jeudi 12 juin 2014

Séjour au Vanuatu : Le tour de l'île d'Efate

Le village d'Iarofa

La visite de l'île d'Efate se déroula en une journée. Elle commença par la visite d'un village coutumier Iarofa, située à une petite distance de la capitale. Nous arrivâmes non loin de celui-ci dans un petit van, la dernière partie de la route s'effectuant à pied. Avant d'entrer dans le village, le guide s'empara de deux frondes de fougère arborescente pour nous montrer ce symbole figurant sur leur drapeau national, symbolisant le respect et la paix.

Les fougères de la paix

Comme dans le village de Tanna où j'avais vu les « Big Nambas » entamer leur danse revêtus de leurs étuis péniens, l'entrée du village de « Iarofa » était marqué nettement par la présence d'un immense banyan, arbre aux multiples racines noueuses s'extirpant du sol. Là, un Vanuatais se présenta comme le chef du village et nous invita à passer à travers l'arbre géant. Impression de passer dans la terre avec ces dizaines de racines au dessus de nous, autour de nous qui nous enveloppaient comme si nous traversions la nef souterraine d'une cathédrale de bois.

Bienvenue à l'intérieur du banyan

Nous nous assîmes sur des bancs pendant que le chef nous présenta quelques éléments de leur culture traditionnelle, communs à l'ensemble des villages de l'île. Il expliqua qu'il n'avait jamais été à l'école, qu'il avait appris à parler l'anglais avec les touristes de passage, mais je n'ai pas cru cette affirmation pour la simple et bonne raison qu'il s'exprimait mieux que moi en anglais, alors que je l'ai étudié plus de sept ans. Je doutais même qu'il soit réellement chef de village, les deux que j'avais vu à Tanna étaient bien plus âgés que lui et cette fonction est dévolue dans ces sociétés traditionnelles de manière naturelle à la compétence acquise par l'expérience d'une longue vie. Il avait une tignasse qui évoquait les dreadlocks des rastas et une grande barbe mais son corps svelte, bien taillé était celui d'un homme d'une quarantaine d'années. Il avait sans doute été choisi pour jouer un rôle de démonstration car il avait un grand bagout et faisait rire parfois l'assemblée. Coutume effrayante à nos yeux modernes, le chef du village enterrait son premier enfant s'il s'agissait d'une fille avant l'arrivée des missionnaires au 19ème siècle. Il nous a montré les différentes techniques de pêche, collectives ou individuelles ainsi que le soin entretenu avec des plantes médicinales. Il expliqua l'importance de garder les nourritures en creusant des trous pour préserver les denrées durant les périodes de pluie intense, qui peuvent être conservés plus de trois mois avec leurs méthodes de préparation. Le banyan joue un rôle primordial dans leur culture et au plus fort des cyclones, c'est là que l'on s'y réfugie, au creux de l'arbre ou cachés dans les racines, les branches. Enfin, pour déterminer la nature comestible d'une plante, il expliqua que les anciens le jetaient par terre et observaient si les fourmis s'en emparaient. Fourmis, nos frères de nourritures ...

Puis nous nous dirigeâmes vers une grande place où nous eûmes droit aux danses traditionnelles de bienvenue. A la suite de cela, ce fut la cérémonie de la marche sur le feu, tradition qui existe dans de nombreuses îles du Pacifique comme par exemple Fidji ou Tahiti. Ici, elle servait de préparation à la guerre, l'homme qui passait l'épreuve du feu était apte à se frotter à la guerre, à s'élancer dans les fièvres du combat. Le jeune homme qui allait entamer la marche sur les brasiers fut aidé par un compagnon qui cracha sur la paume de ses pieds un mélange d'herbes qu'il avait mâché avec conscience. L'homme, mince, élancé, a esquissé les premiers pas sur le feu en ne s'attardant pas en chemin, il a effectué quelques allers et venues sur ces cendres chaudes. A la fin, il a esquissé quelques pas de danse.


