émerveillement devant ma perspicacité, ma sagacité. Lisez les quelques lignes qui précèdent : j’avais bien pronostiqué la présence d’au moins deux Papoues sur le podium. Comment ai-je pu arriver à une telle perfection dans la prédiction du futur, ai-je la capacité de prémonition me dis-je, suis-je doué d’un don divinatoire sublime, extraordinaire ? Je ne peux que répondre par l’affirmative puisque les faits, implacables, invincibles m’ont donné raison mais … comment en faire usage désormais ?

S’enchainent très vite plusieurs courses, les 4 fois 100 mètres hommes et femmes, ainsi que les 4 fois 400 mètres hommes et femmes. A chaque fois, l’officiel élève son pistolet vers le ciel et …

 
O mon Dieu ... Pan !


La course en relais de 400 mètres se termine à l’arraché pour une coureuse du Vanuatu et de la Nouvelle Calédonie. Le 400 mètres est une épreuve à la limite du sprint et du demi-fond, demandant une énergie fabuleuse. Or, les jeunes filles athlètes aux mini Jeux sont des amatrices, peu habituées à des efforts aussi intenses, et la chaleur combinée à l’humidité de Wallis fait des ravages. L’eau qui s’immisce dans les pores de la peau, le feu en abondance dérégulent les corps. Les secours se portent rapidement à leur chevet pour soigner la douleur, les aspergent d’eau, leur parlent avec douceur, gentillesse. Aucun blessé grave n’a été recensé fort heureusement.

 
Au bout de l’effort

  

Où l’on se rend compte que notre héros (euh … c’est toujours moi)  s’était découvert par hasard un talent indéniable pour la nage en piscine lors d’une séance de boxe

Je me rends un autre jour à l’ancienne halle pour assister aux compétitions d’un sport de combat, le taekwondo, sport apprécié à Wallis mais que je ne connais pas bien que je l’ai vaguement entrevu à la télévision. J’ai été agréablement surpris après avoir assisté à cinq-six matchs, de niveau junior et senior, hommes et femmes : j’ai eu le sentiment d’assister à un sport de combat total, d’un engagement corporel intense mais d’une grande maîtrise dans la violence des coups. Les coups ne sont autorisés qu’au dessus de la ceinture, avec les pieds et poings. Vivacité dans les déplacements, par petits sautillements, très peu de temps mort avec attaque-défense permanente. Le casque et le plastron me semblent assurer une très grande protection et leur présence donne le sentiment d’une volonté de contrôler la puissance, la sauvagerie qui affleure inévitablement chez l’être humain. A chaque fois qu’un combattant wallisien se présentait sur le tatami, les clameurs s’élevaient de la foule, c’est en taekwondo que Wallis devait remporter sa deuxième médaille d’or après celle du lancer de javelot. 
 

Mêlée de combat

Le sport de combat, je sais depuis belle lurette que c’est pas pour mézigue … De nature frêle, peu porté vers la violence, je ne me suis jamais intéressé à la pratique d’un tel sport. Seule exception qui infirme la règle (pour la confirmer finalement …), je suis allé dans une salle de boxe sur la suggestion de Rémy qui pratiquait ce sport. J’ai compris le sens de la phrase célèbre, de la moquerie de Mohamed Ali avant le match mémorable contre Georges Foreman à Kinshasa en octobre 1974 « I’ve seen Georges Foreman shadow-boxing and the shadow won » « J’ai vu Erhan boxer contre l’ombre et celle-ci le terrassa » …

L’entraineur de la salle de boxe, Claude, décide de réunir la petite dizaine de débutants au centre de la salle pour leur apprendre quelques gestes de base : la garde, le direct et le crochet. Il donne d’abord les instructions puis délègue le cours à un de ses élèves pour se rendre sur le ring. Je m’efforce de réaliser les gestes comme il nous les a appris mais je vois bien que visiblement je n’y arrive pas, son élève s’attarde longuement avec moi pour me corriger. Juché sur le ring, Claude continue à suivre du coin de l’œil le cours, se dirige vers Rémy, habitué des cours, et parle avec lui « Tu as vu les gestes du mec, là, c’est dingue, j’ai rarement vu quelqu’un d’aussi mauvais, il est ridicule, on a le sentiment qu’il fait de la brasse ou du papillon » Le mec, c’est moi … Rémy acquiesce car c’est la stricte vérité et n’ose pas lui dire qu’il me connait … J’ai continué mon numéro de mime de nageur-boxeur, ils se sont découragés à l’idée de m’enseigner quoi que ce soit. Nous avons terminé par quelques assauts, on m’a donné pour partenaire une jeune fille, plus frêle que moi, dont j’ai réussi à briser vaillamment les attaques furieuses contre moi, tout en continuant avec mon style unique de boxe nage-papillon …

Dernière partie de l’entrainement, pompes, abdos en profusion, j’abandonne très rapidement les séries de vingt qu’il propose. Je ressors de la salle, chair meurtrie, exsangue liée à l’exténuement ; résonne en moi un sentiment de vide, de désengorgement de ma substance, je n’ai jamais été aussi exténué mais en même temps je ressens la perception vague, diffuse d’une régénération des organes.

Dans la mêlée du rugby 

Dernier sport un jour avant la fin des jeux, le rugby à 7. J’avais vu la veille sur un réseau social les scores de rugby en éliminatoires, j’avais été étonné par les scores fleuves des matchs et des équipes gagnantes avec plus de soixante points. En visionnant les épreuves en direct, j’ai mieux compris les raisons de ces écarts. Les deux mi-temps durent à peine dix minutes mais tout est fait pour favoriser les attaques. Les lignes sont très étirées, les possibilités de fendre les lignes de défense sont plus grandes, et surtout l'équipe qui marque une pénalité ou un essai est également celle qui engage ; elle a donc la possibilité de dérouler sans fin ses attaques, de perforer continuellement les lignes adverses. A ce jeu, c’est Fidji l’île guerrière qui est la plus puissante, la plus impressionnante. Les ballons volent de main en main, la trajectoire tendue de celles-ci est parfaite ; quel que soit le sport, quand il est exécuté à la perfection, le geste acquiert une grâce, une beauté incomparable. Fascination devant les gestes de défis au centre de ce sport ; un Fidjien se retrouve face à un adversaire venu tenter de le plaquer mais il se retrouve bloqué au niveau du torse par la seule main puissante du joueur, qui le maintient à distance pendant plusieurs mètres avec une allonge plus grande. Ils avancent pendant plusieurs mètres, l’un tentant vainement d’attraper le feu-follet pendant que celui-ci, confiant, inébranlable de supériorité le repousse suffisamment pour aller marquer l’essai au final. Malgré la distance, je palpe la rage du vaincu dans le regard, l’humiliation vécue dans ces quelques secondes de face-à-face.
 
Deux équipes jouant à guili guili

 
Je n’ai joué qu’une fois au rugby, en seconde lors d’une séance d’essai au stade de l’Ill à Strasbourg. Nous avons appris le fameux geste du plaquage, qui consiste à attraper l’adversaire à la ceinture puis à laisser glisser le long des jambes pour bloquer l’adversaire.

Puis s’organise un match. Je crie « A moi, A moi », je me démarque pour que l’on puisse me passer le fameux Graal ovale. Etrangement, mes camarades me passent rarement le ballon, doutant de ma capacité à perforer les lignes adverses, à avancer en percutant des épaules mes vis-à-vis, à me faufiler entre les lignes …