La
visite de l'île d'Efate se déroula en une journée. Elle commença
par la visite d'un village coutumier Iarofa, située à une petite
distance de la capitale. Nous arrivâmes non loin de celui-ci dans un petit van, la
dernière partie de la route s'effectuant à pied. Avant d'entrer dans le
village, le guide s'empara de deux frondes de fougère arborescente
pour nous montrer ce symbole figurant sur leur drapeau national,
symbolisant le respect et la paix.
Les
fougères de la paix
Comme
dans le village de Tanna où j'avais vu les « Big Nambas »
entamer leur danse revêtus de leurs étuis péniens, l'entrée du
village de « Iarofa » était marqué nettement par la
présence d'un immense banyan, arbre aux multiples racines noueuses
s'extirpant du sol. Là, un Vanuatais se présenta comme le chef du
village et nous invita à passer à travers l'arbre géant.
Impression de passer dans la terre avec ces dizaines de racines au
dessus de nous, autour de nous qui nous enveloppaient comme si nous
traversions la nef souterraine d'une cathédrale de bois.
Bienvenue
à l'intérieur du banyan
Nous
nous assîmes sur des bancs pendant que le chef nous présenta
quelques éléments de leur culture traditionnelle, communs à
l'ensemble des villages de l'île. Il expliqua qu'il n'avait jamais
été à l'école, qu'il avait appris à parler l'anglais avec les
touristes de passage, mais je n'ai pas cru cette affirmation pour la
simple et bonne raison qu'il s'exprimait mieux que moi en anglais,
alors que je l'ai étudié plus de sept ans. Je doutais même qu'il
soit réellement chef de village, les deux que j'avais vu à Tanna
étaient bien plus âgés que lui et cette fonction est dévolue dans
ces sociétés traditionnelles de manière naturelle à la compétence
acquise par l'expérience d'une longue vie. Il avait une tignasse qui
évoquait les dreadlocks des rastas et une grande barbe mais son
corps svelte, bien taillé était celui d'un homme d'une quarantaine
d'années. Il avait sans doute été choisi pour jouer un rôle de
démonstration car il avait un grand bagout et faisait rire parfois
l'assemblée. Coutume effrayante à nos yeux modernes, le chef du
village enterrait son premier enfant s'il s'agissait d'une fille
avant l'arrivée des missionnaires au 19ème siècle. Il nous a
montré les différentes techniques de pêche, collectives ou
individuelles ainsi que le soin entretenu avec des plantes
médicinales. Il expliqua l'importance de garder les nourritures en
creusant des trous pour préserver les denrées durant les périodes
de pluie intense, qui peuvent être conservés plus de trois mois
avec leurs méthodes de préparation. Le banyan joue un rôle
primordial dans leur culture et au plus fort des cyclones, c'est là
que l'on s'y réfugie, au creux de l'arbre ou cachés dans les
racines, les branches. Enfin, pour déterminer la nature comestible
d'une plante, il expliqua que les anciens le jetaient par terre et
observaient si les fourmis s'en emparaient. Fourmis, nos frères de
nourritures ...
Puis
nous nous dirigeâmes vers une grande place où nous eûmes droit aux
danses traditionnelles de bienvenue. A la suite de cela, ce fut la
cérémonie de la marche sur le feu, tradition qui existe dans de
nombreuses îles du Pacifique comme par exemple Fidji ou Tahiti. Ici,
elle servait de préparation à la guerre, l'homme qui passait
l'épreuve du feu était apte à se frotter à la guerre, à
s'élancer dans les fièvres du combat. Le jeune homme qui allait
entamer la marche sur les brasiers fut aidé par un compagnon qui
cracha sur la paume de ses pieds un mélange d'herbes qu'il avait
mâché avec conscience. L'homme, mince, élancé, a esquissé les premiers pas sur
le feu en ne s'attardant pas en chemin, il a effectué quelques
allers et venues sur ces cendres chaudes. A la fin, il a esquissé
quelques pas de danse.