La marche du feu

Ma vie s'est écoulée de feux en feux qui m'ont brûlé, qui m'ont dévoré, qui se sont éteints, qui se sont rallumés dans mon corps, le revêtant de lumière. Le frottement, la brûlure se sont élancés de la paume de mes pieds pour fluer en moi comme une conflagration de vie intense, pure pour exploser dans mon cœur, briller en éclats fabuleux dans chacun de mes neurones. Feux pâles et soyeux de l'enfance, j'ai glissé sur vous l'âme apaisée, rêveuse ; Feux brûlants de la passion, j'ai volé vers vous l'âme vive, enchantée, comblée ; Feux multicolores de l'amitié, j'ai marché, couru sur vous avec mon cœur battant la mesure de ma raison. Feux de la vie, je vous ai entendu bruire, craqueler, murmurer vos douces plaintes en moi ; j'ai senti planter vos morsures dans ma chair souffrante, endolorie ; j'ai ressenti les élans vifs de vos éclats quand je m'envolais, plein d'enthousiasme pour capter la beauté qui m'environnait. J'ai dansé dans les flammes dans une étroite communion avec celles qui rayonnaient dans l'univers, celles qui flamboyaient, explosaient au sein des milliards d'étoiles des galaxies, celles qui se projetaient depuis l'immense astre solaire vers nous, celles qui ondulaient dans les zébrures des éclairs au sein des orages, celles qui se répandaient sur les fleurs et les champs de blé. J'ai dansé sur le feu une valse lente fusionnelle, un tango triste au corps-à-corps, une salsa endiablée, haletante et une marche rythmée à travers le monde. Combien d'incendies encore devant moi, aurais-je encore la force de me consumer encore pour mieux ressusciter ?

Banyans et baignade

Nous reprîmes la route vers une école où les enfants d'école primaire nous attendaient et entonnèrent quelques chants. J'étais un peu gêné, je trouvais cette cérémonie un peu artificielle, spectacle téléguidé destiné aux touristes, tribu à laquelle j'appartiens il est vrai mais les enfants semblaient heureux, se poussaient du coude en chantant. Dans le bus, le guide nous expliqua que dans certaines parties de l'île, les enfants se lèvent près de deux heures avant le début des cours pour entamer une longue marche depuis leur village, mangent en chemin des fruits découpés de l'arbre avec leurs machettes, traversent des torrents tumultueux lors de la saison des pluies sur de simples troncs enjambant les cours d'eau. Et même topo le soir. Chez tous les interlocuteurs vanuatais, j'ai senti un respect absolu de l'institution scolaire. Et nous, nous nous indignons si le car scolaire a un quart d'heure de retard, ou parce que l'enfant a un cartable trop lourd à porter. Plus loin, le mini-bus ralentit tandis que le guide nous montra deux banyans, l'un mâle, creux avec de grandes lianes qui descendaient des branches telle une immense barbe et le banyan femelle, plein et sans lianes. Dans une cour d'école se dressait un très beau banyan dans lequel les plus petits enfants effectuent leur sieste à l'intérieur du cocon du géant.

Sa Majesté le Banyan

Un peu avant 11 heures, nous arrivâmes dans un petit écrin paradisiaque, le « Blue Lagoon » où il est possible de se baigner dans une étendue d'eau légèrement en retrait de l'océan dans une magnifique explosion de couleurs vertes et bleues entre les arbres, l'eau, le ciel. Les enfants se jetaient depuis une liane dans l'eau, je n'ai pas pu m'empêcher de faire de même. La liane m'a été gentiment tendue par des personnes dans l'eau, je me suis élancé depuis une branche en m'y accrochant. Tarzan sans Jane, j'ai sauté cul et jambes en avant dans l'eau Plouf en éclatant la surface de l'eau alors que mon cœur lançait un sauvage « Oo Iho-Iho Iho-Iho ».

C'est au Nord de l'île que nous avons accédé au restaurant, avec des sources thermales naturelles qui offrent la possibilité de se baigner dans des piscines. Buffet avec des grillades au menu, accompagné par les rythmes d'un petit orchestre de fortune en face du Pacifique.


En avant la musique

Le plus petit musée du monde ?