La marche du feu
Ma
vie s'est écoulée de feux en feux qui m'ont brûlé, qui m'ont
dévoré, qui se sont éteints, qui se sont rallumés dans mon corps,
le revêtant de lumière. Le frottement, la brûlure se sont élancés
de la paume de mes pieds pour fluer en moi comme une conflagration de
vie intense, pure pour exploser dans mon cœur, briller en éclats
fabuleux dans chacun de mes neurones. Feux pâles et soyeux de
l'enfance, j'ai glissé sur vous l'âme apaisée, rêveuse ; Feux
brûlants de la passion, j'ai volé vers vous l'âme vive, enchantée,
comblée ; Feux multicolores de l'amitié, j'ai marché, couru sur
vous avec mon cœur battant la mesure de ma raison. Feux de la vie,
je vous ai entendu bruire, craqueler, murmurer vos douces plaintes en
moi ; j'ai senti planter vos morsures dans ma chair souffrante,
endolorie ; j'ai ressenti les élans vifs de vos éclats quand je
m'envolais, plein d'enthousiasme pour capter la beauté qui
m'environnait. J'ai dansé dans les flammes dans une étroite
communion avec celles qui rayonnaient dans l'univers, celles qui
flamboyaient, explosaient au sein des milliards d'étoiles des
galaxies, celles qui se projetaient depuis l'immense astre solaire
vers nous, celles qui ondulaient dans les zébrures des éclairs au
sein des orages, celles qui se répandaient sur les fleurs et les
champs de blé. J'ai dansé sur le feu une valse lente fusionnelle,
un tango triste au corps-à-corps, une salsa endiablée, haletante et
une marche rythmée à travers le monde. Combien d'incendies encore
devant moi, aurais-je encore la force de me consumer encore pour mieux
ressusciter ?
Banyans et baignade
Nous
reprîmes la route vers une école où les enfants d'école primaire
nous attendaient et entonnèrent quelques chants. J'étais un peu
gêné, je trouvais cette cérémonie un peu artificielle, spectacle
téléguidé destiné aux touristes, tribu à laquelle j'appartiens
il est vrai mais les enfants semblaient heureux, se poussaient du
coude en chantant. Dans le bus, le guide nous expliqua que dans
certaines parties de l'île, les enfants se lèvent près de deux
heures avant le début des cours pour entamer une longue marche
depuis leur village, mangent en chemin des fruits découpés de
l'arbre avec leurs machettes, traversent des torrents tumultueux lors
de la saison des pluies sur de simples troncs enjambant les cours
d'eau. Et même topo le soir. Chez tous les interlocuteurs vanuatais,
j'ai senti un respect absolu de l'institution scolaire. Et nous, nous
nous indignons si le car scolaire a un quart d'heure de retard, ou parce que l'enfant a un cartable trop lourd à porter. Plus loin, le mini-bus ralentit tandis que le guide nous
montra deux banyans, l'un mâle, creux avec de grandes lianes qui
descendaient des branches telle une immense barbe et le banyan
femelle, plein et sans lianes. Dans une cour d'école se dressait un
très beau banyan dans lequel les plus petits enfants effectuent leur
sieste à l'intérieur du cocon du géant.
Un
peu avant 11 heures, nous arrivâmes dans un petit écrin
paradisiaque, le « Blue Lagoon » où il est possible de
se baigner dans une étendue d'eau légèrement en retrait de l'océan
dans une magnifique explosion de couleurs vertes et bleues entre les
arbres, l'eau, le ciel. Les enfants se jetaient depuis une liane dans
l'eau, je n'ai pas pu m'empêcher de faire de même. La liane m'a été
gentiment tendue par des personnes dans l'eau, je me suis élancé
depuis une branche en m'y accrochant. Tarzan sans Jane,
j'ai sauté cul et jambes en avant dans l'eau Plouf en éclatant la
surface de l'eau alors que mon cœur lançait un sauvage « Oo
Iho-Iho Iho-Iho ».
C'est
au Nord de l'île que nous avons accédé au restaurant, avec des
sources thermales naturelles qui offrent la possibilité de se baigner
dans des piscines. Buffet avec des grillades au menu, accompagné par
les rythmes d'un petit orchestre de fortune en face du Pacifique.
Le plus petit musée du monde ?
Dans
l'après-midi, nous visitâmes un musée original, unique en son
genre. Imaginez une vieille, petite bicoque en bois arrimée à
l'océan, aux planches disjointes surmontée de tôles de fer mal
posées, usagées et vous voilà devant le musée de la 2ème guerre
mondiale d'Ernest, un personnage haut en couleurs de l'île. Dans le
bus, on nous avait prévenu de ne pas l'interrompre quand il allait
nous présenter les objets de son musée. Nous rentrâmes dans la
cabane, et c'est la surprise de voir une quantité de rouille incroyable,
flanquée de très vieilles bouteilles poussiéreuses dans cet espace
exigu. Ernest a vécu son enfance et le début de l'adolescence au milieu
de la 2ème guerre mondiale avec le choc de la modernité introduit
par l'arrivée de l'armée américaine en lutte avec l'ennemi
japonais. Plus tard, pendant des décennies, il a collectionné des
vestiges de cette guerre trouvés sans doute dans des décharges,
dans des champs, sur des plages abandonnées. Il a eu l'idée de
regrouper ces vieilles hélices de moteur rouillées, ces bidons
d'essence abandonnés, ces douilles trouées, ces vieux morceaux
d'obus explosés et ces bouteilles de Coca aux formes galbées ainsi
que d'autres bouteilles contenant de l'acide, de la bière datant de
la période de la guerre dans cette bicoque le long de la route
principale pour les exposer au grand jour.
Tac
Tac Tac Tac il commença son discours pour présenter sa collection une vraie mitraillette en
forme d'accueil avec un débit sec, haché dans un accent
difficilement compréhensible qu'il semble avoir emprunté à ses
hôtes américains. Quelques minutes plus tard, nous le quittions et
un autre groupe entrait, c'est le même discours à la virgule près
canardé à la volée, nous l'avons tous écouté cette fois-ci en
rigolant.
J'ai
trouvé l'idée de ce musée ingénieuse et amusante. Tous ces objets
dans un pays occidental auraient abouti à la déchetterie, les voilà
exposés à nos regards, nous interrogeant sur notre conception du
musée, de la mémoire, sur notre rapport aux objets. Ce n'était pas
le musée de l'Innocence, c'était le musée de la folie guerrière
qui témoignait de la marque profonde, de la fascination laissée par
la guerre mondiale du siècle dernier, empreinte durable observable
également à Wallis. Subitement, toutes ces îles isolées dans le
gigantesque Pacifique, ancrées dans une tradition millénaire, dans
un présent éternel rythmé par le ballet du soleil dans le ciel, le
vent, la pluie ont vu débarquer des oiseaux de fer répandant sur leurs paysages radieux des engins explosant comme des volcans, des
navires bardés de bouches meurtrières dégueulant des hommes munis
d'armes bruyantes qui les ont entraîné dans une guerre sans aucune
signification pour eux. Ces îles ont été happées dans l'immense
roue de la mondialisation meurtrière, de la ronde infernale,
insatiable, carnassière de la société de consommation pour les
relier au village global planétaire, pour les attraper dans la toile
d'araignée de la société moderne, pour faire vibrer à l'unisson
les sept milliards et quelques poussières d'êtres sur cet îlot
minuscule noyé dans l'espace démesuré autour d'un soleil perdu au
milieu des milliards d'étoiles de la Voie Lactée suspendue au sein
des milliards de galaxies.
Rencontre de blogueurs
dans le Pacifique
Le
surlendemain, retour vers Wallis avec une halte à Nouméa. Surprise de
revoir un ancien ami que j'avais connu à quelques 16 000 kms du Pacifique via des cours de danse en
métropole, qui m'avait contacté pour son séjour de près de deux mois en Nouvelle Calédonie. Il avait autrefois un blog de poésie sur MySpace
désormais fermé, il a rapatrié certains de ces beaux textes sur son nouveau blog
« Asile Poétique » et il a tenu un autre blog éphémère « Ma tête en bas » sur son séjour bref dans l'hémisphère sud. Et
là, la tête en bas, les pieds en haut bien arrimés au sol, ayant obtenu l'asile tant désiré sur ces îles lointaines, avec
davantage de pression sanguine vers le cœur et le cerveau, nous
avons devisé jusque tard dans la nuit sur une terrasse de l'Anse
Vata, parlant blogs, passé, futur, présent, politique et que
sais-je encore.
Blogueur de l'Est Blogueur de l'Ouest
Blogueur
du Sud Blogueur du Nord
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