Dans l'après-midi, nous visitâmes un musée original, unique en son genre. Imaginez une vieille, petite bicoque en bois arrimée à l'océan, aux planches disjointes surmontée de tôles de fer mal posées, usagées et vous voilà devant le musée de la 2ème guerre mondiale d'Ernest, un personnage haut en couleurs de l'île. Dans le bus, on nous avait prévenu de ne pas l'interrompre quand il allait nous présenter les objets de son musée. Nous rentrâmes dans la cabane, et c'est la surprise de voir une quantité de rouille incroyable, flanquée de très vieilles bouteilles poussiéreuses dans cet espace exigu. Ernest a vécu son enfance et le début de l'adolescence au milieu de la 2ème guerre mondiale avec le choc de la modernité introduit par l'arrivée de l'armée américaine en lutte avec l'ennemi japonais. Plus tard, pendant des décennies, il a collectionné des vestiges de cette guerre trouvés sans doute dans des décharges, dans des champs, sur des plages abandonnées. Il a eu l'idée de regrouper ces vieilles hélices de moteur rouillées, ces bidons d'essence abandonnés, ces douilles trouées, ces vieux morceaux d'obus explosés et ces bouteilles de Coca aux formes galbées ainsi que d'autres bouteilles contenant de l'acide, de la bière datant de la période de la guerre dans cette bicoque le long de la route principale pour les exposer au grand jour.

Tac Tac Tac Tac il commença son discours pour présenter sa collection une vraie mitraillette en forme d'accueil avec un débit sec, haché dans un accent difficilement compréhensible qu'il semble avoir emprunté à ses hôtes américains. Quelques minutes plus tard, nous le quittions et un autre groupe entrait, c'est le même discours à la virgule près canardé à la volée, nous l'avons tous écouté cette fois-ci en rigolant.


Ernest et son musée de la guerre

J'ai trouvé l'idée de ce musée ingénieuse et amusante. Tous ces objets dans un pays occidental auraient abouti à la déchetterie, les voilà exposés à nos regards, nous interrogeant sur notre conception du musée, de la mémoire, sur notre rapport aux objets. Ce n'était pas le musée de l'Innocence, c'était le musée de la folie guerrière qui témoignait de la marque profonde, de la fascination laissée par la guerre mondiale du siècle dernier, empreinte durable observable également à Wallis. Subitement, toutes ces îles isolées dans le gigantesque Pacifique, ancrées dans une tradition millénaire, dans un présent éternel rythmé par le ballet du soleil dans le ciel, le vent, la pluie ont vu débarquer des oiseaux de fer répandant sur leurs paysages radieux des engins explosant comme des volcans, des navires bardés de bouches meurtrières dégueulant des hommes munis d'armes bruyantes qui les ont entraîné dans une guerre sans aucune signification pour eux. Ces îles ont été happées dans l'immense roue de la mondialisation meurtrière, de la ronde infernale, insatiable, carnassière de la société de consommation pour les relier au village global planétaire, pour les attraper dans la toile d'araignée de la société moderne, pour faire vibrer à l'unisson les sept milliards et quelques poussières d'êtres sur cet îlot minuscule noyé dans l'espace démesuré autour d'un soleil perdu au milieu des milliards d'étoiles de la Voie Lactée suspendue au sein des milliards de galaxies.

Rencontre de blogueurs dans le Pacifique

Le surlendemain, retour vers Wallis avec une halte à Nouméa. Surprise de revoir un ancien ami que j'avais connu à quelques 16 000 kms du Pacifique via des cours de danse en métropole, qui m'avait contacté pour son séjour de près de deux mois en Nouvelle Calédonie. Il avait autrefois un blog de poésie sur MySpace désormais fermé, il a rapatrié certains de ces  beaux textes sur son nouveau blog « Asile Poétique » et il a tenu un autre blog éphémère « Ma tête en bas » sur son séjour bref dans l'hémisphère sud. Et là, la tête en bas, les pieds en haut bien arrimés au sol, ayant obtenu l'asile tant désiré sur ces îles lointaines, avec davantage de pression sanguine vers le cœur et le cerveau, nous avons devisé jusque tard dans la nuit sur une terrasse de l'Anse Vata, parlant blogs, passé, futur, présent, politique et que sais-je encore.

 

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